Mammouth
Droit au but
Photo: Sofia El Bachrioui
« Les petits cailloux font des grandes montagnes. »
Maroua Sebahi, coach de football féminin, vit et s’épanouit à travers sa passion pour le foot et son amour pour les autres. Elle se bat continuellement pour ses droits et pour s’assurer de l’épanouissement de ses joueuses. Maroua ne marque pas des buts, elle marque les esprits.
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L’amour de ma vie
Pendant longtemps, Margaux a attendu, elle en a rêvé. Puis un jour elle a décidé de ne plus attendre et de devenir maman solo.
Ce documentaire raconte l’histoire d’un rêve puissant, d’un parcours singulier et d’un amour inconditionnel.
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Le son du silence
Photo: Chiara De Baggis
Il y a des absences qui redéfinissent tout. Vivre avec, plutôt que chercher à oublier. Les jours passent ou les jours défilent… Et finalement, on réalise qu’on est heureux d’entendre le murmure des oiseaux, même s’ils sont étouffés à cause du double vitrage.
Un film sur ceux qui restent quand l’autre part pour un long voyage. Sur la solitude, le temps qui passe et les futilités qui redonnent envie de vivre à nouveau, malgré tout.
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Le bruit des souvenirs
Crédit photo: Image générée par IA
« On ne s’en remet jamais, non.« Dans ce podcast, deux militaires lèvent le voile sur un sujet longtemps resté tabou dans l’armée : le syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Philippe, ancien casque bleu déployé lors du génocide au Rwanda, et Frédéric, vétéran de la guerre en Afghanistan, partagent leurs expériences. À travers leurs témoignages, se dessinent les séquelles psychologiques durables des missions de guerre et les limites du soutien apporté aux soldats une fois rentrés.
TW : Ce podcast comporte des sujets sensibles tels la guerre, les massacres et le suicide.
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Une partie de moi
La danse classique, une discipline qui demande une certaine forme physique. Comment se retrouver après avoir eu un enfant et quel est son rapport au corps? Sandrine Balleux partage son ressenti.
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« Laisse Nous Faire » : L’indépendance dans le rap belge
©Track.32
En général, Le rap n’a jamais eu les portes grandes ouvertes. Trop cru, trop codé, trop « quartier » pour les majors, trop bruyant pour les vitrines. Pendant longtemps, il s’est construit en marge de la tendance, dans les interstices où personne ne pensait que quelque chose pouvait pousser. Pour les rappeurs, être indépendant, ce n’était pas un choix : c’était une nécessité. Faire sans moyens, mais faire quand même.
Depuis les années 90, les lignes ont bougé. Le rap est partout, omniprésent dans les charts, les campagnes pub, les playlists éditoriales des plateformes. Pourtant, son ADN reste le même. Des figures comme MC Solaar, la Mafia K’1 Fry, IAM ou Kery James ont pavé la voie pour des générations qui n’ont jamais attendu la validation des maisons de disques. En Belgique, Starflam, CNN199, Benny B ont écrit les premières mesures d’un rap “de chez nous”, longtemps resté dans l’ombre de l’Hexagone.
Puis, sont venus en 2015 les coups d’éclat : Hamza, Damso, Caballero & JeanJass. La Belgique est devenue un accent dans le rap francophone. Et ce qu’ils ont tous en commun, c’est d’avoir commencé seuls, hors des radars, hors des réseaux balisés. L’indépendance comme outil de survie, mais aussi comme mode d’expression.
C’est cette énergie-là que Track.32, média musical bruxellois, a décidé de capter. Pendant plus d’un an, six étudiants de l’IHECS ont enquêté, creusé, tendu le micro à ceux qu’on n’écoute jamais assez. Le résultat : Laisse Nous Faire, un documentaire brut et sincère sur l’indépendance dans le rap en Fédération Wallonie-Bruxelles. On y retrace le parcours de Geeeko, artiste au parcours semé d’embûches et ayant choisi aujourd’hui la voie de l’indépendance. On y trouve aussi le point de vue de journalistes, managers, mais surtout d’artistes, qui racontent un quotidien sans filtre : les galères de financement, les clips autoproduits, la surcharge de travail, mais surtout la fierté et la liberté de tout faire par soi-même.
Plus qu’un simple documentaire, Laisse Nous Faire est une déclaration d’amour à un écosystème encore fragile, mais bien vivant. Une cartographie sensible de ce que signifie « être rappeur indépendant » aujourd’hui, dans un pays où les projecteurs sont rares, mais où la lumière est bien présente.
La rédaction vous propose de découvrir le documentaire ci-dessous !
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Je n’attendrai plus l’orage
Photo: Juliette Dussart
« Quand j’étais malade, je n’avais pas l’impression d’être malade ». Adèle a 20 ans. Pour elle, la vie est précieuse et mérite d’être vécue à 100 %. Pourtant, à une période de sa vie, tout a bien failli s’effondrer. Une période qui reste dans la mémoire, mais qui lui permet d’avancer et de réaliser des rêves qu’elle n’osait même pas imaginer.
À travers ce documentaire, Adèle Fontaine partage son parcours face à l’anorexie et raconte les épreuves qu’elle a dû surmonter.
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Endométriose au travail: l’histoire de Léa
Mammouth est allé à la rencontre de Léa, étudiante dans l’horeca, qui, comme une femme sur dix, est atteinte d’endométriose. Comment concilier travail et crises? Comment gérer les shifts une fois la douleur insoutenable? Dans ce podcast, nous explorons comment sa maladie la freine dans son milieu professionnel.
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« Nous, on travaille »
Photo de Jessie McCall sur Unsplash
« J’ai fait une bêtise, c’est que je me suis rendu indispensable. »Stéphane est patron d’un restaurant bruxellois. Comme tant d’autres, il se sent submergé par les défis quotidiens qu’impose le milieu de la restauration. Pourquoi reste-t-il ? A quel prix ? Et pour combien de temps encore ?
Ce podcast n’est pas uniquement l’histoire de Stéphane, mais aussi celle de toutes celles et tous ceux qui, comme lui, affrontent le stress dans l’HORECA.
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Bruscope, une revue pour comprendre les enjeux sociaux bruxellois
Photo : Chloé Thôme
Créée pour offrir un espace de réflexion et de sensibilisation sur les questions sociales, la revue Bruscope explore des thématiques telles que l’inclusion sociale, la crise du logement et l’emploi. À la tête de cette initiative, Naomé Ide, mène ce projet avec passion et détermination. Dans cette interview, elle revient sur les défis liés à la création d’un média indépendant, sur les choix éditoriaux de Bruscope et sur les enjeux d’une presse engagée.
Mammouth : Bonjour Naomé, pour les lecteurs qui ne te connaissent pas et qui n’ont pas encore entendu parler de Bruscope, peux-tu te présenter et présenter le projet que tu as mis en place ?
Naomé Ide : Alors du coup, moi c’est Naomé Ide. Je me suis spécialisée en économie, j’étais à la Solvay Brussels School. Dès le départ, je savais que je voulais faire de la recherche. C’était vraiment le but, je voulais faire un doctorat. J’ai fait un an de recherche dans un centre de recherche d’économie appliquée et en fait j’ai très vite réalisé que personne ne lisait les papiers de recherche. Pour moi qui faisais de la recherche pour contribuer à changer le monde, ça a été une grosse désillusion et j’avais vraiment à cœur de faire des choses utiles en fait. J’ai donc quitté la recherche pour faire de la vulgarisation, pour essayer de combler le trou qu’il y avait entre les chercheurs et les citoyens. Et donc voilà, c’est comme ça qu’est né Bruscope.
Du coup qu’est-ce que c’est que Bruscope ? C’est un média de vulgarisation. On se concentre sur les problématiques socio-économiques bruxelloises. L’objectif, c’est vraiment de sensibiliser les Bruxellois aux enjeux socio-économiques de leur ville et surtout mettre en lumière les solutions des chercheurs sur ces problématiques-là, parce qu’en réalité, les solutions sont à portée de main. Et donc il ne reste plus qu’à les mettre en œuvre mais cela demande une décision politique et donc il faut que les citoyens en aient conscience pour pouvoir voter de façon consciente et pour pouvoir renforcer le pouvoir démocratique.
La vulgarisation scientifique peut poser certains dilemmes de neutralité. Est-ce que Bruscope est politisé ? Et si oui, est-ce que cela pose un problème de légitimité au média ?
Alors, c’est sûr. On essaye d’être le plus neutre possible, mais je pense que la neutralité n’existe pas, même dans la recherche. Et donc, il est assez évident qu’on adopte un point de vue qui est féministe, écologiste, progressiste. Maintenant, on va généralement traiter de problématiques qui sont connues dans les milieux d’experts depuis déjà des dizaines d’années et dont les solutions sont aussi connues dans ces milieux-là spécialisés mais qui ont du mal à sortir et à être visibilisé aux yeux du grand public et donc, moi je ne sers que de pont entre les experts et les citoyens. Là où Bruscope va peut-être un peu perdre de sa neutralité, ça va être dans le choix des thèmes qu’on va aborder.
Je pense que la neutralité n’existe pas, même dans la recherche.
Comment est-ce qu’on écrit une revue sur ces thématiques quand on n’est pas spécialement professionnel dans ces domaines ?
C’est une très bonne question. Moi, pour l’instant, je suis la principale rédactrice des revues chez Bruscope et je ne me considère absolument pas comme une experte. Et je me considère comme une experte d’aucun des sujets que je vais traiter, mais je vais, comme une journaliste, me documenter au maximum sur ces sujets-là, et me concentrer sur les papiers de recherche. Ça va être un peu la différence avec les journalistes qui vont plutôt faire de l’investigation plus qualitative sur le terrain, moi, je vais vraiment me plonger dans la documentation socio-économique, et essayer de faire le relais de façon plus vulgarisée sur des papiers de recherche qui sont assez indigestes. Cependant, je ne pourrais jamais me considérer comme une experte de ces sujets-là donc il y aura évidemment des pincettes à prendre parce que ça reste de la vulgarisation et qu’on essaye de toucher le public le plus cosmopolite qui soit.
La première revue parlait de l’état du logement locatif à Bruxelles et la deuxième revue traite de l’inclusion des femmes sur le marché de l’emploi. Comment sont décidés les sujets des revues en sachant évidemment qu’ils doivent toucher un grand nombre de personnes à Bruxelles ?
Nous chez Bruscope, on va traiter d’un sujet périodiquement. Le premier a été le logement, la deuxième revue est sur l’inclusion des femmes sur le marché de l’emploi. Alors, comment est-ce qu’on décide du sujet ? D’abord on en parle au sein de l’équipe et donc ça se fait sous un consensus, on se met d’accord sur le sujet. Tout ça dépend évidemment des opportunités, soit de financement, soit des expertises de chacun, soit de l’actualité ou des choses comme ça. Cela étant, le premier sujet qui a été l’accès aux logements abordables à Bruxelles, ça a été un peu une évidence pour nous, parce que chaque année, le poids du loyer est de plus en plus grand par rapport à notre revenu. Tout ça pour dire que les premières problématiques qu’on va traiter chez Bruscope, ça va être assez évident. Disons qu’il y a logement, emploi, mobilité, pouvoir d’achat. Et puis je pense que ce sera après où il faudra un peu plus voir notre public cible, qu’est-ce qui l’intéresse, voir comment l’intégrer à la réflexion pour voir quel sujet il voudrait qu’on traite, etc.
La création d’un nouveau média à Bruxelles peut être une tâche ardue. Quels sont les plus grands défis auxquels tu dois faire face ? Y a-t-il une grande concurrence dans le secteur des médias indépendants ?
Le plus grand défi auquel on doit faire face, c’est évidemment le financement. Nous, on a vraiment à cœur de rester un média indépendant et donc de ne pas contracter de crédit. On souhaiterait devenir un média participatif et donc d’être auto-financé par la communauté. Néanmoins ça demande d’abord d’établir une certaine crédibilité aux yeux du public, ce qu’on est en train d’essayer de faire, donc on fait beaucoup de boulot bénévole, que ce soit pour la rédaction, la promotion, etc. On essaie d’obtenir quelques financements publics, quelques subventions, mais ça viendra aussi avec le temps. Maintenant pour la question de la concurrence, je pense que comme Bruscope est une association, une ASBL et qu’on fait partie de l’économie sociale et solidaire comme la plupart des médias indépendants, on n’est pas tellement dans une optique de compétition et de concurrence mais plutôt de collaboration. Je ne suis pas sûre que les autres médias indépendants bruxellois nous connaissent déjà mais je pense que ce sera plus du donnant-donnant que de se tirer dans les pattes. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde.
La première revue a également été mise à disposition en ligne. Pourquoi avoir fait ce choix et est-ce que ça le restera ?
Effectivement, ça nous tenait à cœur que tout ce qu’on produise soit le plus accessible possible, et même gratuitement. Maintenant, il y a évidemment des coûts de fonctionnement, il y a des coûts fixes dont on ne peut pas échapper. On a donc décidé de mettre la deuxième revue payante, mais avec deux prix : c’est 15 ou 25 euros. L’objectif, c’est de pouvoir payer ces coûts fixes grâce au financement de la revue. Maintenant, pour être tout à fait honnête, notre business model, il est encore en évolution. On ne sait pas vraiment quelle activité commerciale on va prendre, qu’est-ce qui sera gratuit ou pas. On va continuer à faire de la vulgarisation sur les réseaux sociaux. On va aussi faire le tour des librairies pour voir si on ne peut pas déposer quelques exemplaires dans ces librairies-là. Et sinon, on a déjà un point de relais au Wolf, la maison de la littérature jeunesse. N’hésitez pas à passer, vous pourrez y acheter notre livre !
Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde.
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Chaque cause en son temps
En cinquante ans, le pays noir a-t-il pris des couleurs ? Maison Arc-en-Ciel, Fête de l’Amour et même passage pour piétons Arc-en-Ciel… Depuis 2023, la ville a même inscrit la lutte contre les discriminations LGBTQIA+ dans ses priorités. Beaucoup d’initiatives sur le papier, un léger décalage avec la réalité.
1975, Tamines (18 km de Charleroi). Jean a 26 ans. Il ne va pas passer par quatre chemins, il aime les hommes. Il le sait. Depuis toujours. Ses parents aussi, il ne leur a jamais caché. Mais eux espéraient que « ça passe » un jour. Jean savait bien que non. Quand il a eu 18 ans, il leur a confirmé qu’il était homosexuel. « Je ne te mets pas à la porte mais si tu pars, ne viens jamais pleurer pour qu’on te reprenne », avait averti son père. Une table, deux chaises. C’est tout ce que le garçon avait pu se permettre quand il a quitté la maison familiale. Sa mère n’a pas voulu couper le cordon, elle récupère son linge et fait ses lessives en cachette. La ville entière a le nez dans les mines. La Bataille du charbon, lancée par le nouveau Premier ministre Achille Van Acker, fait régner la culture ouvrière et son virilisme patent. Et la médecine le considère comme un malade mental. Mais Jean n’est pas malheureux. Il n’a pas d’idées noires, n’a pas sombré dans l’alcool. Son homosexualité, c’est sa liberté.
2025, Charleroi. Adhen a 25 ans. Cheveux courts bruns, deux mèches encerclent le haut de son visage. Un rire un peu pudique chaque fois qu’il parle de lui. Adhen est né dans un corps de femme. Il y a quatre ans, il s’est rendu compte qu’il était un homme. Dans ce corps de femme, il est d’abord sortie avec une fille. Dans les couloirs du secondaire, il a d’abord connu l’homophobie. C’était sa première histoire d’amour. Il avait 16 ans. « Il y avait des rumeurs comme quoi on aurait fait des choses dans les couloirs ». L’époque contemporaine a du fil à retordre. « Depuis début 2025, il y a vraiment des retours affolants. C’est ok d’être homophobe et on le dit fièrement. Les structures jeunesse, le corps enseignant, ne savent pas quoi faire », s’inquiète Céline Claassen, chargée du GrIS, un projet de sensibilisation aux questions LGBT dans les écoles.
Depuis 2022, la transidentité n’est plus considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé. Mais la montée des extrêmes droites aux États-Unis et en Europe a ouvert les vannes d’un déferlement de haine. Et les jeunes ne sont pas épargnés. Charlie, garçon transgenre en sixième secondaire, évite les toilettes de son école. « Sinon je me fais agresser », déplore-t-il. Dans un de ses travaux publié en 2019, la sociologue du droit Isabelle Carles écrivait : « Les hommes gays se sentent tolérés et acceptés par la population de Charleroi tant qu’ils développent une image masculine que la population peut interpréter comme une expression hétérosexuelle d’hégémonie masculine. Ce qui exclut d’emblée les autres membres de la communauté LGBT, à savoir les lesbiennes et les personnes transgenres ».
Adhen a ensuite connu la vie d’hétérosexuel, quand il s’est mis en couple avec des hommes, toujours dans ce corps d’apparence féminine. Un plus âgé, avec qui c’était difficile d’être soi. Son deuxième mec était plus sain, mais la première relation avait laissé de vieux réflexes. « Je faisais beaucoup en fonction des critères de l’autre ». Il sentait bien que quelque chose clochait, mais ne trouvait pas d’espace pour y penser. « C’est quand je me suis retrouvé célibataire que je me suis rendu compte que j’étais transgenre », se souvient-il. Personne autour de lui ne semblait vivre la même situation. Tout le monde se retrouvait dans le moule.
Jusqu’à arriver dans le supérieur. « Et encore ». Une amie bisexuelle et non-binaire, c’est tout ce que la haute école de Montignies-sur-Sambre avait à lui offrir. Plutôt introverti, il avait besoin de rencontrer des gens de la communauté. « On vit les mêmes expériences donc c’est plus simple ». C’est là qu’il découvre le CHECK, le cercle de jeunes LGBTQIA+ de Charleroi hébergé par la Maison Arc-en-ciel (MAC). Emma, une de ses amies du cercle, renchérie : « sans la MAC, ce serait le désert de connaissance ». La Maison arc-en ciel, un havre au détour de la rue du Pont Neuf. C’est là qu’Adhen a formé sa bande d’amis. Au début, il les retrouvait le mercredi, à 18 heures. Il se rendait au pied de l’immeuble et sonnait sur l’interrupteur du bas. Ne pas se tromper, on ne voudrait pas déranger les voisins. On leur dit bonjour quand on les croise en bas, de retour du Quick ou du Syrien. Deux bonnes adresses et une bonne excuse pour filer de ce local qui commençait à être trop rempli. Maintenant le rendez-vous est un peu plus tôt, en dehors de la MAC. Adhen rejoint Emma et Charlie, arrivés en même temps que lui au cercle. Tous les trois le disent, ils ne sont pas les Carolos les plus fêtards. Emma aimerait tout de même aller plus souvent au Rockerill, ancienne friche industrielle réhabilitée en salle de concert. « La musique est trop cool mais il faut pouvoir y aller ». A Marchienne-au-Pont, le dernier métro part à 20h, même le weekend. Alors ils trainent, se baladent en ville, dans des endroits dont ceux qui ne roulent pas sur l’or peuvent profiter. Parfois sur les quais, par où passe le RAVeL qui longe la Sambre jusqu’à Namur ou la frontière française. Cette fois-ci, au parc du centre. Le trio dore au soleil avant que l’heure de la permanence ne sonne. 17h55, il faut filer. Emma embarque sa canette de Dr Pepper goût noix de coco.
1975. 20h, Jean arrive au parc. Pas celui de Charleroi. A La Louvière, il y a plus de monde. Quand il n’est pas dans les bars avec sa bande, il valse dans les parcs, pour aller draguer en toute discrétion. Vêtements colorés style hippie, le jeune homme n’a pas succombé aux cheveux longs. Au bar, les âges se mélangent. Il côtoie les plus âgés, récolte de précieux conseils de vie qu’il ne recevra plus de ses parents. Trouver un travail, mettre de l’argent de côté pour plus tard. Tu verras, tu seras content de pouvoir t’acheter une maison et partir en vacances avec ton mec. La drague est facile. Un regard et chacun comprend tout de suite le désir qu’il cherche pour l’autre.
2025, Charleroi, salle à manger de Jean. Accoudé sur sa nappe rouge en toile ciré, le septuagénaire feuillette le programme de la ville. Les Big Fights, Charleroi LGBTQIA+ Friendly City. « Des spectacles, du théâtre, ça j’irai tiens ». Maintenant, dans Charleroi, il est Petit Jean. « Parce que j’aide les autres, comme dans Robin des bois », s’amuse-t-il. Trois centimètres de cheveux blanchis par l’âge et un t-shirt jaune poussin. Un adepte des lieux culturels comme l’Eden et le cinéma comme il l’a toujours été. Depuis la mort de son compagnon, il y a deux ans, pas de nouvelle aventure. Où sont les vieux gays de Charleroi ? « Ou ils sont tous cachés, ou ils sont tous introvertis », plaisante Jean, lassé de chercher à comprendre. Ceux qui habitaient encore ici dans sa jeunesse seraient partis. Ou peut-être ne sont-ils jamais sortis du placard.
Quand il a annoncé à sa mère qu’il était transgenre, Adhen aurait voulu qu’elle lui pose des questions. Elle a choisi de ne rien dire. Pas de rejet, pas de soutien non plus. Une réaction tiède. « Je voulais aller à la MAC avec elle pour qu’elle puisse poser des questions ». Mais les deux assistantes sociales étaient déjà en arrêt maladie depuis plusieurs mois. Dommage.
Depuis le début de l’année, l’association ne répondait ni aux mails, ni aux coups de fils, ni aux messages sur les réseaux sociaux. Même les permanences d’accueil n’étaient pas assurées. Les budgets de la Région wallonne ne permettent de ne financer que deux postes. Pourtant, l’asbl est l’unique interlocuteur de confiance pour les Carolos de la communauté. « La Maison Arc-en-ciel m’avait conseillé un bon psychiatre », témoigne Adhen aux jeunes du CHECK, alors qu’Alexia s’insurge : « On ne m’a jamais conseillé un bon médecin à Charleroi ». Pour ses soins médicaux, la jeune femme fait le déplacement jusqu’à Bruxelles. Pourtant, la question LGBTQIA+ n’est pas absente de la politique de Charleroi. Depuis 2023, la lutte contre les discriminations homophobes et transphobes fait partie des cinq grands combats de la ville. En 2024, le Grand hôpital de Charleroi s’engage à trouver des professionnels de la santé formés aux questions de transidentité. Depuis des services ont été mis en place. Encore faut-il le savoir. Si la MAC est fermée, à qui demander ? « Il y a sûrement des gens qui se posent des questions et qui ne trouvent pas les réponses parce qu’elles ne sont pas facilement trouvables sur internet. C’est le problème d’être en Belgique, quand on cherche des informations, on tombe sur des associations en France », explique Emma, bénéficiaire de la MAC Charleroi.
Depuis l’été 2023, le Boys trône fièrement sur la place de la Digue. Un drapeau arc-en-ciel sur la devanture. Les gérants Bruno et Johan n’ont jamais eu de problème. « Dans notre clientèle, il y a beaucoup de gens qui ne sortaient qu’à Bruxelles à cause du sentiment d’insécurité », analyse Bruno. Le lieu est ouvert à tout le monde « pas seulement aux gays », se félicite le couple. Peut-être une des raisons qui freine les jeunes du CHECK à venir en terrasse.
Sans forcément arborer une devanture multicolore, de plus en plus de bars ont la réputation d’être accueillants et safe pour les personnes de la communauté. « Charleroi a sa mauvaise réputation mais ça change petit à petit avec de nouveaux lieux culturels », estime Alexandre, employé du café le Chien Vert. « Il y a vingt ans, ce n’était pas du tout comme ça », ajoute le Carolo.
Si Adhen était né il y a cinquante ans, peut-être Jean et lui se seraient-ils rencontrés. Peut-être que Jean ne serait jamais allé à ce vernissage. Alors il ne se serait pas retrouvé devant cette toile, un verre de vin à la main, à discuter avec Jean-Pierre qui partagera 40 ans de sa vie. Il n’aurait probablement pas connu sa mère chez qui il a souvent évité de rester manger pour « ne pas éveiller les soupçons » avant que tous les deux apprennent qu’elle « l’a toujours su ». Mais peut-être que cinquante ans en arrière, Adhen n’aurait pas trouvé d’amis qui vivent la même chose que lui. Qui comprennent dans leur chair ce qu’il traverse, depuis qu’il a franchi la vingtaine. Pourtant, difficile de dire si sa vie aurait été moins facile. 2024 et son nombre d’élections record ont fait émerger de multiples crises politiques. Si la Belgique est pour le moment épargnée, de plus en plus de pays d’Europe voient les droits des personnes LGBTQIA+ directement menacés. Jean aurait voulu être artiste, mais tout le monde partait à l’usine. Les années n’ont pas effacé son grain de folie. A l’arrière de son crâne, il a tatoué son numéro de registre national, « pour que si on me retrouve, on sache qui je suis ».
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Regarde Charleroi dans les yeux
Photo: Elise Houben
Il existe des journalistes du savoir et des journalistes du regard. « Les premiers sont ceux qui savent sans aller voir sur le terrain, les seconds ne savent pas donc ils vont voir sur le terrain, parce que le terrain ne ment jamais », observe le journaliste français Sorj Chalandon.
L’atelier de photojournalisme donné par Olivier Bailly, Colin Delfosse et Laurent Poma s’inscrit résolument dans la tradition du terrain. Pendant cinq semaines, sous leur conduite, 14 étudiant·es en journalisme se sont plongés dans la réalité de Charleroi.
Pendant cinq semaines, ils et elles ont questionné la présence absente de l’Unif, la loterie du logement social, la réinsertion par la formation. Écouté les mères seules, les artistes du terroir, les femmes qui nettoient et se noient, les alcooliques abstinents. Rencontré les chiens et les hommes, les Ultras interdits, les jeunes et leur art, des carolos trans’ et homos.
Cinq semaines, c’est infime dans le temps d’une ville. A l’échelle de la production journalistique, c’est beaucoup. Retrouvez leurs travaux ci-dessous.
Debout, toujours Pas foule au Campus de Charleroi Le futur c’était mieux avant Seule en mère Ensuite, on verra bien Les Storm Ultras, illuminés dans la pénombre du Pays Noir Derrière la porte 24 heures à la fois Mur après murThe post Regarde Charleroi dans les yeux appeared first on Mammouth Média.
Pas foule au Campus de Charleroi
L’annonce réjouit : 10.000 étudiants à Charleroi ! Le campus universitaire carolo va incarner un nouveau départ. Pour les étudiants, pour son quartier : la Ville Haute. Ce projet porte l’espoir de changements. Il attirera les jeunes de la région, revitalisera tout un environnement et transformera Charleroi en ville universitaire. Mais un an et demi après la première rentrée académique en 2023, les commerces se demandes où sont ces étudiants qu’on leur avait promis.
Embouteillages en fin d’après-midi sur Bruxelles. Depuis cinq minutes, personne n’a bougé. Faut dire que les deux serveurs sont débordés. Trois cocktails à faire pour l’un, changer le fût pour l’autre. Sur la terrasse, les différentes peaux transpirantes discutent et rigolent, on n’entend plus les bus. À l’ULB, les cours sont terminés depuis une heure. Les étudiants sont libres d’aller boire un verre en terrasse, dans un parc ou un kot. Le rond point du cimetière d’Ixelles, la plaine du K et le bois de la Cambre sont bondés. Il n’est que 18h mais les estomacs sont vides, une file s’étend jusqu’à l’extérieur du Quick, et ce n’est pas parce que l’une des bornes automatiques est cassée. À 60km de là, c’est la même chanson. Une cinquantaine d’étudiants quittent le campus Zénobe Gramme de Charleroi. Mais la mélodie est différente, ils passent devant les bars mais n’y entrent pas. En vingt minutes, le campus et son quartier sont vides, un peu plus vides. Au moins, il n’y a pas d’embouteillages. Au Métro, café de l’avenue du Waterloo, Beka sert ses deux clients. Ils jouent aux machines à sous. Deux croque-monsieur et deux bières font connaissance avec le paquet de cigarettes sur leur table. De l’autre côté de la vitre, il y a de l’espace pour une terrasse. Mais les tables et chaises sont dans la cave, ou dans un couloir, on ne sait plus trop. À la place, rien. Juste cet homme, plus de poils sous le menton que sur le crâne, qui promène son chien. « Une université à Charleroi ? J’ai l’impression qu’elle n’existe pas, je ne vois jamais d’étudiants ».
Pourtant, elle est à deux rues : le Zénobe Gramme, ancien musée de 18.392 m2 bâti en 1903 pour l’Exposition Internationale de Charleroi, rénové en université. En face, il y a le bâtiment Maçonnerie où se trouvent classes, auditoires, zones d’étude et le BPS22, Musée d’art de la Province de Hainaut. Au total : 5 auditoires, 55 salles de cours, 450 places de laboratoire, 280 places de labo informatique et 120 bureaux. À cela s’ajoutent Solvay et l’université du travail Paul Pastur. Il est désormais possible d’étudier l’ingénierie, l’informatique, les sciences, l’architecture transmédia, l’urbanisme et bien d’autres. Rendre Charleroi universitaire, c’était l’envie de l’ancien bourgmestre Paul Magnette (PS). Selon Maxime Mori (PS), attaché de cabinet de l’actuel bourgmestre Thomas Dermine (PS), Magnette a voulu donner une justice historique à Charleroi, ville la plus peuplée de Wallonie, qui n’avait toujours pas son université. Ne pas en avoir provoquait un phénomène de désertification. « À Louvain-La-Neuve, il y a plus d’étudiants arrivants que d’habitants. Nous c’est l’inverse, les jeunes partent », explique Mori. Dès 2014, le Charleroi District Créatif, projet de 140 millions d’euros visant à développer la ville, est mis en place. Charleroi en investit 55 dans son nouveau campus à l’aide de fonds FEDER (Fonds Européen de Développement Régional) et de fonds du Gouvernement wallon. Ces derniers ont financé respectivement 40 et 50% du projet. Les 10% restants ont été apportés par la Ville et les différentes universités. L’ULB (Université Libre de Bruxelles) et l’UMONS (Université de Mons) sont les premiers à collaborer au projet de Magnette, ancien professeur à l’ULB. Quant à l’UCL (Université Catholique de Louvain), elle refuse d’y prendre part jusqu’en 2020, lorsqu’elle achète l’hôpital Notre-Dame pour y poser ses valises. Le campus a donc deux principaux objectifs : attirer les carolos et redynamiser son quartier.
Beaucoup d’espoir, peu d’étudiantsPas de zèbre universitaire à l’horizon dans le bas de l’avenue de Waterloo, artère reliant le sud au nord du quartier. Un Pizza Hut propose un menu étudiant pour moins de 7 euros. Bien essayé, mais la file se tient devant le comptoir du snack Waterloo. « Nous, évidemment qu’on est contents, on vend beaucoup plus de sandwichs à midi depuis l’ouverture du campus », s’enthousiasme la serveuse le pot de mayonnaise à la main. Il reste deux personnes à servir, pas de perte de temps. Les rues perpendiculaires jouent au roi du silence. Tout le monde est resté chez soi aujourd’hui. Ou alors, ils sont vers la Ville Basse, pour faire les magasins. Ceux du quartier disparaissent. De la poussière et des meubles abandonnés sont tout ce qu’on aperçoit aux vitrines. Rien à vendre, mais les lieux sont à acheter. « Kot à louer », le panneau de l’agence immobilière ne tient plus qu’à une vis. Une classe sort du Zénobe Gramme. « On va au Burger King de Rive Gauche ? », l’autre acquiesce et les voilà partis vers le centre commercial de la Ville Basse. Au Métro, Beka regarde un afflux descendant l’avenue de Waterloo. Personne ne rentre. « Je ne suis pas étonnée qu’ils ne viennent pas. C’est pas safe ici. Ils auraient dû laver le quartier avant d’y mettre les étudiants ». Plusieurs « je ne suis pas raciste mais » plus loin, elle pointera du doigt la porte. « J’ai dû y mettre une serrure en plus. Maintenant, il faut sonner pour rentrer dans le bar. Sinon, les dealers rentrent et vendent leur drogue ici. » Elle se rend derrière le comptoir. « J’ai une clef à molette et un grand couteau à fromage. Un jour un mec est rentré et a mis son canif devant moi. J’ai sorti mon couteau, il a vite bougé. Je me défends. Les étudiants ne le savent pas, c’est pour ça qu’ils n’habitent pas ici ». Pourtant, ils sont plusieurs à avoir été intéressés par l’annonce des 10.000 étudiants. En 2023, Paul Magnette indiquait que 350 permis d’urbanisme avaient été délivrés. Mais Marie, en première année d’études en sciences humaines, grimace à l’idée d’habiter à Charleroi. « J’habite à Couvin, mais je préfère faire l’aller-retour tous les jours plutôt que de koter ici. C’est trop dangereux ». C’est vrai que Charleroi a une image de ville moche, sale et dangereuse. En 2008, le journal néerlandais De Volkskrant avait même élu le Pays noir « la ville la plus moche du monde ». Le Telegraph la qualifiait de « ville la plus déprimante d’Europe ». Cette image négative, la Ville en a conscience et travaille pour la redorer. Paolo Ruaro estime que cette image n’est pas la réalité : « Je comprends qu’un étudiant ne veuille pas venir à Charleroi. L’image de la ville doit être repensée. Mais la ville se développe et elle n’est pas plus dangereuse que Bruxelles par exemple ». Pour Beka, changer l’image ne sert à rien : « Charleroi c’est comme une femme de 90 ans qui fait de la chirurgie. T’as l’impression qu’elle est jeune mais à l’intérieur elle est bientôt morte». Pour elle, c’est trop tard.
Beka a quand même eu de l’espoir à l’annonce de la construction du nouveau campus. « C’est pour ça qu’on est encore ici d’ailleurs ». Elle évoque une réunion entre les commerçants et Paul Magnette. Selon Fabrizio Padovan, président de Shop In Charleroi, l’union des commerçants de la ville, cette réunion n’a servi à rien. « Les travaux avaient déjà commencé, on n’a pas eu notre mot à dire ». Le Métro s’est préparé à accueillir les étudiants. « On voulait mettre une belle terrasse, on a les tables, les chaises. On n’attendait que ça en sortant des travaux : avoir des tables d’étudiants et leur faire des offres de mètres de bières ». Au final, rien. Beka se retrouve avec ses habitués, qui se font de moins en moins nombreux.
« Ils nous ont clairement vendu du rêve ». Les réunions entre la Ville et les commerçants n’auraient eu pour seul but de rassurer pour se faire réélire. « Ils nous disent qu’il y allait y avoir 10 000 étudiants, c’est génial. Bien sûr qu’on est contents. Puis, deux semaines avant les élections, ils nous mettent encore plus de patrouilles de police pour montrer que le quartier sera plus sain. 2 semaines après les élections : plus rien. Deux ans après la première rentrée universitaire : personne » raconte Beka.
En 2020, la Ville annonçait que l’objectif était d’accueillir entre 12 000 et 15 000 étudiants à terme. En 2023, Magnette revoit les chiffres en baisse et en espère 10 000. Peut-être qu’ils se sont vus trop beaux. Maxime Mori estime que l’incompréhension est due aux différentes envies. Celle de la Ville est de rendre Charleroi universitaire, alors que les commerçants ont avant tout un objectif économique. Par contre, Mori avoue que « la communication n’a pas été bien faite ». Il demande dans un premier temps de re-baliser la vie universitaire carolos. En effet, il y a d’autres bâtiments consacrés aux études supérieures, à Montagnes-sur-Sambre et Marcinelle. Les étudiants de ces bâtiments vont être transférés progressivement vers le campus de la Ville Haute. Ça, la Ville n’en a pas parlé, ou beaucoup moins. Elle a promis 10.000 étudiants sur le nouveau campus tout en omettant que ce chiffre allait être atteint grâce au rassemblement de tous les étudiants de la ville dans un seul endroit. « En fait, l’information qu’il manque aujourd’hui, c’est que le campus n’est pas du tout achevé. On n’est vraiment que dans les prémices ». Il ajoute que la principale difficulté est de mettre tous les différents acteurs d’accord avant de communiquer. « Avant la création de l’ARES, qui coordonne l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, et du décret paysage, aucun acteur ne se parlait. Les hautes écoles ne parlaient pas aux universités qui elles-mêmes ne se parlaient pas en dehors de leurs piliers historiques ». Avant de communiquer, il faut donc mettre tout le monde d’accord, que ce soit l’ULB, l’UMONS ou la Haute Ecole du Hainaut. La cohabitation, et donc la communication commune, ne fait que commencer. Mori est néanmoins optimiste pour le futur.
Beka non. Pour elle, si le quartier n’est pas assaini aujourd’hui, il sera trop tard pour agir demain. Au contraire, Paolo Ruaro explique que voir les avantages d’un aménagement de territoire prend du temps et, qu’en général, un masterplan peut prendre 30 ans avant d’atteindre ses objectifs. L’urbaniste donne 8 ans pour que le campus remplisse les siens. « Ce n’est pas comme quand t’achètes une voiture que tu peux conduire le jour même ». Maxime Mori se projette pour 2026-2027, lorsque les 6 mini-campus de Charleroi se rejoindront dans la Ville Haute. « Mécaniquement, il y aura plus d’étudiants. On va dire qu’il y en a pour l’instant 4000 dans le centre. Il y en a environ 3400 sur le campus de Montigny-sur-Sambre. Quand ils viendront, on aura déjà plus cet effet de masse. Ce sera aux différents acteurs de créer une identité, un lieu de vie, de fêtes. Et la densification créera un effet d’attrait ».
La ville mise sur son futur, d’abord à l’horizon 2050. Paul Magnette l’écrit dans la préface du livre Charleroi Projet Métropolitain qui explique la rénovation du Pays Noir. 15 lignes plus loin, on lit que « se projeter dans le temps ne revient pas à délaisser le temps présent, au contraire ». Au Métro, Beka veut offrir un verre à Thomas Dermine pour en discuter. Astucieux pour remplir son bar.
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La bière sans alcool décolle
Blonde ou brune, de table ou d’abbaye, fruitée ou amère, la bière fait partie du patrimoine culturel belge. En 2023, le Belge consommait en moyenne 13,2 litres d’alcool pur, ce qui faisait de la Belgique un des pays les plus consommateurs d’alcool en Europe. En termes de consommation de bières, elle est estimée à 60 litres par habitant, selon les données de l’office européen de statistiques. Face à cette consommation excessive, des brasseries proposent des bières 0 %, une alternative que l’alcoologue Martin De Duve considère insuffisante pour répondre aux véritables enjeux de santé publique.
La bière sans alcool, un marché en pleine croissance en Belgique
De plus en plus de marques de bière développent des versions sans alcool, afin de répondre à une demande en forte croissance. C’est le cas de la brasserie Alken-Maes qui a pour objectif de proposer une bière 0.0% au fût et à grande échelle dans les festivals et les concerts. Entre 2023 et 2024, les bières sans alcool ont remporté un succès grandissant sur le marché brassicole, enregistrant une progression de 40% des volumes écoulés. Mais ce marché reste encore peu développé par rapport à nos pays voisins. En Belgique, elles représentent, aujourd’hui, 4% des ventes de bière, loin derrière l’Allemagne (14%), les Pays-Bas (8%) et la France (6%). Pourtant, la consommation de bières 0.0 % dans l’Horeca en Belgique a progressé de 31 % entre 2022 et 2024, et cette croissance pourrait encore doubler dans les prochaines années.
La bière, une addiction bien réelle chez les belges
Bien que le marché de la bière sans alcool soit en pleine expansion depuis quelques années, il ne permet pas encore de réduire de façon significative le nombre de Belges en situation de consommation problématique d’alcool, voire en totale dépendance. D’après les chiffres de l’alcoologue Martin De Duve, un Belge sur sept est en situation de consommation problématique d’alcool et un sur quatorze en est dépendant. Ces chiffres témoignent d’une réelle problématique. Cette consommation élevée d’alcool est aujourd’hui la deuxième cause de mortalité évitable juste derrière le tabac. Elle est responsable chaque année de 3 à 10 000 décès en Belgique, soit jusqu’à 10% de la mortalité globale.
Le plan alcool c’est quoi ?
Adopté en Conseil des ministres en mars 2023 après plus de dix ans de discussions politiques, le Plan Alcool vise à coordonner différentes mesures de prévention, de sensibilisation et de régulation autour de la consommation d’alcool. Il comprend 75 actions réparties en neuf missions, telles que la prévention, la promotion de la santé et l’amélioration de l’accès aux soins.
Le plan alcool, une réelle solution au problème d’addiction ?
Pour Martin De Duve, la réponse est claire : « C’est une coquille vide. » Il déplore le manque de mesures concrètes et contraignantes, pointant une certaine frilosité politique face au lobby de l’alcool. Selon lui, l’une des mesures les plus efficaces serait l’interdiction pure et simple de la publicité pour les boissons alcoolisées, à l’image de ce qui a été fait pour le tabac. En effet, la publicité pour l’alcool est un facteur qui influence les comportements de consommation. Elle a tendance à attirer les personnes les plus vulnérables, notamment les jeunes et les personnes qui ont un problème avec l’alcool. Une autre mesure envisagée par Martin consisterait à renforcer l’étiquetage des bouteilles d’alcool en y ajoutant plus d’informations, telles que des informations nutritionnelles, les ingrédients et surtout le nombre d’unités d’alcool par contenant, ce qui permet aux consommateurs de mieux réguler leur consommation. Enfin, d’autres solutions concrètes pourraient être mises en place, comme le remboursement des consultations d’alcoologie, ou encore l’obligation d’un accès à de l’eau gratuite dans l’Horeca et les événements festifs tels que les concerts, les festivals et les fêtes estudiantines.
La bière 0.0%, une efficacité limitée sur les vrais enjeux de santé publique
Comme nous l’explique Martin De Duve, si le marché de la bière sans alcool se développe, notamment grâce à des initiatives comme celle d’Alken-Maes, il répond avant tout à une logique économique. Le goût de la bière, son aspect festif, la possibilité de faire comme les autres sans alcool, ces arguments séduisent, mais ne ciblent pas les personnes les plus à risque. Pour Martin De Duve, ce type de produit n’a pas d’impact réel sur la diminution du nombre de personnes dépendantes. En effet, selon lui, ces bières sans alcool peuvent susciter chez certaines personnes un craving, autrement dit une envie irrésistible de consommer à nouveau de l’alcool.
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Qu’est-ce-qu’on boit ?
Alexis Vercruysse
Après m’être immergé pendant plusieurs semaines dans le monde de quelques alcooliques abstinents de Charleroi, j’ai observé notre société d’un nouvel oeil. En franchissant les portes des bistrots de la ville, je découvre que l’alcool est partout, que son décor est si familier qu’il en devient invisible. Je découvre aussi que ne pas boire est plus stigmatisé que de boire trop.
Personne sur la terrasse du Bergerac. A l’intérieur, les hommes attablés regardent ceux qui sont debout pour jouer au billard. Derrière le bar, la gérante se tient prête à les servir. Le Café de Paris ouvre.Le patron attend ses premiers clients sur la terrasse. Carlo et son ami, chez Walter.
Tout les matins ou presque c’est le même rituel.
«Je suis venu hier vers 10h mais tu n’étais pas là !» lance l’un. «Belote !» crient les vieux de chez Aurélio. Ici, il n’y a que des pensionnés, «les jeunes se rassemblent chez eux maintenant, ou ailleurs mais plus dans les cafés en tout cas», me confie le gérant. Chez Aurélio L’Hôtel de Ville Taverne le Versailles Au Majestic, Mario tient compagnie au barman. Il est bientôt midi mais il n’est toujours que le seul client, les deux semblent s’en réjouir. Stella et Zaf, à la Brise Catherine et son chien Mystic, à la taverne Le Carolo. Le Madison 2, fermé, mais qui sentait l’alcool quand même.
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Jury central : plus de candidats, pas plus de moyens
Photo réalisée à l’aide de l’intelligence artificielle
Décrocher ses diplômes du secondaire sans passer par l’école traditionnelle, c’est la promesse du jury central. De plus en plus de jeunes choisissent cette alternative pour obtenir le certificat d’enseignement secondaire supérieur, le CESS. Cette année encore, le nombre de candidats a augmenté de près de 30%, passant de 1.059 inscrits en 2024 à 1.368 en 2025.
À l’heure où certains élèves de 6e secondaire préparent assidûment le CESS sur leurs bancs d’école pour juin prochain, d’autres avaient déjà le nez dans leurs copies en février pour le deuxième cycle d’examens du jury secondaire 2024-2025.
Mêlant autonomie, flexibilité et exigence, ce jury central enregistrent un nombre croissant de participants depuis des années. Entre 2016 et 2024, leur nombre a doublé, passant de 1298 à 2622 inscrits, toutes options confondues.
!function(){"use strict";window.addEventListener("message",(function(a){if(void 0!==a.data["datawrapper-height"]){var e=document.querySelectorAll("iframe");for(var t in a.data["datawrapper-height"])for(var r,i=0;r=e[i];i++)if(r.contentWindow===a.source){var d=a.data["datawrapper-height"][t]+"px";r.style.height=d}}}))}(); Un taux d’échec conséquentPourquoi les jeunes ont-ils davantage recours à ce parcours pour obtenir leur CESS ? « Bonne question« , s’interroge Cindy Renard, directrice des jurys de l’enseignement secondaire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. De mémoire, elle n’a pas le souvenir d’une étude réalisée sur les motivations étudiantes et elle attend avec impatience les conclusions de l’analyse qui a été lancée cette année pour la première fois depuis l’apparition des jurys de l’enseignement secondaire en 1864.
Décrochages scolaires, redoublements, concurrence de l’enseignement à domicile ou encore nécessité de conjuguer des études à une activité professionnelle. Alors que les analyses définitives sont attendues prochainement, les résultats provisoires pointent déjà certaines difficultés étudiantes. A l’image de celles qu’a connues Madelaine De Schutter, diplômée du jury en 2023. « Après une phase dépressive, qui m’a fait décrocher et qui m’a éloigné de l’école, j’ai raté ma 5e secondaire. Je ne me sentais pas bien dans mon école, je trouvais les enseignants trop sévères. Pour ne pas changer d’école et perdre un an de plus, j’ai passé mon CESS avec le jury central. »
Cette trajectoire n’est pourtant pas un long fleuve tranquille. Même si le jury central séduit de plus en plus de jeunes, sa difficulté est souvent sous-estimée. « Beaucoup s’inscrivent sans se rendre compte de l’ampleur du travail. Il y a peu de temps entre l’inscription et les examens, et la matière est énorme. Certains abandonnent en cours de route. D’autres passent seulement une ou deux épreuves à la fois« , souligne Labiba Deckers, membre de l’ASBL EAD (Enseignement à Domicile). Les résultats des épreuves pour le premier cycle d’examens de l’année 2024-2025 valident ce constat : hors absentéisme, le taux d’échec s’élève à 76,8%. « Les correcteurs parlent souvent d’un manque de préparation des candidats mais ils ne se rendent pas compte que ce sont deux ans de matière à restituer« , insiste Cindy Renard.
« Il s’agit de la faillite de l’enseignement public », tranche nettement Constantin Ullens, un des co-directeurs de l’école du Bois Sauvage, une école privée qui prépare au jury général pour le Certificat d’études du 1er degré (CE1D), le Certificat d’études du 2e degré de l’enseignement secondaire (CE2D) et le Certificat d’enseignement secondaire supérieur (C.E.S.S.) pour le 3e degré de l’enseignement général.
Fabrice Aerts-Banken, directeur adjoint de la Direction générale de l’Enseignement obligatoire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, relativise ces propos et souligne la faible proportion d’élèves concernés. « Si vous rapportez les 4 000 candidats du jury secondaire aux 900.000 élèves qui sont dans le système traditionnel, ce n’est pas grand-chose. […] Ça ne représente que 0,4%. » Si ce chiffre de 900.000 correspond à l’ensemble des élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles qui pourraient envisager la voie du jury lors de leur parcours scolaire, ce ratio diminue légèrement lorsque l’on ne prend en compte que les élèves du secondaire. Sur un total de 388.840 élèves inscrits dans le secondaire traditionnel en 2023, le jury du même niveau d’études comptait 3.877 candidats, soit une proportion proche de 1 %.
Pour intégrer le jury du secondaire, plusieurs voies d’accès coexistent. Certains optent pour des écoles privées qui préparent au cursus avec des frais d’inscription qui varient de 300€ à 1.200€ par mois. D’autres se forment via l’enseignement à domicile. D’autres encore apprennent en autonomie et tablent sur l’e-learning proposé par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour acquérir les compétences nécessaires. C’est le cas de Nell Hurdebise, qui a dû quitter les bancs de l’enseignement traditionnel pour réaliser son rêve dans la danse. « Pour math et néerlandais, je trouvais que les matières dans l’e-learning étaient moins complètes qu’aux examens. J’ai passé les épreuves à trois reprises, et elles se sont toujours soldées par des échecs. »
La directrice des jurys de l’enseignement secondaire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles connait ces lacunes mais son service manque de moyens pour les améliorer. « On prévient les participants que les modules d’e-learning pourraient ne pas être suffisants. On essaye de faire de notre mieux pour les mettre à jour. Tout ce qui peut être mis en place est mis en place. Mais sans moyens supplémentaires, nous sommes limités. On alerte le cabinet de la Ministre depuis plusieurs années mais rien ne change« . Constantin Ullens, co-directeur de l’école du Bois Sauvage, abonde dans le même sens. Pour lui, « ce service devrait être amélioré. Pour préparer les cours de l’e-learning, qui concernent un paquet d’élèves, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a besoin que de trois profs. En comparaison avec les coûts d’enseignement à l’école, ça ne coûte pas cher !«
Si le Cabinet de la Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement Valérie Glatigny, contacté à plusieurs reprises, n’a jamais répondu à nos questions, la situation pourrait ne pas évoluer. Du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le message de Fabrice Aerts-Banken est limpide : « augmenter les moyens n’est pas la première des options. Notre priorité, cela reste que les jeunes se scolarisent dans l’enseignement traditionnel, et qu’en cas de décrochage scolaire, ils puissent obtenir leur CESS via le jury central ».
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24 heures à la fois
Alexis Vercruysse
A Charleroi comme ailleurs, des hommes et des femmes luttent tous les jours contre l’alcoolisme. Face à l’évidence de l’alcool et à son hyper banalisation, certains d’entre eux se rassemblent jusqu’à plusieurs fois par semaine pour se rappeler d’où ils viennent, et pour continuer à avancer sur le chemin de l’abstinence. Dans leur salle de réunion, les récits s’entrecroisent.
Ding.
La sonnette retentit sèchement et jette un silence presque religieux. Dans cette petite salle aux quatre murs blancs quasiment nus, les rires ont cessé de fuser soudainement.
Tout le monde n’est pas là mais il est 19h, la réunion commence. Avant toute chose : une communication de service. Le groupe, Vie Libre, cherche un nouveau trésorier, adjoint, et un nouveau président, adjoint aussi, c’est nécessaire pour les statuts. Homme ou femme, on s’en fout. “Si vous êtes intéressés, envoyez un message à Linda” souligne Samuel, avant de continuer : “Aujourd’hui nous allons accueillir Isabelle. Je ne sais pas si tu veux commencer ? Ou si tu préfères parler plus tard ?”
Elle est toute tremblante, un peu en retrait. Un mélange de timidité, de gêne et d’un peu de honte peut-être. Autour de cette grande table remplie de crasses à grignoter, une dizaine de femmes et d’hommes sont prêts à l’écouter. Elle ne les connaît pas, personne. Sur le parking, elle avait demandé où était le bâtiment 8A avant de retourner fumer près de sa voiture en attendant l’heure. On était devant.
“Bonsoir tout le monde, je m’appelle Isabelle, je suis absti…enfin j’ai fait une rechute. Ça faisait un an que j’étais abstinente. On dit de téléphoner avant et pas après mais bon voilà, malheureusement j’ai téléphoné après. Je ne jette la pierre à personne, c’est moi qui ai pris le premier verre (…) Je vous remercie de m’accueillir. Merci à tous.” Tout le monde répond aussitôt, presque en cœur, “merci à toi !”
Grégory n’y manque pas non plus, il est assis en face d’elle, il la soutient du regard en attendant son tour. Il en avait vu des nouvelles têtes… Puis il en avait revu certaines, d’autres pas. Toutes avaient un jour fait un choix fort. Le tout, c’était de savoir s’y tenir.
François Ghislain, un des rares alcoologues à Charleroi le reconnaît volontiers : l’arrêt, c’est tout ou rien. Il a l’habitude de comparer l’alcool à Matrix. “Tu prends la pilule bleue ou la pilule rouge ?”, dit-il souvent à ses patients. “Si tu prends la pilule bleue : tu décides de rester dans le système, tu bois de l’alcool, tu restes dans tes problèmes, tu ne vois pas la réalité telle qu’elle est. Si tu prends la pilule rouge : tu arrêtes de boire, tu vois la vie autrement, tu la vois telle qu’elle est, et tu vois aussi le système tel qu’il est, auto-destructeur.” Tout le monde ici avait pris la rouge. Grégory aussi. Il se souvient du temps de la pilule bleue : celui des maux d’estomac, des sueurs et des mauvaises nuits.
Le temps du JasyAu sortir du bois de Soleilmont, on débouche sur une nationale, juste en face, de l’autre côté des deux bandes bien plus empruntées que les sentiers voisins, c’est la maison des parents de Grégory, dans laquelle il a toujours vécu et vit toujours. Le Jasy, c’est juste un peu plus loin.
– Du tabasco avec le jus de tomate ? lui demande la serveuse.
– Je veux bien, merci ! répond-il avec assurance.
Rien n’avait changé. Même décor, mêmes habitués. Dehors il fait magnifique. A l’intérieur, un peu trop chaud. Grégory se rappelle de tous les moments qu’il a déjà passés dans ce Jasy avec une touche de nostalgie. A l’époque, il pouvait y rester des heures, à déguster des trappistes : une, deux, trois ou plus. Il préparait ses émissions radio, trois heures de carte blanche le vendredi ou le samedi soir, ambiance rock, sa vraie passion. Il se rend compte du long chemin déjà parcouru depuis. Une année, sept mois et vingt-six jours. 9135 euros d’économies, et 1809 heures. Son « Facebook d’abstinent« , I Am Sober, ne ment pas : ça faisait 600 jours qu’il ne buvait plus d’alcool, déjà ! Et parmi eux, “le plus beau nouvel an de ma vie” dit-il, et d’ailleurs “tout le monde l’avait dit !” Il avait fêté la nouvelle année avec quelques autres abstinents de son groupe de parole, c’étaient devenus des amis. Ils avaient été dormir à quatre heures du mat’. Le lendemain, il ne leur manquait qu’un peu de sommeil, leurs souvenirs étaient figés. Peut-être Isabelle sera-t-elle de la partie l’année prochaine.
Pour l’instant, Isabelle écoute attentivement la prise de parole de Fabrice en remplissant à nouveau sa tasse de café après l’avoir vidée en un temps record. Puis elle se lance à son tour, clouée à sa chaise. Chaque mot semble vouloir rester ancré au plus profond d’elle, elle doit se les arracher. “Toute ma vie sociale ne tournait qu’autour des Alcooliques Anonymes” commence-t-elle par dire, “mais depuis ma rechute je ne veux plus y aller, je pense que je les dégoûte. Je suis complètement isolée. Je me suis inscrite au Forem mais je ne sais pas… En fait l’alcool m’a tout détruit, que ce soit mon travail, mes économies, il m’a détruit beaucoup de choses… Heureusement il a au moins gardé mon foie…enfin plus ou moins.”
Elle avait précisé ne pas vouloir plomber l’ambiance. “Mais non, ne t’inquiète pas !” lui avait-on répondu avant qu’elle commence. Elle finit par dire qu’elle était contente d’avoir trouvé ce nouveau groupe de parole, Vie Libre.
Grégory sait bien de quoi elle parle. Lui aussi l’avait échappé belle. “Je ne vais pas y aller par quatre chemins, vous avez une stéatose de niveau 3” lui avait dit son toubib. Plus que quelques petites étapes avant la cirrhose, “le stade ultime”. Il ne l’oubliera jamais, ça avait été le déclic. Il avait fait marche arrière toute : direction l’abstinence. Direction les psychologues, les psychiatres, et puis surtout, ces fameux groupes de parole, “essentiels dans le rétablissement” trouvait-il. “D’abord tu te rends compte que tu n’es pas seul, et que la plupart des abstinents ont la banane, ça rassure. Et puis ça permet de te rappeler que tu es alcoolique, parce qu’on peut bien vite l’oublier. Y aura toujours un petit barman accoudé sur ton épaule, prêt à te faire plonger à la moindre gorgée.”
Bien souvent, ceux qui replongent s’enfoncent encore plus profondément que la fois précédente. Alors plus jamais, c’est plus jamais. Tout le monde le dit. Même Gaby.
Lui, les groupes de parole auxquels participent Grégory et sa clique, ça ne lui dit rien. Écouter les problèmes des autres, ça ne l’intéresse pas. Et pas besoin que les autres connaissent les siens. Il vit dans la rue avec sa femme. L’alcool, ça le connaît : le brouillard, le sevrage, la rechute, l’abandon. Puis de nouveau l’espoir, sans conviction, vain d’avance.
Dans sa tente entourée de cadavres de canettes, avec une voix rocailleuse d’un réveil de sous les ponts, il le dit sans hésitation : “Plus jamais, c’est plus jamais. Le problème c’est que quand tu vas faire un sevrage à l’hôpital t’es entouré, donc ça va, mais après trois semaines t’es dehors…”
Dehors… “Au paradis des alcooliques”, poursuit-il… L’enfer des abstinents ?
– Tu fumes quoi là ?
– De la coke, répond Gaby. L’avantage de la coke c’est que c’est juste psychologique.
Sa femme précise : “nous quand on dit stop, c’est stop” avant de déposer sa tête dans le peu de place qu’il reste dans l’ouverture de la tente, sur l’épaule de son mari.
– C’est plus facile d’arrêter la coke que l’alcool ?
Le couple se marre.
– T’as déjà vu de la coke qui passe à la télé toi ?
T’en as déjà vu sur les panneaux de publicité ?
De la coke sur les panneaux publicitaires… du jamais vu, non, inimaginable.
A Charleroi, c’est Jupiler qui a envahi tous ceux des arrêts de bus. Et pourtant l’alcool est une drogue dure, c’est l’OMS qui le dit. On le dit moins dans la vie de tous les jours, on ne le dit pas enfait.
Et pourtant c’est aussi nocif que de la cocaïne, que de l’héroïne.
A chacune de ses premières séances, l’alcoologue François Ghislain l’explique méthodiquement à ses patients : « la seule différence avec d’autres drogues dures, c’est le chemin de dépendance. Pour l’alcool il est énorme, pour la coke il est beaucoup plus court, mais à dépendance égale : c’est la même chose.”
Compliqué d’arrêter donc.
Xavier de Longueville, psychiatre au Grand Hôpital de Charleroi, confirme : “c’est terriblement difficile de prendre la décision de l’abstinence. Et puis avant de prendre cette décision il faut d’abord se savoir alcoolique…” Le plus difficile peut-être… Seulement huit pourcents des gens qui devraient être pris en charge le sont, d’après le psychiatre : “92% échappent au système, ils ne savent tout simplement pas qu’ils sont alcooliques.”
Le problème est vaste, sociétal. “C’est le statut de l’alcool qui est problématique” déplore-t-il. François Ghislain est du même avis : “c’est un vrai problème de santé publique, il faudrait faire une psychanalyse globale de la société pour se rendre compte à quel point une drogue dure et aussi destructrice que l’alcool est rentrée dans nos normes de consommation”.
Pour Grégory, soigner son alcoolisme, c’est apprendre à accepter et gérer ses émotions, il en est sûr. « Tous les psys te le diront« , assure-t-il à Stéphanie lors de son tour de parole. Quelle sournoiserie ! “Si tu es malheureux ou déprimé : va boire un coup, ça ira mieux. Si tu te sens bien, que tu veux faire la fête : profites-en, va boire un coup ! Ton verre est ton meilleur ami”, enchaîne-t-il. C’est en effet ce que notre cerveau pense quand on le fait trop boire. Mais c’est “un faux ami ”, précise bien Samuel qui préside la réunion, la main non loin de sa sonnette. “Comme on dit souvent, l’alcool dissout tout, tout ce qu’on peut imaginer. L’argent, les maisons, les ménages, les enfants. Mais pas les problèmes”, poursuit-il entre la prise de parole de Véronique, déprimante, et une nouvelle et dernière intervention d’Isabelle.
Elle se sent différente, pas normale. Un samedi ensoleillé à rester cloîtrée à l’intérieur, volets fermés ? Non, décidément elle ne se trouve pas normale, “même dans les cures que j’ai faites, tout le monde aimait le soleil”, murmure -t-elle, perdue. Le groupe l’écoute avec empathie. Ne plus aimer le soleil, c’est tout à fait plausible : François Ghislain lui expliquerait tout de suite que “l’alcool est un dépresseur qui provoque la dépression, l’anxiété.” Dans son cabinet, il lui aurait dévoilé tout le processus, il lui aurait expliqué le « pourquoi » biologique : “pour avoir une humeur stable, notre cerveau produit un acide qui s’appelle le gaba, mais la consommation d’alcool l’en empêche. Donc les gens qui boivent souvent ne produisent quasi plus jamais de gaba, fatalement ça les déprime.”
Mais comment retrouver un peu de joie de vivre se demande-t-elle sûrement, comme beaucoup d’autres. Pour ses patients un peu trop fans de bière, l’alcoologue a une solution : “Buvez de la bière ! Sans alcool !” De la “zéro pourcent” : “le meilleur outil du monde” d’après lui. “Tentez l’expérience” dit-il à ses patients. Est-ce que ça leur a déjà donné envie d’alcool ? “100% me disent : jamais !” Et d’après ses dires, ça lui a déjà valu d’en sauver plus d’un ! La vieille école dit non, surtout pas, ça donne le goût et donc l’envie ! C’est faux : “n’importe quel neurologue te dira que ton cerveau reconnaît le goût, mais pas les effets. Alors s’il veut une bière, donne-lui, donne-lui une zéro. Il te foutra la paix” assure François Ghislain.
A la réunion de Vie Libre, tout le monde n’est pas aussi radical que l’alcoologue. Le groupe se divise entre convaincus et trop frileux pour essayer. Rien que d’y penser… non, certains ne peuvent pas s’y résoudre. Grégory, lui, fait partie des convaincus. Il y a quelques jours, il s’était acheté une bouteille de rouge sans alcool pour accompagner la pizza qu’il s’était faite livrer. Il n’en avait bu qu’un verre. “Pourtant la bouteille était là…”
Jusqu’à quand ?La parole a fait le tour de la table, il ne reste qu’à Linda, la secrétaire du groupe, de remercier tout le monde pour dimanche. C’était l’assemblée générale de Vie Libre. Les différents groupes wallons de l’ASBL se sont rassemblés chez eux, à Charleroi. Tout s’était bien passé, elle en est émue. Elle se remémore cette journée avec un sourire libéré, trop longtemps oublié. Elle avait eu la force de sortir de longues années difficiles, d’un alcoolisme caché et de retrouver une joie de vivre. Elle en était fière. Pour l’instant quatre réunions par semaine la font tenir, et son nouveau rôle de secrétaire la fait tenir d’autant plus fort. Elle avoue être devenue accro à ces réunions. « Notre abstinence, c’est notre identité« , avait un jour dit un de ses amis de Vie Libre. Elle était d’accord, et cette nouvelle identité lui allait comme un gant. Grégory ne pouvait qu’approuver, lui aussi. Les deux disent vivre « une abstinence heureuse« .
Mais pour combien de temps ? Linda elle-même reconnait que seuls 3% des abstinents arrivent à tenir la promesse qu’ils s’étaient un jour faite : ne plus jamais boire.
“Je finirai peut-être par y retourner, si je perds ma fille…je ne tiendrai peut-être pas le coup” se dit-elle.
“24 heures à la fois !”
“Aujourd’hui je vois un verre d’alcool comme je verrais une chaise ou une table” avait un jour dit Grégory. “Mais dans dix ans ? Quinze ans ? Vingt ans ? On verra bien. 24 heures à la fois !”
Pour aujourd’hui, la réunion est terminée. Il ne reste qu’à faire un peu de vaisselle dans la pièce d’à côté. Grégory a déjà une cigarette entre les doigts qui ne demande qu’à être allumée. De l’autre côté de la petite salle, une vapoteuse cramponnée dans le creux de la paume, Isabelle se fraie un chemin entre les chaises et le monde qui s’est levé avant de s’éloigner, en murmurant quelques timides au revoir. Un pas devant l’autre, droit vers la sortie. “Faire le premier pas, c’est vraiment le plus dur à faire. Mais revenir c’est encore mieux”, lui avait dit Samuel avant qu’elle ne s’échappe. Elle avait fait le plus dur.
J’espère qu’elle reviendra.
Dans le brouhaha général quelqu’un lâche “Tous chez Odile”, un café de ville haute. “Pas pour moi” répond aussitôt Grégory, tout de même hésitant. Retour maison” !
Le lendemain matin, comme le veut sa routine quotidienne, il partagera à tout le monde sa review musicale du jour, sur Whatsapp.
“Voici le titre “Home” du groupe américain Edward Sharpe & The Magnetic Zeros. Un groupe de Los Angeles formé en 2007. J’aime bien cette chanson qui donne envie de siffler et met de bonne humeur. Enjoy !!”
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Seule en mère
Photos: Élise Henry
Elles sont cinq. Cinq femmes, cinq mères, cinq vies confrontées à la brutalité ordinaire de la monoparentalité. En Wallonie, 200.000 ménages sont gérés par un seul parent. Et l’écrasante majorité – 83% de ces ménages – sont des femmes. La monoparentalité est donc bien une affaire de femmes. Derrière ces chiffres, une réalité trop peu dite : celle d’un système qui pèse lourdement sur leurs épaules. Séparation, isolement, précarité et violences institutionnelles forment le quotidien de ces mères.
Journaliste : Et du coup, j’ai pas ton prénom ?
Céline : Céline. Bonjour.
Journaliste : Tu as quel âge, Céline ?
Céline : Je vais avoir 30 ans demain.
Lara : Demain t’as 30 ans. Mais genre ?! Mon fils, il a 6 mois demain.
Céline : Putain. C’est un cap, ça.
Journaliste : Et tu as combien d’enfants ?
Céline : Une petite fille. Elle a 7 ans. Elle s’appelle Katarina.
Lara : C’est la plus belle.
Céline : Mais arrête, c’est gentil, mais ça va.
Journaliste : Elle est avec toi ici ?
Céline : Oui. Elle est là-bas dans le living. Parce qu’elle est malade.
Lara : En plus, elle voulait venir près de nous.
Céline : Ouais, mais bon, c’est pas des sujets top pour elle.
Lara : J’avoue.
Lara, Céline et Dounia résident au foyer Les Frangines, un foyer d’accueil pour femmes en situation de précarité ou de violences conjugales, situé à Wanfercée-Baulet (Hainaut). Trois mères solos, trois tempéraments. Lara, 23 ans, deux enfants, est vive, sanguine, protectrice. Céline, 30 ans, a un enfant. Elle est plus posée, et répond à Lara du tac au tac. Leur complicité est évidente. Dounia, 22 ans, enceinte de son quatrième enfant, parle peu, mais ses silences pèsent. Fragile en apparence, elle impose l’écoute par sa présence.
Être une maman solo et précaire, c’est la double peine. C’est faire face à des violences silencieuses, devenues presque banales. Des coups qui viennent du système, des institutions et des comportements sociaux. La violence systémique, c’est comme une machine bien huilée mais mal réglée : elle tourne, mais elle écrase toujours les mêmes.
Violence conjugalesCéline, Lara… Toutes ont subi les coups d’un partenaire par le passé. C’est pour survivre qu’elles les ont quittés. Être une femme monoparentale augmente le risque de faire face à de la violence conjugale au moins une fois dans sa vie. En 2024, 42,5 % des femmes wallonnes ont subi des violences de leur partenaire intime, qu’il s’agisse de violence psychologique, physique ou sexuelle. Seulement, toutes les femmes ne sont pas exposées de la même manière à ces violences. La part de victimes de violences parmi les femmes en position de vulnérabilité (chômage, santé, précarité) est beaucoup plus importante, soit près d’1 sur 2 (contre 7,6% sur l’ensemble des femmes).
Céline et Lara évoquent l’emprise et les coups.
Céline : Moi j’étais vachement sous emprise par rapport à ce que j’ai vécu avec le père de la petite. J’ai toujours pensé que c’est moi qui ai été mauvaise et que je méritais les coups.
Lara : Et moi, le truc, c’est que je suis plus avec le papa du petit, mais j’ai porté plainte contre lui pour la violence. Il m’a déjà levé la main dessus. Il y a des enregistrements vocaux où on l’entend dire « ouais, je vais retirer la garde de ton fils, t’es une pute, t’es qu’une merde, t’es bonne à rien faire ». Il m’a dit qu’il allait me mettre plus bas que terre, qu’il allait me faire suicider.
Céline : Ouais, moi il m’a dit y a deux trois jours, « quand je vais sortir (de prison), je vais te ligaturer les trompes ».
Rencontrée au Resto du Cœur de Charleroi, Barbara âgée de 48 ans, reconnaissable à ses grandes lunettes noires et à son sac orné de strass auquel pend un porte-clé rempli de grelots colorés, élève seule ses neuf enfants. Barbara est réservée et laisse transparaître, dans son regard fuyant, une blessure profonde. C’est les larmes aux yeux qu’elle raconte son histoire.
Journaliste : Et là, le papa, il est où en ce moment ?
Barbara : Lui, il m’a quitté. Il y a eu des coups, de la violence psychologique. Il était schizophrène : à un moment il voulait, à un moment il voulait pas.
Puis il y a Mylène, 55 ans et 5 enfants. Elle aussi, c’est une maman seule. Cette femme aux cheveux courts et rouges est souriante et pleine d’énergie. Elle a cette douceur dans la voix qui laisse transparaître une force de caractère.
Mylène : J’ai eu affaire à un pervers narcissique. Je suis encore en thérapie, là, maintenant, tu vois. La séparation a été très dure, j’ai tout perdu. J’ai perdu mes amis, ma famille, ma petite sœur m’a bloqué de Facebook et elle ne me parle plus. Il a fait en sorte de détruire la relation que j’avais avec mes enfants. Donc j’ai dû récupérer ça petit à petit. Heureusement qu’ils ne m’ont pas laissé comme ça. Parce qu’il avait tout détruit sur le côté, je n’avais plus rien.
Violences socialesL’isolement social est la réalité de nombreuses mamans seules. Bien souvent, il commence avec la rupture, mais s’aggrave lorsqu’il n’existe aucun filet autour : pas de famille, ou pire, une famille elle- même violente. Pour Gaëlle Scholts, directrice de l’ASBL les Frangines, beaucoup des femmes qui entrent en monoparentalité ne peuvent pas compter sur leur famille. En 2024, 17% des femmes accueillies dans l’ASBL entrent pour motif de violence intrafamiliale.
Journaliste : Dans votre parcours, avant de venir ici (ASBL Les Frangines), est-ce que vous aviez de l’entourage pour vous aider ?
Lara & Céline : Pas trop, non.
Dounia : Aujourd’hui, il y a mes frères et sœurs, qui sont là que par intérêt, et ma mère pour placer mes enfants, c’est tout, malheureusement.
Lara & Céline : Ah, elle me l’a fait aussi, ça, ma mère.
Lara : Moi, j’ai eu une maman qui m’a battue, qui a pas été là pour moi quand j’étais jeune. Une fois que j’ai eu ma première fille, ça a été un ange. Elle dit : « Oh ma fille, je t’aime, je serai toujours là », alors qu’avant, c’était : « Ouais, t’es qu’une pute, casse-toi ». Elle me tapait, j’allais avec des coquards comme ça à l’école. Je me suis fait abuser. Elle m’a regardée, elle m’a dit : « Ouais, c’était bien fait, t’es qu’une pute ».
Barbara, aux Resto du Cœur, revient elle aussi sur l’absence d’aide.
Journaliste : Et tu avais de l’entourage qui te venait en aide ?
Barbara : Non. Parce qu’ils étaient racistes, ma famille.
Journaliste : Tu leur parles plus ?
Barbara : Non, et ma maman, elle ne pense qu’à elle, c’est toujours moi-je, moi-je. Non, et parce qu’elle n’a pas été aimée, elle ne sait pas comment elle peut nous aimer. C’est comme si on n’était pas voulu, c’est compliqué. Elle s’est coupée de nous, elle nous a laissés à l’abandon, on devait se gérer tout seul.
Journaliste : Et des amis ?
Barbara : J’en ai plus. Je suis trop gentille, chaque fois, je donne tout, et quand c’est moi qui ai besoin, il n’y a jamais personne.
L’isolement social est également le fruit d’une précarité financière qui stigmatise et réduit les opportunités de sociabilité. En Belgique, le parcours de la monoparentalité se fait pour 50% des ménages monoparentaux avec un risque de pauvreté et d’exclusion sociale. La séparation a pour conséquence de précariser les femmes plus que les hommes. En 2023, environ deux personnes sur cinq vivent dans un ménage monoparental sous le seuil de pauvreté en Wallonie. Mylène, Barbara, Lara, Dounia et Céline touchent toutes le CPAS. C’est grâce à ce revenu qu’elles arrivent à survivre.
Mylène : Quand il (son fils) n’est pas là, je mange du pain avec du beurre. J’aime bien le beurre, donc ça ne me dérange pas, mais je ne fais pas des repas complets. Demain, je sais qu’il rentre, mais j’ai acheté du poulet, des côtes de porc, des carottes, des poireaux, de la potée.
Lors de la monoparentalité, les échanges avec des travailleur.e.s sociaux sont omniprésents et essentiels. Pour Lara et Céline, ces échanges se sont toujours bien déroulés. Pour Barbara et Mylène, ils sont source de stress, d’humiliation et de microagression. Ces violences, souvent invisibles, aggravent la précarité et l’épuisement des mères les plus vulnérables. C’est le cas de Mylène, contrainte de dormir dans sa voiture à une époque où elle était sans-abri, afin d’obtenir la caution de son futur logement social. Une condition : prouver qu’elle « dormait sur la commune ». Ces situations trouvent aussi leur origine dans la surcharge de travail des institutions. Selon une enquête menée auprès de 135 CPAS wallons, il manque 792 équivalents temps plein pour répondre à la charge de travail actuelle.
Journaliste : L’administratif, tu trouves ça simple, quand tu es une maman seule ?
Barbara : Non. Ils demandent toujours plein de papiers, mais c’est dur de les avoir. Surtout, moi, j’ai affaire à un service d’aide sociale très, très compliqué. Ils sont difficiles là-bas. Au début, avec le papa de mes jumeaux, ils m’ont carrément dit qu’ils allaient le balancer, lui faire quitter la Belgique. Donc, à moi, ils m’ont directement demandé de choisir : ou j’ai des problèmes, ou alors je prends un nouveau compagnon. Donc lui, il a eu peur, il m’a quittée. C’est comme ça que tous les problèmes ont commencé. Puis ils avaient pris rendez-vous au planning familial. Ils (le service d’aide social) essayaient de me forcer à me faire avorter.
Journaliste : Mais ils t’ont dit pourquoi ils voulaient te forcer à avorter ?
Barbara : Parce que soi-disant j’avais déjà la vie dure, comme ça, avec deux enfants en plus, c’était pas gérable.
Mylène a elle aussi souffert de cette violence institutionnelle.
Mylène : Je demande une adresse de référence à un service d’aide sociale, mais il refuse, ils m’envoient péter royalement. Ils me disent : « Mais comment ça se fait que vous n’avez pas fait intervenir un avocat ? Et comment ça se fait que vous n’avez pas demandé à réintégrer le domicile conjugal ? Et comment ça se fait que… ? ». En fait, ils me jugent sur tout. Ils me sortent tous des points, donc moi, je suis complètement dans la panade. Le droit à l’information n’y est pas du tout. Décalage total, et là, en sortant, je m’écroule complètement. Il y a plein d’aides dont j’étais pas au courant. Et alors on te dit, par exemple, « Ah, il faut tel papier », mais on va pas t’accompagner pour aller chercher le papier, démerde-toi pour le trouver. Et puis tu reviens, et si t’as pas le bon papier, bah faut trouver une nouvelle date pour un prochain rendez-vous. Donc tu imagines la personne qui a des enfants, qui est à la rue, qui doit essayer de gérer qu’on ne place pas ses enfants. C’est la folie.
« Ce sont mes enfants qui m’ont sauvé la vie », confient ces cinq femmes pour expliquer leur résilience face à des pensées sombres et une volonté d’en finir, comme en témoignent les traces de mutilations sur leurs bras. Leur quotidien n’est pas que violence : il est aussi fait d’amour inconditionnel pour leurs enfants et de moments de tendresse. Certaines comme Mylène et Barbara ont trouvé des échappatoires, des stratégies pour se vider la tête. Mylène fait de la moto, ça lui permet de se connecter à elle-même, « une bulle d’oxygène » pour ne penser à rien le temps d’un instant. Pour Barbara, c’est la boxe, une manière d’extérioriser toute sa colère, sa tristesse et ses frustrations : elle se défoule. Pour Lara, la résilience passe par un endurcissement face aux hommes : plus rien ne lui fait peur, elle est prête à tout si un homme l’attaque.
Lara : Moi, au final, tu sais, j’ai eu tellement de trucs dans ma vie qu’au final un homme il va venir vers moi, il va essayer de faire le malin avec moi et essayer de me lever la main dessus, je vais lui foncer dedans. Mon père, il m’a entraînée et m’a élevée, comme un garçon. N’importe qui en face de moi, j’ai pas peur parce que je me relèverai dans tous les cas. Une fille, ça doit devenir un bonhomme.
Si la méfiance envers les hommes est courante pour ces cinq mamans, plusieurs d’entre elles sont de nouveau en couple, font confiance à leur partenaire tout en gardant l’œil ouvert. Car oui, les hommes les ont plusieurs fois déçues et traumatisées. Ils sont la source commune de leur situation, comme en témoignent les réponses de Lara, Céline et Barbara sur l’aspect genré de la monoparentalité.
Journaliste : Tu sais pourquoi il y a plus de mamans seules que de papas seuls ?
Barbara : Parce que les papas, généralement, ils refusent de s’occuper de leurs enfants, ils les abandonnent vite.
Lara et Céline le disent avec d’autres mots.
Lara : Parce que les hommes, c’est des cons.
Céline : Généralement, c’est pas pour critiquer, mais les papas sont vachement plus instables que nous. Ils savent pas trop se débrouiller. Parfois, ils sont dangereux aussi. On les a quittés parce qu’ils étaient dangereux. Et s’ils sont dangereux pour nous, ils vont être dangereux pour nos enfants. Donc il vaut mieux qu’on reste nous avec nos enfants.
Lara : Il vaut mieux qu’on les protège.
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Sur le chemin de l’apprentissage : avec les jeunes réfugiés du centre Fedasil d’Auderghem
Photos: Chiara De Baggis
Dans une petite salle de classe, des enfants venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Érythrée ou de Palestine se retrouvent autour de Thaïs, une éducatrice dynamique Entre rires, gestes maladroits et défis linguistiques, ces jeunes tissent des liens dans un cadre où les cultures se mélangent autant qu’elles s’enrichissent.
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Derrière la porte
Crédits photos : Louise Joenen
En 2024, 1.698 animaux sont entrés à la SPA de Charleroi. Ce chiffre, à lui seul, reflète une réalité accablante : celle d’un refuge saturé, où la détresse animale devient le miroir de la souffrance humaine.
Virginie est bénévole à la Société Protectrice des Animaux de Charleroi depuis sept ans. Ancienne aide-ménagère, elle jongle aujourd’hui entre ses quatre enfants et ses journées d’inspections. Jérôme, son binôme du mardi, est un ancien para-commando. Il a quitté l’armée après un accident de parachute. Aujourd’hui, c’est dans la défense animale qu’il a trouvé sa reconversion. Tous les mardis, ils embarquent ensemble dans la même camionnette blanche au logo bien visible de la SPA pour des journées rythmées par les visites chez les maîtres soupçonnés de maltraitance.
Première AdresseLa maison se trouve dans un petit quartier calme. Une voisine indique la bonne porte. Derrière celle-ci, un homme d’une soixantaine d’années, l’air méfiant. Ses cheveux sont en bataille, son regard inquiet. À ses pieds, un chien massif vient saluer les deux inspecteurs. « Le petit n’arrêtait pas de le provoquer. Il aboyait, tournait autour. Sam s’est défendu. Il l’a attrapé dans sa gueule, mais il n’a pas mordu. Pas de sang, pas de blessure. Il s’est contenté de le repousser. C’est un croisé husky-labrador, 65 kilos, une vraie brute. J’ai juste séparé les deux. » L’autre chien n’est pas identifié. Une lacune fréquente lors des inspections. L’identification se fait généralement lors de la première visite chez le vétérinaire : une puce sous-cutanée, mentionnée sur le carnet de santé. Deux chats bondissent entre la table et les escaliers, attrapant quelques croquettes laissées là. Poppy, le deuxième chien, traîne la patte. Il respire difficilement, souffle fort comme un vieil accordéon troué. « C’est mon pépère, il a 21 ans », dit l’homme avec tendresse. « Il n’a plus de poils sur le dos, il n’entend plus rien, mais il est là. »
Sur les murs, des cadres. Beaucoup de cadres. Des photos de chiens. L’un d’eux attire l’attention : un chien noir dans un cœur rouge. Un compagnon parti trop tôt, sans doute. Tout ici transpire l’attachement. L’appartement est propre, les animaux sont nourris, l’ambiance est calme. Pas de signe évident de négligence. L’homme raccompagne les inspecteurs à la porte en parlant encore de Sam et Poppy. « Sam protège toujours le vieux. Ils sont inséparables », glisse-t-il en souriant.
Une maison dont l’appui de fenêtre croule sous les bouteilles vides de Jupiler. Un homme d’une cinquantaine d’années entrouvre la porte. « C’est pour quoi ? » Il referme aussitôt. Sur son bras, des marques : griffures, morsures, cicatrices sèches. À l’intérieur, des cris. Une voix de femme. De longues minutes passent. Quand la porte se rouvre, il tient un staff américain noir et blanc en laisse courte. Kenzo. Le salon est une chambre. Un lit aux draps colorés occupe le centre. Une femme en poncho Stitch y est allongée. Autour, deux vitrines pleines de peluches à l’effigie du même personnage. À côté du lit, deux bacs de Jupiler comme tables de chevet. Au mur, des souvenirs : Elvis, New York, une photo de mariés, où l’on n’arrive même plus à percevoir les visages, effacés par le temps. Et puis, au-dessus, une petite maison dans une prairie, qui adoucit le tout. L’homme pointe une grande porte brune du doigt. « Le deuxième chien est dans la cave… Faites gaffe, je ne sais pas comment il va réagir. »
La descente est raide, il fait sombre. Une ampoule nue pend du plafond. En bas des marches, Beethoven, le deuxième chien. Il ne grogne pas. Il nous regarde, avec de grands yeux brillants. Il s’approche, redescend, tourne en rond et urine sur une pile d’objets. Une cave sans lumière naturelle. Sept mètres carrés, à tout casser. C’est rempli de vieilles affaires, on peut à peine se déplacer. Les ouvertures sont barricadées. Une porte au fond semble condamnée depuis longtemps. « Il ne s’entend pas avec l’autre chien, il est agressif, alors on n’a pas le choix. Il a de l’eau et à manger. » Explique l’homme. Jérôme hausse le ton. Il veut saisir le chien. La femme se lève. Son pantalon est décoré de têtes de Stitch, lui aussi. Elle crie : « Mon chien a toujours très bien vécu comme ça et il continuera ainsi. Pas question qu’on le donne. »
Le cadre légal est clair : les inspecteurs ne peuvent pas saisir un animal sans le consentement du propriétaire. Seuls la police ou le BEA (Bien-Être Animal) peuvent intervenir. Mais leur venue signifie amendes. Et ça, les maîtres ont tout intérêt à l’éviter.
Trois jours plus tard, la BEA reviendra pour un contrôle d’identification. Beethoven est toujours dans la cave. La femme, toujours en pyjama Stitch, raconte : « Il n’a pas le droit de monter. À chaque fois qu’il me voit, il montre les dents. Et puis il n’aime pas les gestes brusques, j’ai peur pour ma petite, elle n’a que huit ans. Mais mon mari le sort, de temps en temps. » La fille ainée ajoute : « Kenzo m’a déjà mordu les fesses, j’ai même dû prendre des antibiotiques. »
Beethoven les terrorise. Kenzo les mord. La femme se plaint : « Beethoven c’est surtout le chien de mon mari. Il ne veut pas le donner. On nous l’a déjà pris il y a quelques années, et on avait dû payer 400 euros pour le récupérer. »
Kenzo, l’aboyeur féroce, retenu par son maître. Beethoven, dans sa cave. Mur de cadres, dans la maison de Beethoven et Kenzo. Troisième adresseUn immeuble. Devant la porte, beaucoup de sonnettes. Trop de sonnettes. Un voisin sort sa tête de sa fenêtre. Il vient nous ouvrir. S’ensuit alors une micro-enquête personnelle par tous les voisins. Ils se rejettent la faute les uns sur les autres, cherchant qui peut bien être le maître ayant reçu une doléance. Ils finissent par se mettre d’accord, c’est la porte du rez-de-chaussée.
« Toc-toc-toc »
Une petite voix se fait entendre derrière la porte. De longues secondes passent. Puis l’homme ouvre. Une chaleur sort de la pièce, comme si les fenêtres n’avaient pas été ouvertes depuis plusieurs semaines. À l’intérieur, deux petits chiens, Cheyenne et Mimie, courent dans tous les sens. La première, à poils ras, est si maigre qu’on voit ses côtes saillir sous sa peau tendue.
L’homme bégaye : « Elle, elle mange tous les jours. Mais elle ne grossit pas… Je, je ne comprends pas. » Ses griffes sont longues, recourbées. Elle n’est pas identifiée. « C’est la voisine du dessus qui me l’a donnée il y a un an… » Cheyenne est emmenée à la SPA. L’homme pourra la récupérer, à conditions de payer les frais de ses soins. Il baisse les yeux : « Je n’ai pas beaucoup d’argent, je ne pourrai pas payer tout de suite… » Le deuxième chien, à poils longs, semble en meilleure forme. Il devra cependant être emmené chez le vétérinaire afin que ses griffes soient coupées. Si rien ne bouge, il sera lui aussi saisi. Dehors, les voisins attendent. Ils ont envie de savoir ce qui s’est passé à l’intérieur. Ils en profitent pour papoter sur le dos de leur voisin. « Il était plus gros quand ma femme lui a donné. »
Une porte abîmée. La sonnette ne fonctionne plus. Jérôme lance quelques cailloux sur la vitre de droite, au premier étage. Un vieil homme vient ouvrir. L’odeur prend un peu plus aux narines à chaque marche. Comme un mélange de moisissure et d’excréments. C’est la quatrième fois que Virginie et Jérôme lui rendent visite. Cela fait plusieurs semaines que le maître vivait dans les crottes de son ancien chien, décédé suite à des problèmes de santé. Cette fois, rien à vue d’œil. Mais la puanteur est toujours là, incrustée dans les murs. Un seau d’eau sale traîne au milieu de la pièce, signe qu’un nettoyage récent a eu lieu.
Un nettoyage longuement attendu. La cuisine, chez Zora.C’est alors qu’un petit chiot arrive dans les pieds des deux inspecteurs. Il n’y avait pourtant que des chats, la dernière fois qu’ils sont passés. Le vieux explique que c’est l’autre locataire qui lui a ramené. Il avait vu que la mort de l’ancien chien l’avait plongé dans la peine. « Il est arrivé en me disant : c’est le chien d’une amie, elle le laisse pour 200 euros. Moi j’ai répondu que c’était trop, alors on a coupé la poire en deux, je l’ai pris pour 100. » Il l’a appelé Zora. Une petite femelle. Il montre fièrement le carnet de santé. Vaccins faits, tout est en règle. Les murs sont tapissés de décorations étranges, les coins de pièces débordent d’objets, ou de déchets, selon l’angle. Les murs sont rouges et oranges, ce qui donne une ambiance plutôt originale. Dans la pièce, un vieux western hurle à plein volume. Un bruit de fond permanent, comme pour occuper le silence. Dans la cuisine, l’évier déborde de vaisselle. Au plafond, des bandes collantes à mouches, noircies par des centaines d’insectes. Et au milieu de tout ça, une touche de tendresse : un dessin naïf, accroché sur le frigo, aux lettres colorées. Il est écrit « Titi » en rose et jaune. Un mot d’enfant dans un décor d’abandon. Un peu plus loin, les gamelles, pleines. Une litière aussi, bien utilisée. Dans les yeux du vieil homme, quelque chose avait changé. Un peu de fierté, un peu de douceur, et peut-être l’envie de recommencer.
En 2024, la SPA de Charleroi a enregistré 1.698 entrées. Cela représente en moyenne cinq animaux par jour, comprenant recueils, abandons et saisies, le tout pour à peine une adoption quotidienne. Une cadence soutenue, dans un refuge saturé qui ne cesse de tourner, sans jamais vraiment se vider. Les inspections ne visent pas seulement les « mauvais maîtres », mais des personnes seules, submergées par la vie. Pour qui un animal est parfois le seul repère, ou au contraire une responsabilité devenue trop lourde. Alors chaque mardi, Virginie et Jérôme reprennent la route.
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