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Africa Museum : un musée face à son passé colonial
Crédit photo : Bastien Hanot
Le « dernier musée colonial au monde ». Voici comment était encore décrit le Musée royal d’Afrique centrale, il y a peine plus de dix ans. Depuis le musée a été « décolonisé », ses expositions rénovées et son nom rebaptisé en Africa Museum. Mais est-il réellement possible de décoloniser un musée colonial ?
En passant la grille d’entrée, on découvre à gauche l’impressionnante bâtisse néoclassique dominant le parc de Tervuren. À droite, le pavillon du directeur, où Bart Ouvry nous attend. Avant de prendre le tête du musée en mai 2023, ce diplomate de carrière avait passé dix ans en Afrique en tant qu’ambassadeur au Kenya et représentant de l’Union européenne en RDC, puis au Mali. Pour lui, le plus grand succès du musée est qu’il attire maintenant un public afro-descendant et africain, un public largement absent auparavant. Ce manque de public diversifié par le passé s’expliquerait en partie par l’absence de modernisation du musée au siècle dernier. « Même si officiellement, le processus de décolonisation a commencé en 1960, rien n’a changé avant le début des années 2000 », analyse le directeur. Le musée présentait le colonialisme comme un élément essentiel de développement pour un pays africain. Or, le musée de Tervuren est l’une des portes d’entrée des Belges vers l’Afrique, façonnant les conceptions du continent.
Lorsque Guido Gryseels prend la direction du musée en 2001, il constate cette absence de changement dans les différentes expositions permanentes, et fait de la rénovation du musée une priorité absolue. « Il y a 25 ans, 95 % des Belges étaient convaincus que la colonisation du Congo par la Belgique constituait une bonne chose. Puis petit à petit, un débat s’est formé au niveau sociétal et la vision de la population a progressivement changé ». En 2013, les choses bougent enfin, le musée ferme pour des travaux de rénovation d’une durée de cinq ans.
King KasaïAprès avoir traversé le tunnel blanc qui mène du nouveau bâtiment d’accueil à l’entrée des collections du musée, on traverse la première partie musique et langue où l’on entend de multiples sons de tambours et autres instruments traditionnels. Quelques centaines de pas plus loin, une famille d’Okapi, giraffidé aux allures de zèbre, accueillent les visiteurs dans la partie paysage et biodiversité. Le musée possède une collection de 10 millions de spécimens, qui s’apparente pour la plupart à des trophées, la chasse étant étroitement liée au projet colonial. Au bout du couloir, se trouve le plus célèbre d’entre eux : King Kasaï. L’imposant éléphant est l’exemple parfait du trophée colonial, abattu en 1956 lors d’une mission, il sert de pièce maîtresse pour l’exposition universelle de Bruxelles en 1958.
Sous les yeux de Kasaï, se trouve la rotonde, grande coupole ornée de marbre et de dorures. Voici sans aucun doute la pièce la plus problématique du musée, un temple dédié à Léopold II, rappelant les heures les plus sombres du colonialisme. Aux quatre coins de la salle, de grandes statues en bronze doré véhiculent des stéréotypes racistes comme l’absence de civilisation avant l’arrivée des colons ou la sexualisation des femmes africaines. Le monument étant classé, le musée se trouve dans l’impossibilité de les enlever. Pour réinventer la pièce, le musée a invité l’artiste congolais Aimé Mpane à concevoir deux statues en bois se faisant face, le crâne de Lusinga se référant aux horreurs du passé et Nouveau souffle se référant aux promesses de l’avenir. Mpane a ensuite travaillé avec l’artiste bruxellois Jean-Pierre Müller pour réaliser un ensemble de seize voiles, superposés aux statues, proposant ainsi une nouvelle lecture de la pièce. Ne faisant pas partie intégrante du bâtiment, le buste de Léopold II qui trônait au milieu de la rotonde a, lui, pu être enlevé. Cependant, une enquête du musée a démontré que beaucoup de gens ne comprennent pas la signification de ces nouvelles installations. Le message de déconstruction véhiculé à travers ces œuvres est nettement plus efficace avec les explications d’un guide.
Collaborations difficilesComme dans la rénovation de la rotonde, les liens avec la diaspora sont essentiels pour redéfinir les objectifs du musée. Dans cette optique, l’ancien directeur Guido Gryseels et les différentes associations de la diaspora mettent en place le Comraf (comité de concertation du musée avec les associations africaines) au début des années 2000, une structure associant douze membres africains issus d’associations et cinq membres du musée. La consultation mise en place par le musée pendant les travaux de rénovation s’est articulée autour de six experts élus au sein de la diaspora. Mais la structure a cessé de fonctionner avant la réouverture du musée, « je pensais que nous allions élaborer des choses ensemble mais j’ai vite déchanté ; le musée n’attendait que des validations de notre part. Il a fallu négocier fermement pour apporter du contenu » s’exprimait Anne Wetsi Mpoma, membre des six experts de la diaspora, dans Médor quelques mois avant la réouverture du musée en 2018. Guido Gryseels explique : « suite au mouvement black lives matter, une différence de vue s’est formée entre les attentes de la diaspora et les possibilités du musée. Le rôle de conseiller ne leur suffisait plus, le Comraf voulait de la cocréation ». Pour les associations africaines, le musée ne peut pas réellement rompre avec l’optique coloniale sans s’appuyer sur la collaboration avec la diaspora. Le président du dernier Comraf, Billy Kalonji, déclarait dans un entretien pour la revue Ensemble : « Tout ce qui se fait pour nous sans nous, se fait contre nous ».
Décision politiqueCertaines exigences de la diaspora ne peuvent pas être réalisées par le musée. « Le musée est une administration fédérale et possède trop peu d’autonomie, ce statut devrait évoluer pour pouvoir permettre plus de dynamique dans le fonctionnement de l’Africa Museum », glisse l’actuel directeur. Cette autonomie souhaitée semble encore lointaine, le budget de BELSPO (l’organisme responsable des politiques scientifiques au niveau fédéral) décline d’année en année avec notamment une réduction de 25 % de ses crédits suite aux efforts d’assainissement budgétaire. « Il y a un manque d’ambition énorme au niveau politique, faisant écho à des ambitions politiques, notamment au niveau de la N-VA visant à démanteler les collections fédérales et de les renvoyer aux entités fédérées », explique Martin Hullebroeck, chercheur postdoctorant à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et collaborateur à l’ULB.
Malgré les complications financières, le musée a des ambitions. Le travail de décolonisation est un travail sans fin, « Ce qui peut sembler décolonial et équitable aujourd’hui, peut ne plus l’être dans 10 ans, c’est une question sociale. L’important est d’évoluer afin de ne pas se retrouver à la traîne de la société », conclut Bart Ouvry.
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Le catch à l’heure belge
Photos : WWE
Du Claridge à Forest National, les 16 et 17 mars derniers ont marqué un tournant pour le catch en Belgique. À 24 heures d’intervalle, une fédération indépendante locale et la puissante WWE ont attiré un public nombreux et passionné. Un contraste de formats, mais un même engouement.
Bruxelles, mi-mars. Deux événements ont placé la Belgique au cœur du monde du catch. Dimanche 16, la Banger Zone Wrestling (BZW) remplissait le Claridge de Saint-Josse avec son show Road to Glory. Le lendemain, c’est Forest National qui accueillait un épisode en direct de Monday Night RAW, première du genre sur le territoire belge.
À première vue, tout oppose ces deux rendez-vous : d’un côté, la BZW, petite fédération née en 2022, portée par des bénévoles passionnés ; de l’autre, la WWE, géant américain valorisé à plusieurs milliards de dollars. Mais sur place, une évidence s’impose : le catch suscite en Belgique un engouement réel, longtemps sous-estimé.
Au Claridge, le catch local joue à guichets fermés ©BZWIl est 18 h 30 ce dimanche, et déjà une file compacte s’étire devant le Claridge, petite salle de 600 places située près de la station de métro Madou. L’événement n’est censé commencer qu’à 20 h, mais fans et familles ont pris de l’avance. À l’intérieur, un ring a été installé sous des projecteurs amateurs mais efficaces. Des drapeaux flottent. Une buvette, quelques stands de merchandising, un photocall avec des catcheurs.
Dans la file, Ludo, bénévole, distribue les derniers bracelets d’entrée. Sur scène, Max vérifie les micros. Tous deux font partie de l’équipe fondatrice de BZW. « On n’avait pas imaginé remplir la salle aussi vite. Il y a deux ans, on jouait devant 80 personnes à Namur. Là, c’est complet une semaine à l’avance. »
Le public est varié. Des enfants avec leurs parents. Des trentenaires passionnés. Des curieux. Dans la salle, l’influenceur Sturry, figure francophone du catch sur YouTube, discute avec des abonnés. « Je vois un public nouveau, moins masculin, plus familial, note-t-il. Ça change. »
Une soirée entre hurlements, chaises cassées et émotions vraiesÀ 20 h tapantes, l’annonceur entre en scène. Les premiers combats s’enchaînent rapidement, portés par des catcheurs locaux ou européens. Joseph Fenek, favori du public, conserve son titre après un match tendu contre Psycho Clown, vétéran mexicain. À la pause, les enfants courent vers le bar à bonbons ; les adultes vers le stand de bières.
L’ambiance prend une tournure plus grave lors d’un moment inattendu. L’un des catcheurs interrompt le spectacle pour évoquer un deuil familial. Silence total. Puis, la reprise est brutale : tables éclatées, chaises tordues, cris du public. Le match principal, entre Trent Seven et Axel Tischer, anciens de la WWE, donne lieu à une demi-heure de combat technique. À la fin, Jacob Vadock, figure locale, surgit pour défier le vainqueur. Les fans crient, filment, applaudissent.
À 23 h passées, la foule sort calmement. Sur le trottoir, Pauline, 24 ans, résume la soirée : « J’ai rigolé, j’ai eu des frissons, j’ai même pleuré. Je ne m’attendais pas à autant d’émotions dans un show belge. »
À Forest National, la WWE impose sa grandeurLe lendemain soir, Forest National est en effervescence. Près de 8 000 spectateurs prennent place dans les gradins pour assister à un événement historique : l’enregistrement en direct de Monday Night RAW, désormais diffusé sur Netflix depuis le début de l’année. Jamais une émission hebdomadaire de la WWE n’avait été captée en Belgique.
Des fans affluent de toute l’Europe. Jonas, 31 ans, a fait le trajet depuis Marseille : « Quand j’ai vu que RAW venait à Bruxelles, j’ai tout de suite réservé. C’est une première, je voulais être là. » Aux abords du bâtiment, les drapeaux belges côtoient les banderoles pro-Cody Rhodes ou anti-John Cena.
Dans la salle, la mise en scène est millimétrée. Des écrans géants, des effets pyrotechniques, une régie de plusieurs dizaines de techniciens. L’arrivée de John Cena provoque une clameur de plusieurs minutes. Les fans chantent, hurlent, huent, brandissent des ceintures en plastique.
Cody Rhodes face au public belge en feuLe spectacle alterne combats scénarisés, interviews et rebondissements. Penta, le nouveau luchador de la WWE, affronte Ludwig Kaiser dans un match solide. Jey Uso, Rey Mysterio et Rhea Ripley apparaissent à leur tour. Les caméras filment tout. À la fin du show, le champion Cody Rhodes prend la parole et salue « l’énergie unique du public belge ».
Barclay, 29 ans, venu de Paris, est encore sous le choc : « Je suis allé à RAW à Londres et Berlin, mais ici l’ambiance était plus brute, plus spontanée. On sentait que les gens attendaient ça depuis longtemps. »
Vers une reconnaissance durable ?Ce double événement marque peut-être un tournant pour le catch en Belgique. Longtemps cantonné à des salles modestes et des retransmissions confidentielles, il bénéficie désormais d’une visibilité inédite. La WWE, en choisissant Bruxelles pour un épisode de RAW, valide l’intérêt commercial de cette région. La BZW, en attirant 600 personnes et en vendant ses billets en quelques jours, prouve que la scène locale peut répondre à cette demande.
Pour Ludo, de la BZW, cette montée en puissance ne doit pas faire perdre le nord : « On veut garder notre ADN. Oui, on rêve d’une tournée francophone. Mais on ne veut pas devenir une caricature. Le catch, c’est aussi une école de respect. »
Le catch belge n’a sans doute pas encore atteint son apogée. Mais en ce week-end de mars, il a franchi un cap symbolique : celui d’un divertissement de niche devenu une culture à part entière.
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Guerre en héritage : Echos des mille collines
Graziella Bordignon
Face à la guerre, aux conflits armés et aux génocides qui ont frappé et frappent encore de certains pays, « Guerre en Héritage » est né d’un besoin urgent : questionner les traces laissées par ces violences dans les corps, les mémoires et les trajectoires des descendant·es. Ce podcast explore la transmission des traumatismes du génocide de 1994 au Rwanda, en donnant la parole à des voix qui peinent à se faire entendre : celles d’une jeunesse belgo-rwandaise marquée par l’histoire et porteuse de cicatrices. Rencontre avec Gloria, Ruth, Emmanuel, Béatrice et Joanna.
Comment hérite-t-on d’une guerre qu’on n’a pas vécue ? Que transmettent les silences, les blessures et les souvenirs des parents survivant·es à leurs enfants ? Ce sont ces questions complexes et sensibles auxquelles répond le podcast, Les Échos des Mille Collines, réalisé dans le cadre du projet « Guerre en héritage« .
Il existe peu de ressources accessibles sur la manière dont les enfants de rescapé·es du génocide rwandais vivent cet héritage. Si l’on trouve des ouvrages, des témoignages et des analyses sur le génocide en lui-même, très peu abordent ses répercussions sur la deuxième génération, en particulier celle née et élevée en Belgique. Ce silence est devenu le moteur de ce projet, mené dans le cadre d’un mémoire médiatique.
Nous avons alors décidé d’aller directement à la rencontre de celles et ceux qui vivent cette transmission au quotidien : des jeunes belgo-rwandais·es et leurs parents. À travers leurs récits croisés, souvent intimes et bouleversants, Les Échos des Mille Collines explore les traumatismes intergénérationnels liés au génocide des Tutsis. Qu’iels aient fui le Rwanda ou soient né·es en Belgique, chacun·e porte une mémoire, qu’elle soit transmise, tue, assumée ou subie.
Ce podcast est un lieu où se rencontrent douleur, mémoire, identité et résilience.
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Yerida : histoire d’un départ
Israël, terre d’accueil et de refuge pour les Juifs du monde entier, ne fait plus l’unanimité. Face aux tensions politiques, au conflit permanent, de plus en plus d’Israéliens choisissent de partir. Yerida, notre podcast, donne la parole à ceux qui ont tourné le dos à un idéal.
Israël incarne un idéal historique pour le peuple juif, une Terre promise censée offrir refuge contre les pogroms et l’antisémitisme. Depuis sa fondation, ce jeune État accueille des Juifs venus du monde entier qui s’y établissent sur plusieurs générations. Cependant, au fil du temps, une désillusion s’installe chez certains Juifs israéliens, qu’ils soient immigrés ou nés sur place. Entre l’état de guerre permanent dans lequel est plongé Israël, des coalitions d’extrême droite au pouvoir, le sort que réserve l’État aux Palestiniens et une crise économique persistante, cet État protecteur ne convainc plus des milliers de Juifs israéliens de rester. Leur choix de partir n’est pas anodin et prend de l’ampleur depuis le 7 octobre 2023. En hébreu, il est désigné par le terme Yerida, qui signifie « descente », contrastant avec Aliyah, le mot utilisé pour désigner l’immigration en Israël, qui signifie « montée ». L’étymologie de ces termes en dit long sur la perception de ce phénomène au sein de la société israélienne : alors que Aliyah est valorisée, Yerida est souvent vue de manière péjorative. Le simple fait qu’un mot existe pour désigner cette réalité souligne l’importance et les enjeux qu’elle représente pour Israël.
Notre podcast « Yerida : Histoire d’un départ » a pour ambition de recueillir les témoignages de ceux pour qui Israël a représenté un foyer, mais qui ont finalement décidé de le quitter. À travers ces récits, nous abordons la société israélienne, traversée par de nombreux paradoxes que nous mettons en lumière. Parmi ceux-ci, nous illustrons notamment le tiraillement qu’éprouvent nos personnages entre l’attachement à une Terre qui a forgé leur identité et la désapprobation d’un État oppressif.
La Yerida est un phénomène très peu abordé et les ressources sur ce sujet sont rares, ce qui offre une occasion unique de proposer un regard neuf sur la société israélienne. Qui de mieux que des Israéliens eux-mêmes pour en parler ? La pluralité des personnages permet d’illustrer différents aspects de la situation en Israël. Bien qu’au-delà de leurs différences, une chose les rassemble : l’envie de partir.
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Un sentier à soi
Hors Sentiers
Le documentaire « Hors Sentiers » accompagne Amandine, Thérèse et Alice sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle. Ces trois jeunes pèlerines cherchent un sens dans un monde où les certitudes vacillent. En marchant à leurs côtés, on découvre pas à pas leurs histoires, leurs questionnements, leurs incertitudes, leurs espoirs et leurs croyances.
À travers leurs quêtes, « Hors Sentiers » interroge le désir, toujours actuel, d’entreprendre ce voyage intérieur sur des chemins millénaires. Cette ode à la lenteur de la marche permet l’éclosion de témoignages authentiques. Une immersion dans la quête universelle d’un avenir porteur de sens.
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Roulez jeunesse
Photo: Roulez Jeunesse
Ce documentaire évoque l’émancipation des jeunes issus des communautés de Gens du voyage, et leur recherche identitaire.
« Au travers des témoignages de trois jeunes femmes, nous espérons offrir une nouvelle perspective, éclairant les aspects méconnus de ces vies itinérantes », expliquent Yu-Jin Albrecht, Arthur Boulanger, Céline Pauwels, Max Romain, Léo Rochet, Marie Ruwet, qui les ont suivies pendant un an et demi.
« Nous voulons montrer les raisons pour lesquelles ces personnes décident de poursuivre ce mode de vie qui, parfois, paraît si éloigné du nôtre. Au fil de cette expérience, nous nous sommes rendu compte que nos choix et nos espoirs ne sont pas si éloignés les uns des autres ».
Retrouvez ici l’ensemble des contenus réalisés par Yu-Jin Albrecht, Arthur Boulanger, Céline Pauwels, Max Romain, Léo Rochet, Marie Ruwet, dans le cadre de leur mémoire médiatique.
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Pas besoin d’un éditeur : elles ont choisi de s’autoéditer
Dessin : Jean-Luc Vander Goten
Non, les livres autoédités ne sont pas tous des torchons bourrés de fautes. La pratique des auteurs tend à se professionnaliser, et connaît depuis bientôt 15 ans un essor sans précédent, grâce au développement par Amazon d’un service d’impression à la demande. Pour le meilleur, et pour le pire. Car si le géant permet à bon nombre d’auteurs de vivre de leur plume, le développement d’une telle offre présente aussi certains écueils…
Mons, 22 mars 2025. Nous sommes samedi, il est 10 heures du matin, et le Palais des Congrès ouvre ses portes. À l’entrée, une grande affiche rose pastel annonce la couleur : aujourd’hui et demain se tiendra ici même le salon littéraire de la romance, Love Story.
À l’intérieur du hall, plusieurs rangées de tables alignées, des piles de livres, et une écrasante majorité de lectrices. Seuls deux hommes se tiennent les bras croisés sur un mange-debout, et prennent, suppose-t-on, leur mal en patience.
Parmi les exposant(e)s, plusieurs maisons d’édition spécialistes du genre, mais pas seulement. Aux côtés des stands Butterfly, Harlequin et compagnie, plusieurs autrices font bande à part, et proposent à leurs tables des livres sans logo, ni marque. Signe qu’elles ont choisi de faire l’impasse sur un éditeur.
Concrètement, cela signifie qu’elles prennent en charge toutes les étapes du circuit, de la correction à la promotion, en passant par la mise en page, pour s’autoéditer. Un cas de figure qui pourrait sembler anecdotique. L’affaire de quelques plumes égarées, rejetées des maisons d’édition, et inconnues du grand public. Pourtant, sur le terrain, fort est de constater que la file s’allonge face à Flora Péony, autrice de pas moins de 13 romances, qu’elle a publiées par ses propres moyens. Et à en croire les statistiques, elle est loin d’être la seule à avoir sauté le pas.
D’après le rapport d’activité de la Bibliothèque nationale de France, les livres autoédités représentaient en 2023 un quart de la production littéraire totale. Là où, en 2010, ce chiffre s’élevait à 11,7 % seulement.[1] Mais le phénomène ne s’arrête pas aux frontières l’hexagone. Dans une étude réalisée en 2023 par le Service général des Lettres et du Livre, en Fédération Wallonie Bruxelles, 22 % des répondants indiquent avoir publié en autoédition.[2] Des chiffres significatifs, qui ne sont sans doute pas étrangers à l’arrivée, en 2011, d’Amazon KDP sur le marché francophone.
Grâce à cette plateforme du géant de l’e-commerce, n’importe qui peut désormais mettre en vente ses écrits. En version numérique, sur l’application Kindle, ou bien en version papier, via un système d’impression à la demande. Pas de stock, pas d’invendus. Amazon n’imprime que le nombre d’exemplaires nécessaires, évitant ainsi aux auteurs autoédités de débourser des sommes importantes sans avoir la certitude d’un retour sur investissement.
Des auteurs déçus par l’édition classiqueOn pourrait croire, vu de loin, à une solution de repli pour les auteurs. Et de fait, c’est le cas pour certains d’entre eux, qui s’autoéditent par dépit après avoir essuyé plusieurs refus de la part des comités de lecture. Mais au-delà de la difficulté à se tailler une place dans un marché saturé, l’autoédition s’impose également comme une alternative, pour un certain nombre d’auteurs déçus ou peu intéressés par l’édition classique. D’après une étude publiée en 2015, il s’agirait même d’un choix volontaire et assumé pour 74 % des autoédités.[3]
Chloé : « J’ai compris que mon livre ne m’appartenait plus »
Parmi eux, Chloé Garcia, autrice de plusieurs livres de fantasy et de science-fiction. Dans une autre vie, elle travaillait dans l’aéronautique, en tant qu’ingénieure informatique. Un emploi stressant et peu créatif, auquel elle renonce finalement pour en revenir à sa passion première : l’écriture.
De là, les mots s’enchaînent, les pages se noircissent, et en quelques années, elle signe un, puis deux, puis trois romans : Un grain de magie, Un monde pour demain et Sous le regard de Laria, qu’elle publie dans deux maisons d’édition différentes. Pourtant, derrière ce qui semble être un véritable conte de fée, Chloé n’y trouve pas son compte.
Depuis qu’elle a cédé ses droits sur son livre, c’est comme si l’univers qu’elle avait créé lui échappait. Les mots restent les siens, et c’est bien son nom qui apparaît sur la couverture, mais elle regrette de ne pas avoir davantage de latitude, concernant l’exploitation de son œuvre. « J’ai compris que mon livre ne m’appartenait plus », explique-t-elle. « Si je voulais le faire traduire, en faire une version différente ou publier des extraits sur des plateformes, je devais toujours avoir l’autorisation de mon éditeur ».
Or en contrepartie, l’opération est loin d’être rentable pour Chloé. Tandis que son premier éditeur, qui pourtant ne se présente pas comme une maison d’édition à compte d’auteur, lui impose d’acheter 40 exemplaires de son livre pour couvrir les frais de production, le second lui soumet deux projets de couverture qui ne lui conviennent pas. « Ils prenaient des images libres de droits qui n’avaient aucun rapport avec mon univers », expose-t-elle. « Finalement, j’ai préféré payer un illustrateur moi-même ».
Résultat : une facture salée, et peu de retour sur investissement, compte tenu de la promotion limitée donnée à chacun de ses ouvrages. « Dans les deux cas, ils n’ont rien fait », affirme-t-elle. « Un post sur les réseaux sociaux le jour de la sortie et point barre ».
Aujourd’hui, Chloé dit même s’être sentie « arnaquée » par ces deux éditeurs, dont elle a décidé de se séparer pour voler de ses propres ailes. Après avoir récupéré ses droits, elle a ainsi pu donner une nouvelle vie à ses livres sur Amazon, grâce à l’autoédition.
Cindy : « On me demandait de dénaturer mon texte »
Le cas de Chloé n’est pas isolé. L’autrice Cindy Teston a elle aussi préféré faire machine arrière, après avoir soumis à une petite maison d’édition indépendante le texte d’une romance fantastique : L’Éveil du Phénix. Un manuscrit qui, en définitive, sera largement remanié par son éditeur, au point qu’elle ne se reconnaisse plus dans les corrections qui lui étaient imposées. « C’était un premier roman, je peux comprendre qu’il y avait des choses à améliorer, mais on me demandait de dénaturer mon texte », déplore-t-elle.
Or, c’est en vain qu’elle finira par céder à la demande de son éditeur. Car après avoir procédé aux modifications demandées, son livre sera mis sous presse, publié et vendu, mais malheureusement, elle n’obtiendra jamais aucune rétribution pour son travail. « Deux semaines avant ma reddition de droits, la maison d’édition a mis la clé sous la porte. Je n’ai pas touché un centime de mes droits d’auteur », rapporte-t-elle.
Rien d’illégal, en somme. En cas de faillite, les actifs d’une entreprise sont liquidés pour rembourser ses créanciers privilégiés, à savoir l’ONSS (ou l’URSAFF en France), le fisc et les banques. Les auteurs, eux, n’ont d’autre choix que de renoncer à leur part.
Mais cela reste un coup dur pour Cindy, qui suite à cette désillusion, décide de s’autoéditer sur Amazon. En plus de la mettre à l’abri de ce genre de mauvaise surprise, ce modèle lui offre non seulement une plus grande marge de manœuvre sur le plan créatif, mais aussi une meilleure visibilité sur ses ventes. Deux points essentiels pour l’autrice, qui depuis a publié une dizaine de romans en autoédition. « On peut choisir notre couverture, c’est nous qui décidons de tout, et on voit les chiffres en temps réel. Et ça, ça n’a pas de prix », se réjouit-elle.
Vivre de sa plumeCindy n’a pas tort. Au-delà des mots, les livres sont aussi affaire de chiffres. Bien que cet aspect soit souvent mis de côté, dans un milieu où l’idéal romantique du poète désintéressé reste bien ancré, les auteurs souffrent d’une précarisation grandissante, qui a largement été documentée.
Le rapport Racine, notamment, faisait état en janvier 2020 d’une « tendance à l’appauvrissement des artistes-auteurs, en dépit de l’essor de l’industrie culturelle ». Il précisait par ailleurs que cette évolution était observée non seulement en France, mais aussi au Royaume-Uni et aux États-Unis. Conclusion : cette situation n’est pas simplement due à une conjoncture particulière, mais à « une organisation de la création défavorable aux artistes-auteurs », dénoncée par ce rapport.
Et de fait, parmi les différents acteurs de la chaîne du livre, l’auteur arrive le plus souvent en queue de peloton. Selon les termes de son contrat, il touche généralement entre 8 et 10 % du prix du livre, tandis que l’éditeur, l’imprimeur, le distributeur et le libraire se partagent le reste.
Sachant cela, certains auteurs préfèreront alors se tourner vers Amazon, qui de son côté offre jusqu’à 70 % de droits d’auteur.
Eulalie : « Pourquoi je donnerais mon roman à une maison d’édition ? »
C’est le cas d’Eulalie Lombard. Aujourd’hui autrice d’une vingtaine de romans autoédités, elle se lance au départ sur Wattpad, un réseau social dédié à l’écriture. Là, elle publie les deux premiers tomes d’une saga fantasy, Droit de sang, qui cumulent sur la plateforme plusieurs centaines de milliers de lectures. Voyant que ses romans remportent un certain succès sur la plateforme, elle décide donc de passer à l’étape supérieure, migre sur Amazon, et sans en avoir conscience, enclenche le premier rouage d’une mécanique bien plus grande qu’elle ne l’imaginait.
À l’époque, Eulalie est encore étudiante. Elle poursuit un master en cancérologie et prévoit, à l’issue de ses études, de faire carrière dans ce domaine. Vivre de sa plume ? Elle en rêve, mais sans vraiment l’envisager. Elle sait que le marché est saturé, que l’écriture paie mal, et que rares sont les auteurs à pouvoir en faire leur métier. Si elle fait appel au géant jaune, c’est avant tout pour elle, pour « avoir son livre entre les mains ». Alors à ce stade, l’argent n’entre pas vraiment en ligne de compte.
Pourtant, quelques années plus tard, le rêve est devenu réalité. Depuis cinq ans maintenant, Eulalie vit de sa passion grâce aux ventes qu’elle réalise sur Amazon, et a même été approchée par plusieurs maisons d’édition, dont elle a décliné les offres. « Je n’en avais pas envie », affirme-t-elle. « Pourquoi est-ce que je donnerais un roman qui fonctionne bien, qui est déjà suffisamment qualitatif pour être vendu, à une maison d’édition qui gagnerait plus que moi dessus ? »
Un éditeur, pour quoi faire ?Les témoignages de Chloé, Cindy et Eulalie mettent en lumière une réticence importante, de la part de certains auteurs, à confier leurs écrits à une entreprise qui risquerait de ne pas en prendre soin. Mais peut-on véritablement se passer d’un éditeur, sans que la qualité n’en pâtisse ? N’est-ce pas la porte ouverte à des romans truffés de fautes, publiés à la va-vite, et dépourvus de vraie valeur littéraire ?
Sur ce point, la réponse des trois autrices est unanime, et de prime abord, plutôt paradoxale, puisque toutes jugent le rôle de l’éditeur essentiel dans le processus de publication. « Pour moi, c’est impossible de faire un livre tout seul », va jusqu’à affirmer Eulalie. « On ne peut pas publier un livre s’il n’est pas passé entre les mains de plusieurs personnes ».
Pour s’assurer de publier des textes qualitatifs, toutes ont donc recours à des correcteurs professionnels, qui se chargent de relire chacune de leurs productions. D’ailleurs, elles sont loin d’être les seules. D’après Eva Collin, qui en parallèle de sa carrière de romancière autoéditée, exerce une activité de correctrice-relectrice depuis deux ans, ce métier connaît actuellement un véritable essor. « Je le vois entre le moment où je me suis lancée et aujourd’hui », indique-t-elle. « Il y a beaucoup plus de personnes aujourd’hui sur le marché ».
Une offre croissante, en réponse à une demande importante des auteurs. Car édités ou non, ils sont nombreux à faire appel à ce type de services, pour avoir un regard extérieur sur leur manuscrit. Et si certains choisissent un simple « décoquillage », Eva constate que la plupart optent pour une formule de correction plus approfondie : la « relecture analytique ».
Le principe ? Un rapport d’une trentaine de pages, dans lequel la correctrice analyse tant la progression des personnages, leurs enjeux et leur progression au fil de l’intrigue que le rythme de l’histoire. « Puis, sur base de mon analyse, on a des séances de brainstorming, et l’auteur, en fonction des services qu’il a choisis, peut continuer seul ou se faire accompagner, pour sublimer son texte et le rendre encore plus percutant », poursuit-elle.
Une menace pour l’industrie du livre ?Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un roman autoédité n’est donc pas forcément un roman médiocre, publié en quelques clics sans avoir été relu ni corrigé au préalable. De plus en plus d’auteurs tendent à se professionnaliser en faisant appel à des prestataires extérieurs, même si ce n’est bien évidemment pas le cas de tous les auteurs présents sur la plateforme.
« Il y a de tout sur KDP, des pépites comme des navets, des auteurs sérieux et des auteurs amateurs qui testent leur livre », indique Stéphanie Parmentier, chercheuse en sciences de l’information et de la communication à l’Université Aix-Marseille, qui a consacré sa thèse au phénomène de l’autoédition.[4] « C’est d’ailleurs cet aspect-là qui séduit les auteurs : il n’y a pas de frontière ou de laisser-passer sur KDP, ni de refus. C’est aux lecteurs de donner vie à un livre s’il est bon ».
Ainsi, malgré la présence d’excellents auteurs sur la plateforme, l’autoédition conserve pour l’heure un prestige limité, qui parfois va de pair avec un certain mépris. D’ailleurs, Eulalie peut en témoigner : « Les préjugés ont la vie dure, parce que malheureusement, pour certains auteurs, ils sont encore vrais ».
Mais l’arrivée de ces correcteurs indépendants pourrait-elle changer la donne, et empiéter sur le terrain des éditeurs ? Cette croissance importante de l’autoédition pourrait-elle, à terme, représenter une menace pour les maisons d’édition ?
Ce n’est pas l’avis de la Dr. Parmentier, estimant que les maisons d’édition conservent malgré tout un certain attrait. « Les jeunes auteurs ont en effet changé leurs pratiques éditoriales et se rendent plus volontiers sur les plateformes, qui ont une image plus dynamique désormais. Mais l’édition traditionnelle plaît toujours, et heureusement », insiste-t-elle.
Quant à une possible évolution de leur modèle, visant à accorder aux auteurs une place plus importante dans le processus éditorial, l’éventualité reste d’après elle peu probable. « Cela peut changer si des auteurs célèbres continuent de migrer vers l’autoédition comme c’est déjà le cas, mais c’est un tel boulot que peu d’auteurs sont prêts à prendre en charge tout ce travail éditorial », conclut-elle.
Néanmoins, certaines initiatives commencent peu à peu à voir le jour. Car si la majorité reste fidèle au système traditionnel, une minorité d’éditeurs indépendants remettent à présent leur modèle en question, pour accorder à l’auteur une place plus importante au sein de celui-ci.
Suite à ses déconvenues, Chloé a ainsi monté sa propre maison d’édition : Cordes de Lune, dont l’objectif est de remettre l’auteur au centre du processus de publication, en faisant de lui un collaborateur à part entière. Il n’y a donc pas de rapport de hiérarchie entre lui et son éditrice, qui s’efforce de le conseiller au mieux, sans pour autant lui imposer quoi que ce soit. « Je donne beaucoup de conseils sur la correction, le marketing, la couverture, mais à la fin, c’est toujours l’auteur qui a le dernier mot. C’est lui qui valide chaque étape éditoriale », explique Chloé.
Du reste, suivant la même logique, l’auteur touche 50 % de droits sur les ventes de son livre. Un pourcentage particulièrement avantageux, qui fait office d’exception dans le monde de l’édition. Mais une telle formule est-elle viable, compte tenu des frais de production, qui sont quant à eux assumés à 100 % par l’éditeur ?
Chloé a fait ses comptes, et d’après elle, les résultats sont plutôt encourageants. « Ça prend forcément plus de temps qu’une maison d’édition classique », prévient-elle. « Mais là on en est à la deuxième année d’activité, il y a plus de 40 titres dans le catalogue, et ça commence à venir. On commence à faire des bénéfices ».
Une affirmation qui pourrait susciter des interrogations parmi nombre d’éditeurs indépendants qui, bien qu’ayant fait le choix d’un modèle économique plus traditionnel, peinent à joindre les deux bouts. Cela dit, il faut préciser que la majorité des ventes de Cordes de Lune sont réalisées en ligne, évitant ainsi à l’entreprise de verser une commission de 30 % à un libraire. Quant à l’impression, elle est là encore assurée par Amazon, à des prix défiant toute concurrence.
Amazon, un imprimeur comme les autres ?Un nouvelle fois, Jeff Bezos fait ainsi figure de grand sauveur. Face à un modèle éditorial en défaveur des auteurs, il offre à Chloé, Cindy et Eulalie une plateforme au fonctionnement purement démocratique, abolissant toutes les barrières qui se dressaient auparavant entre elles et leur rêve. D’autant qu’en imprimant sur commande, la multinationale apparaît dorénavant comme un acteur soucieux de son impact environnemental, face à de grands groupes éditoriaux qui, pour la plupart, pilonnent leurs invendus. « Les gens commandent, Amazon imprime et leur envoie. Il n’y a pas de gâchis de papier », rappelle ainsi Eulalie.
Mais au-delà des apparences et discours convenus, le mastodonte est-il véritablement le généreux mécène qu’il prétend être ? De nombreux doutes persistent, et ces belles promesses continuent de faire grincer des dents, eu égard au passif de la multinationale.
Mauvaises conditions de travail, pratiques commerciales déloyales, violation du RGPD… Amazon fait régulièrement les gros titres de la presse internationale, pointant du doigt l’ambition sans limite d’un acteur devenu incontournable de la vente en ligne. Quant à la protection de l’environnement, le géant jaune a beau montrer patte blanche, en déclarant vouloir passer au vert, ces beaux discours sont régulièrement remis en question par des experts de la question climatique. Ainsi, tandis qu’Amazon investit dans la création de parcs éoliens et que Jeff Bezos débourse des milliards pour la protection de la planète, un rapport de l’ONG stand.earth indique que dans le même temps, l’entreprise a vu ses émissions de CO2 grimper de 18 % entre 2019 et 2024[5]. Et ce alors même que sur son site, la multinationale annonce vouloir atteindre zéro émission de carbone d’ici 2040.
Difficile, dans ce contexte, de considérer les aspects positifs de KDP, qui apparaissent dérisoires face à l’ensemble des activités d’Amazon.
Pourtant, si l’on resserre la focale sur l’imprimerie de Bretigny-sur-Orge, où sont imprimés une bonne partie des exemplaires autoédités vendus en France et en Belgique, l’enseigne montre un visage plutôt souriant. D’après l’un des ouvriers employés sur le site, que nous appellerons Anthony, la charge de travail est raisonnable, et si le métier est répétitif, il est, dit-il, « loin d’être pénible ».
Quant à la qualité du service, elle semble globalement être au rendez-vous. Pour Chloé en tout cas, le rendu des impressions est réussi, et la majorité des exemplaires est livrée en temps et en heure. « Sur plusieurs milliers de commande, il y a parfois des problèmes. Mais avec Amazon, vous êtes pris en considération très rapidement, et en deux semaines, c’est réglé », assure-t-elle.
Cela dit, le son de cloche n’est pas le même du côté de Cindy. « Il y a des colis qui se perdent, des colis qui arrivent complètement défoncés, des problèmes de couleurs… Si je commande 50 exemplaires, tous n’auront pas la même teinte », rapporte-t-elle. D’ailleurs, aujourd’hui, elle n’utilise plus Amazon que pour publier ses textes en version numérique. Les versions papier, elles, sont imprimées par BoD, un autre imprimeur à la demande.
Par ailleurs, cette initiative d’Amazon interroge, étant donné qu’elle s’inscrit dans la continuité des manœuvres anticoncurrentielles du géant américain, contribuant depuis une trentaine d’années à l’établissement d’une situation de monopole. Or, en développant des infrastructures gigantesques, qui lui permettent de produire des livres par elle-même à des prix absolument imbattables, la firme fait visiblement un pas supplémentaire dans cette direction.
Faut-il, dès lors, s’inquiéter de voir de grands éditeurs céder aux sirènes d’Amazon ?
C’est ce que redoutait déjà Jean-Baptiste Mallet en 2022. Dans un article de L’Humanité, publié quelques jours avant la mise en service du site de Brétigny-sur-Orge, en novembre 2022, le journaliste alertait en effet sur les conséquences dommageables de cette nouvelle activité, tant sur l’industrie du livre que sur les droits des travailleurs. Interrogé par ses soins, Alain Jeault, délégué syndical central de la CGT Amazon, se déclarait ainsi défavorable à cette diversification. « Amazon n’a pas l’intention de former de véritables imprimeurs », affirmait-il. « Au contraire, l’entreprise cherche à déqualifier le travail en faisant travailler sur ces machines ultramodernes des agents de production polyvalents ». [6]
Et Anthony confirme : s’il estime avoir reçu une formation suffisante de la part d’Amazon, son salaire est resté inchangé par rapport à son précédent poste, en tant que préparateur de commande.
Les libraires montent au créneauLes syndicats et les journalistes ne sont pas les seuls à tirer la sonnette d’alarme. Cette omniprésence d’Amazon cristallise également une certaine tension chez les libraires, qui pris dans le courant du plus puissant fleuve au monde, peinent à se maintenir à flots.
Or vu les liens étroits qu’elle entretient avec le géant américain, l’autoédition reste plutôt mal considérée par une partie de la profession. En 2018, l’autrice Samantha Bailly avait notamment suscité la polémique parmi les libraires, en annonçant sa décision de « tester » la formule de KDP. Dans un post publié sur sa page Facebook quelques jours plus tard, elle déclarait même avoir reçu des insultes de la part de certains d’entre eux.[7]
Les craintes de ces libraires sont-elles justifiées ? L’autoédition représente-t-elle vraiment une menace pour les librairies ?
Pour Gaëlle Charon, déléguée générale du Syndicat des Libraires francophones de Belgique, la réalité est plus nuancée. « La vente en ligne, de manière générale, est un risque. Mais l’autoédition via Amazon n’augmente pas ce risque », estime-t-elle. « On a une baisse de fréquentation, due entre autres à la vente en ligne, au pouvoir d’achat des gens et à la morosité ambiante, mais pas à l’autoédition ».
Cette distinction est importante, car les auteurs autoédités vendent majoritairement des livres au format numérique, dont on sait aujourd’hui qu’il n’entre pas en concurrence avec le format papier. C’est ce qu’indique le 13ème baromètre sur les usages des livres imprimés, numériques et audio, publié en 2024[8] : tandis que 2/3 des lecteurs de livres imprimés lisent exclusivement sur ce support, 90 % des lecteurs de livres numériques ou de livres audio sont des lecteurs hybrides, c’est-à-dire qu’ils lisent également des livres imprimés. D’ailleurs, Gaëlle Charon confirme : « Le numérique faisait très peur aux libraires quand ça a commencé. Puis on s’est rendu compte petit à petit que chacun trouvait son public, et que ça n’avait pas de véritable impact sur les librairies ».
Néanmoins, l’autoédition n’est pas tout à fait absente des librairies. En parallèle des ventes qu’ils réalisent en ligne, un certain nombre d’auteurs autoédités collaborent aussi avec des libraires, qu’ils démarchent eux-mêmes en leur proposant des exemplaires de leurs ouvrages. Toutefois, Gaëlle Charon constate de son côté que les libraires ont plutôt tendance à décliner les propositions de ce type, car ils considèrent le rôle de l’éditeur essentiel, et ne souhaitent pas se substituer à lui. « L’autoédition peut se retrouver en vente physique en librairie. Mais de facto, les libraires sont ‘méfiants’ vis-à-vis de l’autoédition, parce que ça n’a pas été validé par un éditeur, et qu’il y a une telle pléthore de livres qui sortent qu’ils n’ont pas le temps de valider chacun des autoédités qui leur proposent leurs livres », rapporte-t-elle.
Pourtant, pour Eulalie, les libraires auraient tout intérêt à s’intéresser à ces nouveaux modes de publication, vu l’ampleur qu’ils prennent aujourd’hui. « Je pense que beaucoup devraient changer leur vision des choses, parce que le monde change et ils risquent de rester à la traîne, s’ils restent trop ancrés dans cette vision traditionnelle. Parce que les autoédités prennent de la place. Si on est là et qu’on fonctionne, c’est aussi parce qu’il y a de la demande ».
Une littérature propulsée par les algorithmesEn parcourant les meilleurs ventes de Kindle, on constate en effet que les autoédités jouent au coude à coude avec de grands noms de l’édition. Pour eux, pas de campagne d’affichage ni de passage télé : ils parviennent à se faire connaître sans l’aide d’un éditeur, grâce à la magie des réseaux sociaux. Storys Instagram, posts sponsorisés, vlogs d’écriture sur TikTok… Ces auteurs 2.0 créent ainsi avec leur communauté de lecteurs une proximité inédite, qui se traduit en chiffres, sur le tableau de ventes d’Amazon.
Et si l’on peut se réjouir de voir auteurs et lecteurs s’épanouir dans cette nouvelle relation, cette posture d’influenceur peut aussi interpeler. Cette évolution du marché ne présente-t-elle pas un risque, pour la diversité littéraire ? L’avènement de ce type de plateformes pourrait-il favoriser l’apparition d’une littérature formatée par les algorithmes, au détriment d’autres formes de récits ?
Pour la Dr. Parmentier, cela ne fait aucun doute : « Amazon ne valorise que ce qui buzze et se moque de la diversité littéraire ou patrimoniale ».
Mais n’est-ce pas précisément ce que font les maisons d’édition : favoriser ce qui marche et surfer sur la tendance, pour générer le plus de profits possible ? La question reste, bien sûr, à nuancer. Néanmoins elle mérite d’être posée, car si Amazon apparaît comme un monstre du capitalisme, les éditeurs restent soumis aux mêmes règles.
D’ailleurs pour Eulalie, le phénomène n’est pas nouveau : les éditeurs privilégient les genres à la mode, parce que ce sont ceux qui se vendent le mieux, tout simplement. Amazon ne fait que suivre le mouvement, en affichant en priorité les titres les plus vendeurs. « C’est le jeu, on ne peut pas reprocher au site de mettre en avant les livres qui se vendent », conclut-t-elle.
En librairie ou sur Amazon : l’issue de la partie reste donc entre les mains du lecteur. Demain comme hier, c’est lui qui aura toujours le dernier mot.
[1] Bibliothèque nationale de France, Rapport d’activité 2023 : https://www.bnf.fr/sites/default/files/2024-06/rapport_activite_2023.pdf, consulté le 11 mai 2025.
[2] Service général des Lettres et du livre, Étude sur la situation socio-économique des auteurs et autrices de livres en Fédération Wallonie-Bruxelles : https://auteurs.jupiterphaeton.com/wp-content/uploads/Bela_Etude_DEF_Wallonie_Bruxelles.pdf, consulté le 17 mai 2025.
[3] Charlie Bregman, L’auto-édition pourquoi comment pour qui: Guide tiré d’une enquête auprès de 130 auteurs (2015).
[4] Stéphanie parmentier, Du compte d’auteur à l’auto-édition numérique : études des formes et des pratiques de l’édition non sélective, 2020.
[5] https://publications.stand.earth/prime-polluter/
[6] Jean-Baptiste Mallet, Le loup dans l’imprimerie, dans L’Humanité, 31 octobre 2022 : https://www.humanite.fr/social-et-economie/amazon/amazon-le-loup-dans-limprimerie-769277
[7]https://www.facebook.com/SamanthaBaillyAuteur/photos/a.522960031063717/2584542084905491/?type=3&ref=embed_post, consulté le 1 mai 2025. / Vincy Thomas, Autoédition : Samatha Bailly explique son choix, dans Livres Hebdo, 12/10/2018.
[8] https://www.sgdl.org/images/phocadownload/Barom%C3%A8tres/sofia_barometre_2024_hd_compress%C3%A9.pdf , consulté le 17 mai 2025.
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Orthografe : à qui la faute ?
Logo Mémoire Médiatique : ©Orthografe : à qui la faute ? Younes Belmedioni
Tout le monde la fréquente depuis sa tendre enfance, avec plus ou moins de difficultés : l’orthographe de la langue française. Le niveau baisse-t-il ? Est-ce devenu inutile d’améliorer son niveau vu les correcteurs orthographiques ? Telles sont quelques-unes des questions qu’explore notre podcast.
Si il y a un lieu où on évalue l’orthographe de la langue française aux élèves, c’est dans l’enseignement général. L’enquête radiophonique commence par une immersion dans une classe de 6ème année secondaire dans une Athénée à Bruxelles afin de vérifier s’il y a une baisse du niveau de l’orthographe. Il est intéressant de voir quelle place occupe l’orthographe au sein d’une grille d’évaluation et l’importance donnée par les élèves à l’orthographe. « Il y a le constat qui est dressé, nos élèves maîtrisent moins bien la langue. Pas que l’orthographe, la langue en général. Dans le nouveau programme du cours de français, l’orthographe ne vaut que pour 10% de la note finale. C’est vrai que ce n’est pas grand chose. Les élèves parcourent la grille d’évaluation avant de lire les consignes. Ils voient bien que l’orthographe ne compte pas pour beaucoup et ne se concentrent pas là-dessus« , confie Cécile Pepersack, professeure de Français. Les élèves de 6ème année secondaire de l’enseignement général sont censés connaître l’orthographe de la langue de la française et être préparés à poursuivre des études supérieures, voire universitaires.
Pour remédier à cette baisse de niveau, plein de questions émergent tant chez les élèves que les professeur.re.s. La dictée ne semble pas la meilleure solution mais un besoin de compréhension des règles orthographiques est exprimé par les élèves. « Etudier de la matière sans la comprendre, on l’oublie très vite. Les élèves ne voient pas l’intérêt et ne comprennent peut-être pas pourquoi il faut étudier des règles sans savoir d’où elles viennent », complète notre interlocutrice.
Les élèves, de leur côté, considèrent que l’orthographe est importante pour un futur emploi. « Je trouve que l’orthographe a une place très importante dans notre société parce qu’elle nous permet, notamment, d’écrire des lettres pour trouver des jobs et c’est grâce aussi à ça que les personnes pourront se dire qu’on a un certain niveau professionnel, raconte Soraya, une élève de 6ème année secondaire. L’importance d’une lettre de motivation ou d’un CV sans fautes est essentielle mais pas suffisante dans le monde actuel du travail car une grande maîtrise de la langue écrite est exigée.
Donner du sens aux règles orthographiquesL’orthographe de la langue française est si complexe qu’on est obligé de l’étudier comme elle se présente. Le français écrit ne correspond pas à 100% à la langue orale : écriture des mots et les accords entre eux tous confondus. Ces règles comportent beaucoup d’exceptions et donner des explications pour chaque règle ne favoriserait pas forcément une meilleure appropriation de la matière par les élèves. Il y a des sons et des mots qui se prononcent de la même manière mais ne s’écrivent pas de la même manière (seau, saut, sot,…). Sans oublier des lettres qui ne se prononcent pas de la même manière selon le mot (taxi, Auxerre,…). Pas d’autres choix que d’apprendre ces règles par cœur. Bien écrire ne se résume pas qu’à l’orthographe, la grammaire et le vocabulaire sont aussi des compétences importantes.
La complexité de la langue française (et de son écriture) est liée à son histoire mais également à des choix politiques. On commence à écrire la langue française qu’à partir du Moyen Âge. Elle était un mélange de différentes langues : le gaulois, le latin et le « francien » (une langue germanique des Francs). Le choix d’utiliser l’alphabet latin pour la transcrire pose, dès le départ, un problème car les phonèmes du français (les sons) sont plus nombreux que les lettres de l’alphabet. L’alphabet latin ne comportait que 23 lettres. Les lettres J, U, W n’existaient pas encore : le « I » était utilisé pour « J » et le « V » pour « U ». Au fil des époques, le « J, U et W » ont été rajoutées à notre alphabet. Le français parlé comporte entre 36 et 38 phonèmes : 16 voyelles, 17 consonnes et 3 autres sons qu’on retrouve dans « fille », « oui » et « lui ».
Peu après, l’Académie française a fait le choix de se baser sur l’étymologie et de s’inspirer du grec et du latin. Mais ces langues anciennes ne sont plus aussi largement enseignées que par le passé aux élèves. De plus, certains mots ont été modifiés « par erreur » avec les débuts de l’imprimerie au milieu du XVe siècle. Donc comprendre la logique de l’écriture de certains mots et leur donner du sens est très difficile, surtout quand il s’agit de lettres qui ne ne se prononcent pas ( chat, prix, froid,…).
Des réformes insuffisantesIl y a eu plusieurs tentatives de simplifier l’orthographe mais aucune de ces réforme n’a atteint complètement son objectif. Cependant, une réforme de l’orthographe a été proposée par le Conseil supérieur de la langue française en 1990 et a été approuvée par l’Académie française. L’Académie française a considéré cette réforme comme des « rectifications » qui ne doivent pas être obligatoires et mentionne que l’orthographe actuelle reste d’usage. En décembre 1990, les rectifications sont publiées dans le Journal officiel de la République française. La 9ème édition du dictionnaire de l’Académie française a intégré cette réforme. En parlant de cette réforme, la question était de savoir s’il était nécessaire de simplifier l’orthographe pour réduire le nombre d’erreurs et la rendre plus accessible à tous. « Les demi-mesures qu’on propose avec l’orthographe réformée de 1990, sont totalement insuffisantes. Ça n’apporte pas grand chose et on voit bien que les élèves continuent de faire de nombreuses fautes d’orthographes. De plus, la nouvelle orthographe existe depuis 1990 et on se rend compte que presque personne ne l’applique« , nous explique Christophe Bertiau, docteur en langues, lettres et traductologie de l’ULB, et anciennement professeur dans l’enseignement secondaire. Aujourd’hui, elle n’est pas appliquée par la majorité des auteurs (ni des correcteurs) parce que certains mots « sonnent » faux quand on les écrit différemment de ce que l’on a appris à l’école. La plupart des gens en dehors du milieu scolaire ou littéraire ne connaissent pas cette réforme en raison d’une diffusion insuffisante de son contenu.
La question du niveau de l’orthographe reste importante pour une autre raison. Elle touche à la structuration de notre pensée. Ne pas disposer de suffisamment de vocabulaire et ne pas maîtriser les règles grammaticales limite l’expression des élèves. La maîtrise du langage – oral comme écrit – permet la construction de la pensée.
Quelles sont les pistes de solution à exploiter pour remédier à cette baisse du niveau de l’orthographe ? Est-ce devenu inutile d’améliorer son niveau d’orthographe vu les correcteurs orthographiques ? Faut-il se préoccuper de cette baisse du niveau d’orthographe ? Ce mémoire médiatique tente de répondre à ces questions dans ce podcast.
Mammouth · 2425_M2PI_(Orthografe _ à qui la faute _)_YounesBelmedioni Réseaux SociauxCe mémoire médiatique vous donne plus d’informations sur cette thématique sur Facebook et Instagram. Vous y retrouverez des post historiques, des questions-réponses automatiques et autres contenus divertissants.
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Droit au but
Photo: Sofia El Bachrioui
« Les petits cailloux font des grandes montagnes. »
Maroua Sebahi, coach de football féminin, vit et s’épanouit à travers sa passion pour le foot et son amour pour les autres. Elle se bat continuellement pour ses droits et pour s’assurer de l’épanouissement de ses joueuses. Maroua ne marque pas des buts, elle marque les esprits.
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L’amour de ma vie
Pendant longtemps, Margaux a attendu, elle en a rêvé. Puis un jour elle a décidé de ne plus attendre et de devenir maman solo.
Ce documentaire raconte l’histoire d’un rêve puissant, d’un parcours singulier et d’un amour inconditionnel.
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Le son du silence
Photo: Chiara De Baggis
Il y a des absences qui redéfinissent tout. Vivre avec, plutôt que chercher à oublier. Les jours passent ou les jours défilent… Et finalement, on réalise qu’on est heureux d’entendre le murmure des oiseaux, même s’ils sont étouffés à cause du double vitrage.
Un film sur ceux qui restent quand l’autre part pour un long voyage. Sur la solitude, le temps qui passe et les futilités qui redonnent envie de vivre à nouveau, malgré tout.
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Le bruit des souvenirs
Crédit photo: Image générée par IA
« On ne s’en remet jamais, non.« Dans ce podcast, deux militaires lèvent le voile sur un sujet longtemps resté tabou dans l’armée : le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Philippe, ancien casque bleu déployé lors du génocide au Rwanda, et Frédéric, vétéran de la guerre en Afghanistan, partagent leurs expériences. À travers leurs témoignages, se dessinent les séquelles psychologiques durables des missions de guerre et les limites du soutien apporté aux soldats une fois rentrés.
TW : Ce podcast comporte des sujets sensibles tels la guerre, les massacres et le suicide.
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Une partie de moi
La danse classique, une discipline qui demande une certaine forme physique. Comment se retrouver après avoir eu un enfant et quel est son rapport au corps? Sandrine Balleux partage son ressenti.
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« Laisse Nous Faire » : L’indépendance dans le rap belge
©Track.32
En général, Le rap n’a jamais eu les portes grandes ouvertes. Trop cru, trop codé, trop « quartier » pour les majors, trop bruyant pour les vitrines. Pendant longtemps, il s’est construit en marge de la tendance, dans les interstices où personne ne pensait que quelque chose pouvait pousser. Pour les rappeurs, être indépendant, ce n’était pas un choix : c’était une nécessité. Faire sans moyens, mais faire quand même.
Depuis les années 90, les lignes ont bougé. Le rap est partout, omniprésent dans les charts, les campagnes pub, les playlists éditoriales des plateformes. Pourtant, son ADN reste le même. Des figures comme MC Solaar, la Mafia K’1 Fry, IAM ou Kery James ont pavé la voie pour des générations qui n’ont jamais attendu la validation des maisons de disques. En Belgique, Starflam, CNN199, Benny B ont écrit les premières mesures d’un rap “de chez nous”, longtemps resté dans l’ombre de l’Hexagone.
Puis, sont venus en 2015 les coups d’éclat : Hamza, Damso, Caballero & JeanJass. La Belgique est devenue un accent dans le rap francophone. Et ce qu’ils ont tous en commun, c’est d’avoir commencé seuls, hors des radars, hors des réseaux balisés. L’indépendance comme outil de survie, mais aussi comme mode d’expression.
C’est cette énergie-là que Track.32, média musical bruxellois, a décidé de capter. Pendant plus d’un an, six étudiants de l’IHECS ont enquêté, creusé, tendu le micro à ceux qu’on n’écoute jamais assez. Le résultat : Laisse Nous Faire, un documentaire brut et sincère sur l’indépendance dans le rap en Fédération Wallonie-Bruxelles. On y retrace le parcours de Geeeko, artiste au parcours semé d’embûches et ayant choisi aujourd’hui la voie de l’indépendance. On y trouve aussi le point de vue de journalistes, managers, mais surtout d’artistes, qui racontent un quotidien sans filtre : les galères de financement, les clips autoproduits, la surcharge de travail, mais surtout la fierté et la liberté de tout faire par soi-même.
Plus qu’un simple documentaire, Laisse Nous Faire est une déclaration d’amour à un écosystème encore fragile, mais bien vivant. Une cartographie sensible de ce que signifie « être rappeur indépendant » aujourd’hui, dans un pays où les projecteurs sont rares, mais où la lumière est bien présente.
La rédaction vous propose de découvrir le documentaire ci-dessous !
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Je n’attendrai plus l’orage
Photo: Juliette Dussart
« Quand j’étais malade, je n’avais pas l’impression d’être malade ». Adèle a 20 ans. Pour elle, la vie est précieuse et mérite d’être vécue à 100 %. Pourtant, à une période de sa vie, tout a bien failli s’effondrer. Une période qui reste dans la mémoire, mais qui lui permet d’avancer et de réaliser des rêves qu’elle n’osait même pas imaginer.
À travers ce documentaire, Adèle Fontaine partage son parcours face à l’anorexie et raconte les épreuves qu’elle a dû surmonter.
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Endométriose au travail: l’histoire de Léa
Mammouth est allé à la rencontre de Léa, étudiante dans l’horeca, qui, comme une femme sur dix, est atteinte d’endométriose. Comment concilier travail et crises? Comment gérer les shifts une fois la douleur insoutenable? Dans ce podcast, nous explorons comment sa maladie la freine dans son milieu professionnel.
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« Nous, on travaille »
Photo de Jessie McCall sur Unsplash
« J’ai fait une bêtise, c’est que je me suis rendu indispensable. »Stéphane est patron d’un restaurant bruxellois. Comme tant d’autres, il se sent submergé par les défis quotidiens qu’impose le milieu de la restauration. Pourquoi reste-t-il ? A quel prix ? Et pour combien de temps encore ?
Ce podcast n’est pas uniquement l’histoire de Stéphane, mais aussi celle de toutes celles et tous ceux qui, comme lui, affrontent le stress dans l’HORECA.
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Bruscope, une revue pour comprendre les enjeux sociaux bruxellois
Photo : Chloé Thôme
Créée pour offrir un espace de réflexion et de sensibilisation sur les questions sociales, la revue Bruscope explore des thématiques telles que l’inclusion sociale, la crise du logement et l’emploi. À la tête de cette initiative, Naomé Ide, mène ce projet avec passion et détermination. Dans cette interview, elle revient sur les défis liés à la création d’un média indépendant, sur les choix éditoriaux de Bruscope et sur les enjeux d’une presse engagée.
Mammouth : Bonjour Naomé, pour les lecteurs qui ne te connaissent pas et qui n’ont pas encore entendu parler de Bruscope, peux-tu te présenter et présenter le projet que tu as mis en place ?
Naomé Ide : Alors du coup, moi c’est Naomé Ide. Je me suis spécialisée en économie, j’étais à la Solvay Brussels School. Dès le départ, je savais que je voulais faire de la recherche. C’était vraiment le but, je voulais faire un doctorat. J’ai fait un an de recherche dans un centre de recherche d’économie appliquée et en fait j’ai très vite réalisé que personne ne lisait les papiers de recherche. Pour moi qui faisais de la recherche pour contribuer à changer le monde, ça a été une grosse désillusion et j’avais vraiment à cœur de faire des choses utiles en fait. J’ai donc quitté la recherche pour faire de la vulgarisation, pour essayer de combler le trou qu’il y avait entre les chercheurs et les citoyens. Et donc voilà, c’est comme ça qu’est né Bruscope.
Du coup qu’est-ce que c’est que Bruscope ? C’est un média de vulgarisation. On se concentre sur les problématiques socio-économiques bruxelloises. L’objectif, c’est vraiment de sensibiliser les Bruxellois aux enjeux socio-économiques de leur ville et surtout mettre en lumière les solutions des chercheurs sur ces problématiques-là, parce qu’en réalité, les solutions sont à portée de main. Et donc il ne reste plus qu’à les mettre en œuvre mais cela demande une décision politique et donc il faut que les citoyens en aient conscience pour pouvoir voter de façon consciente et pour pouvoir renforcer le pouvoir démocratique.
La vulgarisation scientifique peut poser certains dilemmes de neutralité. Est-ce que Bruscope est politisé ? Et si oui, est-ce que cela pose un problème de légitimité au média ?
Alors, c’est sûr. On essaye d’être le plus neutre possible, mais je pense que la neutralité n’existe pas, même dans la recherche. Et donc, il est assez évident qu’on adopte un point de vue qui est féministe, écologiste, progressiste. Maintenant, on va généralement traiter de problématiques qui sont connues dans les milieux d’experts depuis déjà des dizaines d’années et dont les solutions sont aussi connues dans ces milieux-là spécialisés mais qui ont du mal à sortir et à être visibilisé aux yeux du grand public et donc, moi je ne sers que de pont entre les experts et les citoyens. Là où Bruscope va peut-être un peu perdre de sa neutralité, ça va être dans le choix des thèmes qu’on va aborder.
Je pense que la neutralité n’existe pas, même dans la recherche.
Comment est-ce qu’on écrit une revue sur ces thématiques quand on n’est pas spécialement professionnel dans ces domaines ?
C’est une très bonne question. Moi, pour l’instant, je suis la principale rédactrice des revues chez Bruscope et je ne me considère absolument pas comme une experte. Et je me considère comme une experte d’aucun des sujets que je vais traiter, mais je vais, comme une journaliste, me documenter au maximum sur ces sujets-là, et me concentrer sur les papiers de recherche. Ça va être un peu la différence avec les journalistes qui vont plutôt faire de l’investigation plus qualitative sur le terrain, moi, je vais vraiment me plonger dans la documentation socio-économique, et essayer de faire le relais de façon plus vulgarisée sur des papiers de recherche qui sont assez indigestes. Cependant, je ne pourrais jamais me considérer comme une experte de ces sujets-là donc il y aura évidemment des pincettes à prendre parce que ça reste de la vulgarisation et qu’on essaye de toucher le public le plus cosmopolite qui soit.
La première revue parlait de l’état du logement locatif à Bruxelles et la deuxième revue traite de l’inclusion des femmes sur le marché de l’emploi. Comment sont décidés les sujets des revues en sachant évidemment qu’ils doivent toucher un grand nombre de personnes à Bruxelles ?
Nous chez Bruscope, on va traiter d’un sujet périodiquement. Le premier a été le logement, la deuxième revue est sur l’inclusion des femmes sur le marché de l’emploi. Alors, comment est-ce qu’on décide du sujet ? D’abord on en parle au sein de l’équipe et donc ça se fait sous un consensus, on se met d’accord sur le sujet. Tout ça dépend évidemment des opportunités, soit de financement, soit des expertises de chacun, soit de l’actualité ou des choses comme ça. Cela étant, le premier sujet qui a été l’accès aux logements abordables à Bruxelles, ça a été un peu une évidence pour nous, parce que chaque année, le poids du loyer est de plus en plus grand par rapport à notre revenu. Tout ça pour dire que les premières problématiques qu’on va traiter chez Bruscope, ça va être assez évident. Disons qu’il y a logement, emploi, mobilité, pouvoir d’achat. Et puis je pense que ce sera après où il faudra un peu plus voir notre public cible, qu’est-ce qui l’intéresse, voir comment l’intégrer à la réflexion pour voir quel sujet il voudrait qu’on traite, etc.
La création d’un nouveau média à Bruxelles peut être une tâche ardue. Quels sont les plus grands défis auxquels tu dois faire face ? Y a-t-il une grande concurrence dans le secteur des médias indépendants ?
Le plus grand défi auquel on doit faire face, c’est évidemment le financement. Nous, on a vraiment à cœur de rester un média indépendant et donc de ne pas contracter de crédit. On souhaiterait devenir un média participatif et donc d’être auto-financé par la communauté. Néanmoins ça demande d’abord d’établir une certaine crédibilité aux yeux du public, ce qu’on est en train d’essayer de faire, donc on fait beaucoup de boulot bénévole, que ce soit pour la rédaction, la promotion, etc. On essaie d’obtenir quelques financements publics, quelques subventions, mais ça viendra aussi avec le temps. Maintenant pour la question de la concurrence, je pense que comme Bruscope est une association, une ASBL et qu’on fait partie de l’économie sociale et solidaire comme la plupart des médias indépendants, on n’est pas tellement dans une optique de compétition et de concurrence mais plutôt de collaboration. Je ne suis pas sûre que les autres médias indépendants bruxellois nous connaissent déjà mais je pense que ce sera plus du donnant-donnant que de se tirer dans les pattes. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde.
La première revue a également été mise à disposition en ligne. Pourquoi avoir fait ce choix et est-ce que ça le restera ?
Effectivement, ça nous tenait à cœur que tout ce qu’on produise soit le plus accessible possible, et même gratuitement. Maintenant, il y a évidemment des coûts de fonctionnement, il y a des coûts fixes dont on ne peut pas échapper. On a donc décidé de mettre la deuxième revue payante, mais avec deux prix : c’est 15 ou 25 euros. L’objectif, c’est de pouvoir payer ces coûts fixes grâce au financement de la revue. Maintenant, pour être tout à fait honnête, notre business model, il est encore en évolution. On ne sait pas vraiment quelle activité commerciale on va prendre, qu’est-ce qui sera gratuit ou pas. On va continuer à faire de la vulgarisation sur les réseaux sociaux. On va aussi faire le tour des librairies pour voir si on ne peut pas déposer quelques exemplaires dans ces librairies-là. Et sinon, on a déjà un point de relais au Wolf, la maison de la littérature jeunesse. N’hésitez pas à passer, vous pourrez y acheter notre livre !
Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde.
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Chaque cause en son temps
En cinquante ans, le pays noir a-t-il pris des couleurs ? Maison Arc-en-Ciel, Fête de l’Amour et même passage pour piétons Arc-en-Ciel… Depuis 2023, la ville a même inscrit la lutte contre les discriminations LGBTQIA+ dans ses priorités. Beaucoup d’initiatives sur le papier, un léger décalage avec la réalité.
1975, Tamines (18 km de Charleroi). Jean a 26 ans. Il ne va pas passer par quatre chemins, il aime les hommes. Il le sait. Depuis toujours. Ses parents aussi, il ne leur a jamais caché. Mais eux espéraient que « ça passe » un jour. Jean savait bien que non. Quand il a eu 18 ans, il leur a confirmé qu’il était homosexuel. « Je ne te mets pas à la porte mais si tu pars, ne viens jamais pleurer pour qu’on te reprenne », avait averti son père. Une table, deux chaises. C’est tout ce que le garçon avait pu se permettre quand il a quitté la maison familiale. Sa mère n’a pas voulu couper le cordon, elle récupère son linge et fait ses lessives en cachette. La ville entière a le nez dans les mines. La Bataille du charbon, lancée par le nouveau Premier ministre Achille Van Acker, fait régner la culture ouvrière et son virilisme patent. Et la médecine le considère comme un malade mental. Mais Jean n’est pas malheureux. Il n’a pas d’idées noires, n’a pas sombré dans l’alcool. Son homosexualité, c’est sa liberté.
2025, Charleroi. Adhen a 25 ans. Cheveux courts bruns, deux mèches encerclent le haut de son visage. Un rire un peu pudique chaque fois qu’il parle de lui. Adhen est né dans un corps de femme. Il y a quatre ans, il s’est rendu compte qu’il était un homme. Dans ce corps de femme, il est d’abord sortie avec une fille. Dans les couloirs du secondaire, il a d’abord connu l’homophobie. C’était sa première histoire d’amour. Il avait 16 ans. « Il y avait des rumeurs comme quoi on aurait fait des choses dans les couloirs ». L’époque contemporaine a du fil à retordre. « Depuis début 2025, il y a vraiment des retours affolants. C’est ok d’être homophobe et on le dit fièrement. Les structures jeunesse, le corps enseignant, ne savent pas quoi faire », s’inquiète Céline Claassen, chargée du GrIS, un projet de sensibilisation aux questions LGBT dans les écoles.
Depuis 2022, la transidentité n’est plus considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé. Mais la montée des extrêmes droites aux États-Unis et en Europe a ouvert les vannes d’un déferlement de haine. Et les jeunes ne sont pas épargnés. Charlie, garçon transgenre en sixième secondaire, évite les toilettes de son école. « Sinon je me fais agresser », déplore-t-il. Dans un de ses travaux publié en 2019, la sociologue du droit Isabelle Carles écrivait : « Les hommes gays se sentent tolérés et acceptés par la population de Charleroi tant qu’ils développent une image masculine que la population peut interpréter comme une expression hétérosexuelle d’hégémonie masculine. Ce qui exclut d’emblée les autres membres de la communauté LGBT, à savoir les lesbiennes et les personnes transgenres ».
Adhen a ensuite connu la vie d’hétérosexuel, quand il s’est mis en couple avec des hommes, toujours dans ce corps d’apparence féminine. Un plus âgé, avec qui c’était difficile d’être soi. Son deuxième mec était plus sain, mais la première relation avait laissé de vieux réflexes. « Je faisais beaucoup en fonction des critères de l’autre ». Il sentait bien que quelque chose clochait, mais ne trouvait pas d’espace pour y penser. « C’est quand je me suis retrouvé célibataire que je me suis rendu compte que j’étais transgenre », se souvient-il. Personne autour de lui ne semblait vivre la même situation. Tout le monde se retrouvait dans le moule.
Jusqu’à arriver dans le supérieur. « Et encore ». Une amie bisexuelle et non-binaire, c’est tout ce que la haute école de Montignies-sur-Sambre avait à lui offrir. Plutôt introverti, il avait besoin de rencontrer des gens de la communauté. « On vit les mêmes expériences donc c’est plus simple ». C’est là qu’il découvre le CHECK, le cercle de jeunes LGBTQIA+ de Charleroi hébergé par la Maison Arc-en-ciel (MAC). Emma, une de ses amies du cercle, renchérie : « sans la MAC, ce serait le désert de connaissance ». La Maison arc-en ciel, un havre au détour de la rue du Pont Neuf. C’est là qu’Adhen a formé sa bande d’amis. Au début, il les retrouvait le mercredi, à 18 heures. Il se rendait au pied de l’immeuble et sonnait sur l’interrupteur du bas. Ne pas se tromper, on ne voudrait pas déranger les voisins. On leur dit bonjour quand on les croise en bas, de retour du Quick ou du Syrien. Deux bonnes adresses et une bonne excuse pour filer de ce local qui commençait à être trop rempli. Maintenant le rendez-vous est un peu plus tôt, en dehors de la MAC. Adhen rejoint Emma et Charlie, arrivés en même temps que lui au cercle. Tous les trois le disent, ils ne sont pas les Carolos les plus fêtards. Emma aimerait tout de même aller plus souvent au Rockerill, ancienne friche industrielle réhabilitée en salle de concert. « La musique est trop cool mais il faut pouvoir y aller ». A Marchienne-au-Pont, le dernier métro part à 20h, même le weekend. Alors ils trainent, se baladent en ville, dans des endroits dont ceux qui ne roulent pas sur l’or peuvent profiter. Parfois sur les quais, par où passe le RAVeL qui longe la Sambre jusqu’à Namur ou la frontière française. Cette fois-ci, au parc du centre. Le trio dore au soleil avant que l’heure de la permanence ne sonne. 17h55, il faut filer. Emma embarque sa canette de Dr Pepper goût noix de coco.
1975. 20h, Jean arrive au parc. Pas celui de Charleroi. A La Louvière, il y a plus de monde. Quand il n’est pas dans les bars avec sa bande, il valse dans les parcs, pour aller draguer en toute discrétion. Vêtements colorés style hippie, le jeune homme n’a pas succombé aux cheveux longs. Au bar, les âges se mélangent. Il côtoie les plus âgés, récolte de précieux conseils de vie qu’il ne recevra plus de ses parents. Trouver un travail, mettre de l’argent de côté pour plus tard. Tu verras, tu seras content de pouvoir t’acheter une maison et partir en vacances avec ton mec. La drague est facile. Un regard et chacun comprend tout de suite le désir qu’il cherche pour l’autre.
2025, Charleroi, salle à manger de Jean. Accoudé sur sa nappe rouge en toile ciré, le septuagénaire feuillette le programme de la ville. Les Big Fights, Charleroi LGBTQIA+ Friendly City. « Des spectacles, du théâtre, ça j’irai tiens ». Maintenant, dans Charleroi, il est Petit Jean. « Parce que j’aide les autres, comme dans Robin des bois », s’amuse-t-il. Trois centimètres de cheveux blanchis par l’âge et un t-shirt jaune poussin. Un adepte des lieux culturels comme l’Eden et le cinéma comme il l’a toujours été. Depuis la mort de son compagnon, il y a deux ans, pas de nouvelle aventure. Où sont les vieux gays de Charleroi ? « Ou ils sont tous cachés, ou ils sont tous introvertis », plaisante Jean, lassé de chercher à comprendre. Ceux qui habitaient encore ici dans sa jeunesse seraient partis. Ou peut-être ne sont-ils jamais sortis du placard.
Quand il a annoncé à sa mère qu’il était transgenre, Adhen aurait voulu qu’elle lui pose des questions. Elle a choisi de ne rien dire. Pas de rejet, pas de soutien non plus. Une réaction tiède. « Je voulais aller à la MAC avec elle pour qu’elle puisse poser des questions ». Mais les deux assistantes sociales étaient déjà en arrêt maladie depuis plusieurs mois. Dommage.
Depuis le début de l’année, l’association ne répondait ni aux mails, ni aux coups de fils, ni aux messages sur les réseaux sociaux. Même les permanences d’accueil n’étaient pas assurées. Les budgets de la Région wallonne ne permettent de ne financer que deux postes. Pourtant, l’asbl est l’unique interlocuteur de confiance pour les Carolos de la communauté. « La Maison Arc-en-ciel m’avait conseillé un bon psychiatre », témoigne Adhen aux jeunes du CHECK, alors qu’Alexia s’insurge : « On ne m’a jamais conseillé un bon médecin à Charleroi ». Pour ses soins médicaux, la jeune femme fait le déplacement jusqu’à Bruxelles. Pourtant, la question LGBTQIA+ n’est pas absente de la politique de Charleroi. Depuis 2023, la lutte contre les discriminations homophobes et transphobes fait partie des cinq grands combats de la ville. En 2024, le Grand hôpital de Charleroi s’engage à trouver des professionnels de la santé formés aux questions de transidentité. Depuis des services ont été mis en place. Encore faut-il le savoir. Si la MAC est fermée, à qui demander ? « Il y a sûrement des gens qui se posent des questions et qui ne trouvent pas les réponses parce qu’elles ne sont pas facilement trouvables sur internet. C’est le problème d’être en Belgique, quand on cherche des informations, on tombe sur des associations en France », explique Emma, bénéficiaire de la MAC Charleroi.
Depuis l’été 2023, le Boys trône fièrement sur la place de la Digue. Un drapeau arc-en-ciel sur la devanture. Les gérants Bruno et Johan n’ont jamais eu de problème. « Dans notre clientèle, il y a beaucoup de gens qui ne sortaient qu’à Bruxelles à cause du sentiment d’insécurité », analyse Bruno. Le lieu est ouvert à tout le monde « pas seulement aux gays », se félicite le couple. Peut-être une des raisons qui freine les jeunes du CHECK à venir en terrasse.
Sans forcément arborer une devanture multicolore, de plus en plus de bars ont la réputation d’être accueillants et safe pour les personnes de la communauté. « Charleroi a sa mauvaise réputation mais ça change petit à petit avec de nouveaux lieux culturels », estime Alexandre, employé du café le Chien Vert. « Il y a vingt ans, ce n’était pas du tout comme ça », ajoute le Carolo.
Si Adhen était né il y a cinquante ans, peut-être Jean et lui se seraient-ils rencontrés. Peut-être que Jean ne serait jamais allé à ce vernissage. Alors il ne se serait pas retrouvé devant cette toile, un verre de vin à la main, à discuter avec Jean-Pierre qui partagera 40 ans de sa vie. Il n’aurait probablement pas connu sa mère chez qui il a souvent évité de rester manger pour « ne pas éveiller les soupçons » avant que tous les deux apprennent qu’elle « l’a toujours su ». Mais peut-être que cinquante ans en arrière, Adhen n’aurait pas trouvé d’amis qui vivent la même chose que lui. Qui comprennent dans leur chair ce qu’il traverse, depuis qu’il a franchi la vingtaine. Pourtant, difficile de dire si sa vie aurait été moins facile. 2024 et son nombre d’élections record ont fait émerger de multiples crises politiques. Si la Belgique est pour le moment épargnée, de plus en plus de pays d’Europe voient les droits des personnes LGBTQIA+ directement menacés. Jean aurait voulu être artiste, mais tout le monde partait à l’usine. Les années n’ont pas effacé son grain de folie. A l’arrière de son crâne, il a tatoué son numéro de registre national, « pour que si on me retrouve, on sache qui je suis ».
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Regarde Charleroi dans les yeux
Photo: Elise Houben
Il existe des journalistes du savoir et des journalistes du regard. « Les premiers sont ceux qui savent sans aller voir sur le terrain, les seconds ne savent pas donc ils vont voir sur le terrain, parce que le terrain ne ment jamais », observe le journaliste français Sorj Chalandon.
L’atelier de photojournalisme donné par Olivier Bailly, Colin Delfosse et Laurent Poma s’inscrit résolument dans la tradition du terrain. Pendant cinq semaines, sous leur conduite, 14 étudiant·es en journalisme se sont plongés dans la réalité de Charleroi.
Pendant cinq semaines, ils et elles ont questionné la présence absente de l’Unif, la loterie du logement social, la réinsertion par la formation. Écouté les mères seules, les artistes du terroir, les femmes qui nettoient et se noient, les alcooliques abstinents. Rencontré les chiens et les hommes, les Ultras interdits, les jeunes et leur art, des carolos trans’ et homos.
Cinq semaines, c’est infime dans le temps d’une ville. A l’échelle de la production journalistique, c’est beaucoup. Retrouvez leurs travaux ci-dessous.
Debout, toujours Pas foule au Campus de Charleroi Le futur c’était mieux avant Seule en mère Ensuite, on verra bien Les Storm Ultras, illuminés dans la pénombre du Pays Noir Derrière la porte 24 heures à la fois Mur après murThe post Regarde Charleroi dans les yeux appeared first on Mammouth Média.