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Chaque cause en son temps
En cinquante ans, le pays noir a-t-il pris des couleurs ? Maison Arc-en-Ciel, Fête de l’Amour et même passage pour piétons Arc-en-Ciel… Depuis 2023, la ville a même inscrit la lutte contre les discriminations LGBTQIA+ dans ses priorités. Beaucoup d’initiatives sur le papier, un léger décalage avec la réalité.
1975, Tamines (18 km de Charleroi). Jean a 26 ans. Il ne va pas passer par quatre chemins, il aime les hommes. Il le sait. Depuis toujours. Ses parents aussi, il ne leur a jamais caché. Mais eux espéraient que « ça passe » un jour. Jean savait bien que non. Quand il a eu 18 ans, il leur a confirmé qu’il était homosexuel. « Je ne te mets pas à la porte mais si tu pars, ne viens jamais pleurer pour qu’on te reprenne », avait averti son père. Une table, deux chaises. C’est tout ce que le garçon avait pu se permettre quand il a quitté la maison familiale. Sa mère n’a pas voulu couper le cordon, elle récupère son linge et fait ses lessives en cachette. La ville entière a le nez dans les mines. La Bataille du charbon, lancée par le nouveau Premier ministre Achille Van Acker, fait régner la culture ouvrière et son virilisme patent. Et la médecine le considère comme un malade mental. Mais Jean n’est pas malheureux. Il n’a pas d’idées noires, n’a pas sombré dans l’alcool. Son homosexualité, c’est sa liberté.
2025, Charleroi. Adhen a 25 ans. Cheveux courts bruns, deux mèches encerclent le haut de son visage. Un rire un peu pudique chaque fois qu’il parle de lui. Adhen est né dans un corps de femme. Il y a quatre ans, il s’est rendu compte qu’il était un homme. Dans ce corps de femme, il est d’abord sortie avec une fille. Dans les couloirs du secondaire, il a d’abord connu l’homophobie. C’était sa première histoire d’amour. Il avait 16 ans. « Il y avait des rumeurs comme quoi on aurait fait des choses dans les couloirs ». L’époque contemporaine a du fil à retordre. « Depuis début 2025, il y a vraiment des retours affolants. C’est ok d’être homophobe et on le dit fièrement. Les structures jeunesse, le corps enseignant, ne savent pas quoi faire », s’inquiète Céline Claassen, chargée du GrIS, un projet de sensibilisation aux questions LGBT dans les écoles.
Depuis 2022, la transidentité n’est plus considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé. Mais la montée des extrêmes droites aux États-Unis et en Europe a ouvert les vannes d’un déferlement de haine. Et les jeunes ne sont pas épargnés. Charlie, garçon transgenre en sixième secondaire, évite les toilettes de son école. « Sinon je me fais agresser », déplore-t-il. Dans un de ses travaux publié en 2019, la sociologue du droit Isabelle Carles écrivait : « Les hommes gays se sentent tolérés et acceptés par la population de Charleroi tant qu’ils développent une image masculine que la population peut interpréter comme une expression hétérosexuelle d’hégémonie masculine. Ce qui exclut d’emblée les autres membres de la communauté LGBT, à savoir les lesbiennes et les personnes transgenres ».
Adhen a ensuite connu la vie d’hétérosexuel, quand il s’est mis en couple avec des hommes, toujours dans ce corps d’apparence féminine. Un plus âgé, avec qui c’était difficile d’être soi. Son deuxième mec était plus sain, mais la première relation avait laissé de vieux réflexes. « Je faisais beaucoup en fonction des critères de l’autre ». Il sentait bien que quelque chose clochait, mais ne trouvait pas d’espace pour y penser. « C’est quand je me suis retrouvé célibataire que je me suis rendu compte que j’étais transgenre », se souvient-il. Personne autour de lui ne semblait vivre la même situation. Tout le monde se retrouvait dans le moule.
Jusqu’à arriver dans le supérieur. « Et encore ». Une amie bisexuelle et non-binaire, c’est tout ce que la haute école de Montignies-sur-Sambre avait à lui offrir. Plutôt introverti, il avait besoin de rencontrer des gens de la communauté. « On vit les mêmes expériences donc c’est plus simple ». C’est là qu’il découvre le CHECK, le cercle de jeunes LGBTQIA+ de Charleroi hébergé par la Maison Arc-en-ciel (MAC). Emma, une de ses amies du cercle, renchérie : « sans la MAC, ce serait le désert de connaissance ». La Maison arc-en ciel, un havre au détour de la rue du Pont Neuf. C’est là qu’Adhen a formé sa bande d’amis. Au début, il les retrouvait le mercredi, à 18 heures. Il se rendait au pied de l’immeuble et sonnait sur l’interrupteur du bas. Ne pas se tromper, on ne voudrait pas déranger les voisins. On leur dit bonjour quand on les croise en bas, de retour du Quick ou du Syrien. Deux bonnes adresses et une bonne excuse pour filer de ce local qui commençait à être trop rempli. Maintenant le rendez-vous est un peu plus tôt, en dehors de la MAC. Adhen rejoint Emma et Charlie, arrivés en même temps que lui au cercle. Tous les trois le disent, ils ne sont pas les Carolos les plus fêtards. Emma aimerait tout de même aller plus souvent au Rockerill, ancienne friche industrielle réhabilitée en salle de concert. « La musique est trop cool mais il faut pouvoir y aller ». A Marchienne-au-Pont, le dernier métro part à 20h, même le weekend. Alors ils trainent, se baladent en ville, dans des endroits dont ceux qui ne roulent pas sur l’or peuvent profiter. Parfois sur les quais, par où passe le RAVeL qui longe la Sambre jusqu’à Namur ou la frontière française. Cette fois-ci, au parc du centre. Le trio dore au soleil avant que l’heure de la permanence ne sonne. 17h55, il faut filer. Emma embarque sa canette de Dr Pepper goût noix de coco.
1975. 20h, Jean arrive au parc. Pas celui de Charleroi. A La Louvière, il y a plus de monde. Quand il n’est pas dans les bars avec sa bande, il valse dans les parcs, pour aller draguer en toute discrétion. Vêtements colorés style hippie, le jeune homme n’a pas succombé aux cheveux longs. Au bar, les âges se mélangent. Il côtoie les plus âgés, récolte de précieux conseils de vie qu’il ne recevra plus de ses parents. Trouver un travail, mettre de l’argent de côté pour plus tard. Tu verras, tu seras content de pouvoir t’acheter une maison et partir en vacances avec ton mec. La drague est facile. Un regard et chacun comprend tout de suite le désir qu’il cherche pour l’autre.
2025, Charleroi, salle à manger de Jean. Accoudé sur sa nappe rouge en toile ciré, le septuagénaire feuillette le programme de la ville. Les Big Fights, Charleroi LGBTQIA+ Friendly City. « Des spectacles, du théâtre, ça j’irai tiens ». Maintenant, dans Charleroi, il est Petit Jean. « Parce que j’aide les autres, comme dans Robin des bois », s’amuse-t-il. Trois centimètres de cheveux blanchis par l’âge et un t-shirt jaune poussin. Un adepte des lieux culturels comme l’Eden et le cinéma comme il l’a toujours été. Depuis la mort de son compagnon, il y a deux ans, pas de nouvelle aventure. Où sont les vieux gays de Charleroi ? « Ou ils sont tous cachés, ou ils sont tous introvertis », plaisante Jean, lassé de chercher à comprendre. Ceux qui habitaient encore ici dans sa jeunesse seraient partis. Ou peut-être ne sont-ils jamais sortis du placard.
Quand il a annoncé à sa mère qu’il était transgenre, Adhen aurait voulu qu’elle lui pose des questions. Elle a choisi de ne rien dire. Pas de rejet, pas de soutien non plus. Une réaction tiède. « Je voulais aller à la MAC avec elle pour qu’elle puisse poser des questions ». Mais les deux assistantes sociales étaient déjà en arrêt maladie depuis plusieurs mois. Dommage.
Depuis le début de l’année, l’association ne répondait ni aux mails, ni aux coups de fils, ni aux messages sur les réseaux sociaux. Même les permanences d’accueil n’étaient pas assurées. Les budgets de la Région wallonne ne permettent de ne financer que deux postes. Pourtant, l’asbl est l’unique interlocuteur de confiance pour les Carolos de la communauté. « La Maison Arc-en-ciel m’avait conseillé un bon psychiatre », témoigne Adhen aux jeunes du CHECK, alors qu’Alexia s’insurge : « On ne m’a jamais conseillé un bon médecin à Charleroi ». Pour ses soins médicaux, la jeune femme fait le déplacement jusqu’à Bruxelles. Pourtant, la question LGBTQIA+ n’est pas absente de la politique de Charleroi. Depuis 2023, la lutte contre les discriminations homophobes et transphobes fait partie des cinq grands combats de la ville. En 2024, le Grand hôpital de Charleroi s’engage à trouver des professionnels de la santé formés aux questions de transidentité. Depuis des services ont été mis en place. Encore faut-il le savoir. Si la MAC est fermée, à qui demander ? « Il y a sûrement des gens qui se posent des questions et qui ne trouvent pas les réponses parce qu’elles ne sont pas facilement trouvables sur internet. C’est le problème d’être en Belgique, quand on cherche des informations, on tombe sur des associations en France », explique Emma, bénéficiaire de la MAC Charleroi.
Depuis l’été 2023, le Boys trône fièrement sur la place de la Digue. Un drapeau arc-en-ciel sur la devanture. Les gérants Bruno et Johan n’ont jamais eu de problème. « Dans notre clientèle, il y a beaucoup de gens qui ne sortaient qu’à Bruxelles à cause du sentiment d’insécurité », analyse Bruno. Le lieu est ouvert à tout le monde « pas seulement aux gays », se félicite le couple. Peut-être une des raisons qui freine les jeunes du CHECK à venir en terrasse.
Sans forcément arborer une devanture multicolore, de plus en plus de bars ont la réputation d’être accueillants et safe pour les personnes de la communauté. « Charleroi a sa mauvaise réputation mais ça change petit à petit avec de nouveaux lieux culturels », estime Alexandre, employé du café le Chien Vert. « Il y a vingt ans, ce n’était pas du tout comme ça », ajoute le Carolo.
Si Adhen était né il y a cinquante ans, peut-être Jean et lui se seraient-ils rencontrés. Peut-être que Jean ne serait jamais allé à ce vernissage. Alors il ne se serait pas retrouvé devant cette toile, un verre de vin à la main, à discuter avec Jean-Pierre qui partagera 40 ans de sa vie. Il n’aurait probablement pas connu sa mère chez qui il a souvent évité de rester manger pour « ne pas éveiller les soupçons » avant que tous les deux apprennent qu’elle « l’a toujours su ». Mais peut-être que cinquante ans en arrière, Adhen n’aurait pas trouvé d’amis qui vivent la même chose que lui. Qui comprennent dans leur chair ce qu’il traverse, depuis qu’il a franchi la vingtaine. Pourtant, difficile de dire si sa vie aurait été moins facile. 2024 et son nombre d’élections record ont fait émerger de multiples crises politiques. Si la Belgique est pour le moment épargnée, de plus en plus de pays d’Europe voient les droits des personnes LGBTQIA+ directement menacés. Jean aurait voulu être artiste, mais tout le monde partait à l’usine. Les années n’ont pas effacé son grain de folie. A l’arrière de son crâne, il a tatoué son numéro de registre national, « pour que si on me retrouve, on sache qui je suis ».
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Regarde Charleroi dans les yeux
Photo: Elise Houben
Il existe des journalistes du savoir et des journalistes du regard. « Les premiers sont ceux qui savent sans aller voir sur le terrain, les seconds ne savent pas donc ils vont voir sur le terrain, parce que le terrain ne ment jamais », observe le journaliste français Sorj Chalandon.
L’atelier de photojournalisme donné par Olivier Bailly, Colin Delfosse et Laurent Poma s’inscrit résolument dans la tradition du terrain. Pendant cinq semaines, sous leur conduite, 14 étudiant·es en journalisme se sont plongés dans la réalité de Charleroi.
Pendant cinq semaines, ils et elles ont questionné la présence absente de l’Unif, la loterie du logement social, la réinsertion par la formation. Écouté les mères seules, les artistes du terroir, les femmes qui nettoient et se noient, les alcooliques abstinents. Rencontré les chiens et les hommes, les Ultras interdits, les jeunes et leur art, des carolos trans’ et homos.
Cinq semaines, c’est infime dans le temps d’une ville. A l’échelle de la production journalistique, c’est beaucoup. Retrouvez leurs travaux ci-dessous.
Debout, toujours Pas foule au Campus de Charleroi Le futur c’était mieux avant Seule en mère Ensuite, on verra bien Les Storm Ultras, illuminés dans la pénombre du Pays Noir Derrière la porte 24 heures à la fois Mur après murThe post Regarde Charleroi dans les yeux appeared first on Mammouth Média.
Pas foule au Campus de Charleroi
L’annonce réjouit : 10.000 étudiants à Charleroi ! Le campus universitaire carolo va incarner un nouveau départ. Pour les étudiants, pour son quartier : la Ville Haute. Ce projet porte l’espoir de changements. Il attirera les jeunes de la région, revitalisera tout un environnement et transformera Charleroi en ville universitaire. Mais un an et demi après la première rentrée académique en 2023, les commerces se demandes où sont ces étudiants qu’on leur avait promis.
Embouteillages en fin d’après-midi sur Bruxelles. Depuis cinq minutes, personne n’a bougé. Faut dire que les deux serveurs sont débordés. Trois cocktails à faire pour l’un, changer le fût pour l’autre. Sur la terrasse, les différentes peaux transpirantes discutent et rigolent, on n’entend plus les bus. À l’ULB, les cours sont terminés depuis une heure. Les étudiants sont libres d’aller boire un verre en terrasse, dans un parc ou un kot. Le rond point du cimetière d’Ixelles, la plaine du K et le bois de la Cambre sont bondés. Il n’est que 18h mais les estomacs sont vides, une file s’étend jusqu’à l’extérieur du Quick, et ce n’est pas parce que l’une des bornes automatiques est cassée. À 60km de là, c’est la même chanson. Une cinquantaine d’étudiants quittent le campus Zénobe Gramme de Charleroi. Mais la mélodie est différente, ils passent devant les bars mais n’y entrent pas. En vingt minutes, le campus et son quartier sont vides, un peu plus vides. Au moins, il n’y a pas d’embouteillages. Au Métro, café de l’avenue du Waterloo, Beka sert ses deux clients. Ils jouent aux machines à sous. Deux croque-monsieur et deux bières font connaissance avec le paquet de cigarettes sur leur table. De l’autre côté de la vitre, il y a de l’espace pour une terrasse. Mais les tables et chaises sont dans la cave, ou dans un couloir, on ne sait plus trop. À la place, rien. Juste cet homme, plus de poils sous le menton que sur le crâne, qui promène son chien. « Une université à Charleroi ? J’ai l’impression qu’elle n’existe pas, je ne vois jamais d’étudiants ».
Pourtant, elle est à deux rues : le Zénobe Gramme, ancien musée de 18.392 m2 bâti en 1903 pour l’Exposition Internationale de Charleroi, rénové en université. En face, il y a le bâtiment Maçonnerie où se trouvent classes, auditoires, zones d’étude et le BPS22, Musée d’art de la Province de Hainaut. Au total : 5 auditoires, 55 salles de cours, 450 places de laboratoire, 280 places de labo informatique et 120 bureaux. À cela s’ajoutent Solvay et l’université du travail Paul Pastur. Il est désormais possible d’étudier l’ingénierie, l’informatique, les sciences, l’architecture transmédia, l’urbanisme et bien d’autres. Rendre Charleroi universitaire, c’était l’envie de l’ancien bourgmestre Paul Magnette (PS). Selon Maxime Mori (PS), attaché de cabinet de l’actuel bourgmestre Thomas Dermine (PS), Magnette a voulu donner une justice historique à Charleroi, ville la plus peuplée de Wallonie, qui n’avait toujours pas son université. Ne pas en avoir provoquait un phénomène de désertification. « À Louvain-La-Neuve, il y a plus d’étudiants arrivants que d’habitants. Nous c’est l’inverse, les jeunes partent », explique Mori. Dès 2014, le Charleroi District Créatif, projet de 140 millions d’euros visant à développer la ville, est mis en place. Charleroi en investit 55 dans son nouveau campus à l’aide de fonds FEDER (Fonds Européen de Développement Régional) et de fonds du Gouvernement wallon. Ces derniers ont financé respectivement 40 et 50% du projet. Les 10% restants ont été apportés par la Ville et les différentes universités. L’ULB (Université Libre de Bruxelles) et l’UMONS (Université de Mons) sont les premiers à collaborer au projet de Magnette, ancien professeur à l’ULB. Quant à l’UCL (Université Catholique de Louvain), elle refuse d’y prendre part jusqu’en 2020, lorsqu’elle achète l’hôpital Notre-Dame pour y poser ses valises. Le campus a donc deux principaux objectifs : attirer les carolos et redynamiser son quartier.
Beaucoup d’espoir, peu d’étudiantsPas de zèbre universitaire à l’horizon dans le bas de l’avenue de Waterloo, artère reliant le sud au nord du quartier. Un Pizza Hut propose un menu étudiant pour moins de 7 euros. Bien essayé, mais la file se tient devant le comptoir du snack Waterloo. « Nous, évidemment qu’on est contents, on vend beaucoup plus de sandwichs à midi depuis l’ouverture du campus », s’enthousiasme la serveuse le pot de mayonnaise à la main. Il reste deux personnes à servir, pas de perte de temps. Les rues perpendiculaires jouent au roi du silence. Tout le monde est resté chez soi aujourd’hui. Ou alors, ils sont vers la Ville Basse, pour faire les magasins. Ceux du quartier disparaissent. De la poussière et des meubles abandonnés sont tout ce qu’on aperçoit aux vitrines. Rien à vendre, mais les lieux sont à acheter. « Kot à louer », le panneau de l’agence immobilière ne tient plus qu’à une vis. Une classe sort du Zénobe Gramme. « On va au Burger King de Rive Gauche ? », l’autre acquiesce et les voilà partis vers le centre commercial de la Ville Basse. Au Métro, Beka regarde un afflux descendant l’avenue de Waterloo. Personne ne rentre. « Je ne suis pas étonnée qu’ils ne viennent pas. C’est pas safe ici. Ils auraient dû laver le quartier avant d’y mettre les étudiants ». Plusieurs « je ne suis pas raciste mais » plus loin, elle pointera du doigt la porte. « J’ai dû y mettre une serrure en plus. Maintenant, il faut sonner pour rentrer dans le bar. Sinon, les dealers rentrent et vendent leur drogue ici. » Elle se rend derrière le comptoir. « J’ai une clef à molette et un grand couteau à fromage. Un jour un mec est rentré et a mis son canif devant moi. J’ai sorti mon couteau, il a vite bougé. Je me défends. Les étudiants ne le savent pas, c’est pour ça qu’ils n’habitent pas ici ». Pourtant, ils sont plusieurs à avoir été intéressés par l’annonce des 10.000 étudiants. En 2023, Paul Magnette indiquait que 350 permis d’urbanisme avaient été délivrés. Mais Marie, en première année d’études en sciences humaines, grimace à l’idée d’habiter à Charleroi. « J’habite à Couvin, mais je préfère faire l’aller-retour tous les jours plutôt que de koter ici. C’est trop dangereux ». C’est vrai que Charleroi a une image de ville moche, sale et dangereuse. En 2008, le journal néerlandais De Volkskrant avait même élu le Pays noir « la ville la plus moche du monde ». Le Telegraph la qualifiait de « ville la plus déprimante d’Europe ». Cette image négative, la Ville en a conscience et travaille pour la redorer. Paolo Ruaro estime que cette image n’est pas la réalité : « Je comprends qu’un étudiant ne veuille pas venir à Charleroi. L’image de la ville doit être repensée. Mais la ville se développe et elle n’est pas plus dangereuse que Bruxelles par exemple ». Pour Beka, changer l’image ne sert à rien : « Charleroi c’est comme une femme de 90 ans qui fait de la chirurgie. T’as l’impression qu’elle est jeune mais à l’intérieur elle est bientôt morte». Pour elle, c’est trop tard.
Beka a quand même eu de l’espoir à l’annonce de la construction du nouveau campus. « C’est pour ça qu’on est encore ici d’ailleurs ». Elle évoque une réunion entre les commerçants et Paul Magnette. Selon Fabrizio Padovan, président de Shop In Charleroi, l’union des commerçants de la ville, cette réunion n’a servi à rien. « Les travaux avaient déjà commencé, on n’a pas eu notre mot à dire ». Le Métro s’est préparé à accueillir les étudiants. « On voulait mettre une belle terrasse, on a les tables, les chaises. On n’attendait que ça en sortant des travaux : avoir des tables d’étudiants et leur faire des offres de mètres de bières ». Au final, rien. Beka se retrouve avec ses habitués, qui se font de moins en moins nombreux.
« Ils nous ont clairement vendu du rêve ». Les réunions entre la Ville et les commerçants n’auraient eu pour seul but de rassurer pour se faire réélire. « Ils nous disent qu’il y allait y avoir 10 000 étudiants, c’est génial. Bien sûr qu’on est contents. Puis, deux semaines avant les élections, ils nous mettent encore plus de patrouilles de police pour montrer que le quartier sera plus sain. 2 semaines après les élections : plus rien. Deux ans après la première rentrée universitaire : personne » raconte Beka.
En 2020, la Ville annonçait que l’objectif était d’accueillir entre 12 000 et 15 000 étudiants à terme. En 2023, Magnette revoit les chiffres en baisse et en espère 10 000. Peut-être qu’ils se sont vus trop beaux. Maxime Mori estime que l’incompréhension est due aux différentes envies. Celle de la Ville est de rendre Charleroi universitaire, alors que les commerçants ont avant tout un objectif économique. Par contre, Mori avoue que « la communication n’a pas été bien faite ». Il demande dans un premier temps de re-baliser la vie universitaire carolos. En effet, il y a d’autres bâtiments consacrés aux études supérieures, à Montagnes-sur-Sambre et Marcinelle. Les étudiants de ces bâtiments vont être transférés progressivement vers le campus de la Ville Haute. Ça, la Ville n’en a pas parlé, ou beaucoup moins. Elle a promis 10.000 étudiants sur le nouveau campus tout en omettant que ce chiffre allait être atteint grâce au rassemblement de tous les étudiants de la ville dans un seul endroit. « En fait, l’information qu’il manque aujourd’hui, c’est que le campus n’est pas du tout achevé. On n’est vraiment que dans les prémices ». Il ajoute que la principale difficulté est de mettre tous les différents acteurs d’accord avant de communiquer. « Avant la création de l’ARES, qui coordonne l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles, et du décret paysage, aucun acteur ne se parlait. Les hautes écoles ne parlaient pas aux universités qui elles-mêmes ne se parlaient pas en dehors de leurs piliers historiques ». Avant de communiquer, il faut donc mettre tout le monde d’accord, que ce soit l’ULB, l’UMONS ou la Haute Ecole du Hainaut. La cohabitation, et donc la communication commune, ne fait que commencer. Mori est néanmoins optimiste pour le futur.
Beka non. Pour elle, si le quartier n’est pas assaini aujourd’hui, il sera trop tard pour agir demain. Au contraire, Paolo Ruaro explique que voir les avantages d’un aménagement de territoire prend du temps et, qu’en général, un masterplan peut prendre 30 ans avant d’atteindre ses objectifs. L’urbaniste donne 8 ans pour que le campus remplisse les siens. « Ce n’est pas comme quand t’achètes une voiture que tu peux conduire le jour même ». Maxime Mori se projette pour 2026-2027, lorsque les 6 mini-campus de Charleroi se rejoindront dans la Ville Haute. « Mécaniquement, il y aura plus d’étudiants. On va dire qu’il y en a pour l’instant 4000 dans le centre. Il y en a environ 3400 sur le campus de Montigny-sur-Sambre. Quand ils viendront, on aura déjà plus cet effet de masse. Ce sera aux différents acteurs de créer une identité, un lieu de vie, de fêtes. Et la densification créera un effet d’attrait ».
La ville mise sur son futur, d’abord à l’horizon 2050. Paul Magnette l’écrit dans la préface du livre Charleroi Projet Métropolitain qui explique la rénovation du Pays Noir. 15 lignes plus loin, on lit que « se projeter dans le temps ne revient pas à délaisser le temps présent, au contraire ». Au Métro, Beka veut offrir un verre à Thomas Dermine pour en discuter. Astucieux pour remplir son bar.
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La bière sans alcool décolle
Blonde ou brune, de table ou d’abbaye, fruitée ou amère, la bière fait partie du patrimoine culturel belge. En 2023, le Belge consommait en moyenne 13,2 litres d’alcool pur, ce qui faisait de la Belgique un des pays les plus consommateurs d’alcool en Europe. En termes de consommation de bières, elle est estimée à 60 litres par habitant, selon les données de l’office européen de statistiques. Face à cette consommation excessive, des brasseries proposent des bières 0 %, une alternative que l’alcoologue Martin De Duve considère insuffisante pour répondre aux véritables enjeux de santé publique.
La bière sans alcool, un marché en pleine croissance en Belgique
De plus en plus de marques de bière développent des versions sans alcool, afin de répondre à une demande en forte croissance. C’est le cas de la brasserie Alken-Maes qui a pour objectif de proposer une bière 0.0% au fût et à grande échelle dans les festivals et les concerts. Entre 2023 et 2024, les bières sans alcool ont remporté un succès grandissant sur le marché brassicole, enregistrant une progression de 40% des volumes écoulés. Mais ce marché reste encore peu développé par rapport à nos pays voisins. En Belgique, elles représentent, aujourd’hui, 4% des ventes de bière, loin derrière l’Allemagne (14%), les Pays-Bas (8%) et la France (6%). Pourtant, la consommation de bières 0.0 % dans l’Horeca en Belgique a progressé de 31 % entre 2022 et 2024, et cette croissance pourrait encore doubler dans les prochaines années.
La bière, une addiction bien réelle chez les belges
Bien que le marché de la bière sans alcool soit en pleine expansion depuis quelques années, il ne permet pas encore de réduire de façon significative le nombre de Belges en situation de consommation problématique d’alcool, voire en totale dépendance. D’après les chiffres de l’alcoologue Martin De Duve, un Belge sur sept est en situation de consommation problématique d’alcool et un sur quatorze en est dépendant. Ces chiffres témoignent d’une réelle problématique. Cette consommation élevée d’alcool est aujourd’hui la deuxième cause de mortalité évitable juste derrière le tabac. Elle est responsable chaque année de 3 à 10 000 décès en Belgique, soit jusqu’à 10% de la mortalité globale.
Le plan alcool c’est quoi ?
Adopté en Conseil des ministres en mars 2023 après plus de dix ans de discussions politiques, le Plan Alcool vise à coordonner différentes mesures de prévention, de sensibilisation et de régulation autour de la consommation d’alcool. Il comprend 75 actions réparties en neuf missions, telles que la prévention, la promotion de la santé et l’amélioration de l’accès aux soins.
Le plan alcool, une réelle solution au problème d’addiction ?
Pour Martin De Duve, la réponse est claire : « C’est une coquille vide. » Il déplore le manque de mesures concrètes et contraignantes, pointant une certaine frilosité politique face au lobby de l’alcool. Selon lui, l’une des mesures les plus efficaces serait l’interdiction pure et simple de la publicité pour les boissons alcoolisées, à l’image de ce qui a été fait pour le tabac. En effet, la publicité pour l’alcool est un facteur qui influence les comportements de consommation. Elle a tendance à attirer les personnes les plus vulnérables, notamment les jeunes et les personnes qui ont un problème avec l’alcool. Une autre mesure envisagée par Martin consisterait à renforcer l’étiquetage des bouteilles d’alcool en y ajoutant plus d’informations, telles que des informations nutritionnelles, les ingrédients et surtout le nombre d’unités d’alcool par contenant, ce qui permet aux consommateurs de mieux réguler leur consommation. Enfin, d’autres solutions concrètes pourraient être mises en place, comme le remboursement des consultations d’alcoologie, ou encore l’obligation d’un accès à de l’eau gratuite dans l’Horeca et les événements festifs tels que les concerts, les festivals et les fêtes estudiantines.
La bière 0.0%, une efficacité limitée sur les vrais enjeux de santé publique
Comme nous l’explique Martin De Duve, si le marché de la bière sans alcool se développe, notamment grâce à des initiatives comme celle d’Alken-Maes, il répond avant tout à une logique économique. Le goût de la bière, son aspect festif, la possibilité de faire comme les autres sans alcool, ces arguments séduisent, mais ne ciblent pas les personnes les plus à risque. Pour Martin De Duve, ce type de produit n’a pas d’impact réel sur la diminution du nombre de personnes dépendantes. En effet, selon lui, ces bières sans alcool peuvent susciter chez certaines personnes un craving, autrement dit une envie irrésistible de consommer à nouveau de l’alcool.
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Qu’est-ce-qu’on boit ?
Alexis Vercruysse
Après m’être immergé pendant plusieurs semaines dans le monde de quelques alcooliques abstinents de Charleroi, j’ai observé notre société d’un nouvel oeil. En franchissant les portes des bistrots de la ville, je découvre que l’alcool est partout, que son décor est si familier qu’il en devient invisible. Je découvre aussi que ne pas boire est plus stigmatisé que de boire trop.
Personne sur la terrasse du Bergerac. A l’intérieur, les hommes attablés regardent ceux qui sont debout pour jouer au billard. Derrière le bar, la gérante se tient prête à les servir. Le Café de Paris ouvre.Le patron attend ses premiers clients sur la terrasse. Carlo et son ami, chez Walter.
Tout les matins ou presque c’est le même rituel.
«Je suis venu hier vers 10h mais tu n’étais pas là !» lance l’un. «Belote !» crient les vieux de chez Aurélio. Ici, il n’y a que des pensionnés, «les jeunes se rassemblent chez eux maintenant, ou ailleurs mais plus dans les cafés en tout cas», me confie le gérant. Chez Aurélio L’Hôtel de Ville Taverne le Versailles Au Majestic, Mario tient compagnie au barman. Il est bientôt midi mais il n’est toujours que le seul client, les deux semblent s’en réjouir. Stella et Zaf, à la Brise Catherine et son chien Mystic, à la taverne Le Carolo. Le Madison 2, fermé, mais qui sentait l’alcool quand même.
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Jury central : plus de candidats, pas plus de moyens
Photo réalisée à l’aide de l’intelligence artificielle
Décrocher ses diplômes du secondaire sans passer par l’école traditionnelle, c’est la promesse du jury central. De plus en plus de jeunes choisissent cette alternative pour obtenir le certificat d’enseignement secondaire supérieur, le CESS. Cette année encore, le nombre de candidats a augmenté de près de 30%, passant de 1.059 inscrits en 2024 à 1.368 en 2025.
À l’heure où certains élèves de 6e secondaire préparent assidûment le CESS sur leurs bancs d’école pour juin prochain, d’autres avaient déjà le nez dans leurs copies en février pour le deuxième cycle d’examens du jury secondaire 2024-2025.
Mêlant autonomie, flexibilité et exigence, ce jury central enregistrent un nombre croissant de participants depuis des années. Entre 2016 et 2024, leur nombre a doublé, passant de 1298 à 2622 inscrits, toutes options confondues.
!function(){"use strict";window.addEventListener("message",(function(a){if(void 0!==a.data["datawrapper-height"]){var e=document.querySelectorAll("iframe");for(var t in a.data["datawrapper-height"])for(var r,i=0;r=e[i];i++)if(r.contentWindow===a.source){var d=a.data["datawrapper-height"][t]+"px";r.style.height=d}}}))}(); Un taux d’échec conséquentPourquoi les jeunes ont-ils davantage recours à ce parcours pour obtenir leur CESS ? « Bonne question« , s’interroge Cindy Renard, directrice des jurys de l’enseignement secondaire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. De mémoire, elle n’a pas le souvenir d’une étude réalisée sur les motivations étudiantes et elle attend avec impatience les conclusions de l’analyse qui a été lancée cette année pour la première fois depuis l’apparition des jurys de l’enseignement secondaire en 1864.
Décrochages scolaires, redoublements, concurrence de l’enseignement à domicile ou encore nécessité de conjuguer des études à une activité professionnelle. Alors que les analyses définitives sont attendues prochainement, les résultats provisoires pointent déjà certaines difficultés étudiantes. A l’image de celles qu’a connues Madelaine De Schutter, diplômée du jury en 2023. « Après une phase dépressive, qui m’a fait décrocher et qui m’a éloigné de l’école, j’ai raté ma 5e secondaire. Je ne me sentais pas bien dans mon école, je trouvais les enseignants trop sévères. Pour ne pas changer d’école et perdre un an de plus, j’ai passé mon CESS avec le jury central. »
Cette trajectoire n’est pourtant pas un long fleuve tranquille. Même si le jury central séduit de plus en plus de jeunes, sa difficulté est souvent sous-estimée. « Beaucoup s’inscrivent sans se rendre compte de l’ampleur du travail. Il y a peu de temps entre l’inscription et les examens, et la matière est énorme. Certains abandonnent en cours de route. D’autres passent seulement une ou deux épreuves à la fois« , souligne Labiba Deckers, membre de l’ASBL EAD (Enseignement à Domicile). Les résultats des épreuves pour le premier cycle d’examens de l’année 2024-2025 valident ce constat : hors absentéisme, le taux d’échec s’élève à 76,8%. « Les correcteurs parlent souvent d’un manque de préparation des candidats mais ils ne se rendent pas compte que ce sont deux ans de matière à restituer« , insiste Cindy Renard.
« Il s’agit de la faillite de l’enseignement public », tranche nettement Constantin Ullens, un des co-directeurs de l’école du Bois Sauvage, une école privée qui prépare au jury général pour le Certificat d’études du 1er degré (CE1D), le Certificat d’études du 2e degré de l’enseignement secondaire (CE2D) et le Certificat d’enseignement secondaire supérieur (C.E.S.S.) pour le 3e degré de l’enseignement général.
Fabrice Aerts-Banken, directeur adjoint de la Direction générale de l’Enseignement obligatoire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, relativise ces propos et souligne la faible proportion d’élèves concernés. « Si vous rapportez les 4 000 candidats du jury secondaire aux 900.000 élèves qui sont dans le système traditionnel, ce n’est pas grand-chose. […] Ça ne représente que 0,4%. » Si ce chiffre de 900.000 correspond à l’ensemble des élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles qui pourraient envisager la voie du jury lors de leur parcours scolaire, ce ratio diminue légèrement lorsque l’on ne prend en compte que les élèves du secondaire. Sur un total de 388.840 élèves inscrits dans le secondaire traditionnel en 2023, le jury du même niveau d’études comptait 3.877 candidats, soit une proportion proche de 1 %.
Pour intégrer le jury du secondaire, plusieurs voies d’accès coexistent. Certains optent pour des écoles privées qui préparent au cursus avec des frais d’inscription qui varient de 300€ à 1.200€ par mois. D’autres se forment via l’enseignement à domicile. D’autres encore apprennent en autonomie et tablent sur l’e-learning proposé par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour acquérir les compétences nécessaires. C’est le cas de Nell Hurdebise, qui a dû quitter les bancs de l’enseignement traditionnel pour réaliser son rêve dans la danse. « Pour math et néerlandais, je trouvais que les matières dans l’e-learning étaient moins complètes qu’aux examens. J’ai passé les épreuves à trois reprises, et elles se sont toujours soldées par des échecs. »
La directrice des jurys de l’enseignement secondaire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles connait ces lacunes mais son service manque de moyens pour les améliorer. « On prévient les participants que les modules d’e-learning pourraient ne pas être suffisants. On essaye de faire de notre mieux pour les mettre à jour. Tout ce qui peut être mis en place est mis en place. Mais sans moyens supplémentaires, nous sommes limités. On alerte le cabinet de la Ministre depuis plusieurs années mais rien ne change« . Constantin Ullens, co-directeur de l’école du Bois Sauvage, abonde dans le même sens. Pour lui, « ce service devrait être amélioré. Pour préparer les cours de l’e-learning, qui concernent un paquet d’élèves, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a besoin que de trois profs. En comparaison avec les coûts d’enseignement à l’école, ça ne coûte pas cher !«
Si le Cabinet de la Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement Valérie Glatigny, contacté à plusieurs reprises, n’a jamais répondu à nos questions, la situation pourrait ne pas évoluer. Du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le message de Fabrice Aerts-Banken est limpide : « augmenter les moyens n’est pas la première des options. Notre priorité, cela reste que les jeunes se scolarisent dans l’enseignement traditionnel, et qu’en cas de décrochage scolaire, ils puissent obtenir leur CESS via le jury central ».
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24 heures à la fois
Alexis Vercruysse
A Charleroi comme ailleurs, des hommes et des femmes luttent tous les jours contre l’alcoolisme. Face à l’évidence de l’alcool et à son hyper banalisation, certains d’entre eux se rassemblent jusqu’à plusieurs fois par semaine pour se rappeler d’où ils viennent, et pour continuer à avancer sur le chemin de l’abstinence. Dans leur salle de réunion, les récits s’entrecroisent.
Ding.
La sonnette retentit sèchement et jette un silence presque religieux. Dans cette petite salle aux quatre murs blancs quasiment nus, les rires ont cessé de fuser soudainement.
Tout le monde n’est pas là mais il est 19h, la réunion commence. Avant toute chose : une communication de service. Le groupe, Vie Libre, cherche un nouveau trésorier, adjoint, et un nouveau président, adjoint aussi, c’est nécessaire pour les statuts. Homme ou femme, on s’en fout. “Si vous êtes intéressés, envoyez un message à Linda” souligne Samuel, avant de continuer : “Aujourd’hui nous allons accueillir Isabelle. Je ne sais pas si tu veux commencer ? Ou si tu préfères parler plus tard ?”
Elle est toute tremblante, un peu en retrait. Un mélange de timidité, de gêne et d’un peu de honte peut-être. Autour de cette grande table remplie de crasses à grignoter, une dizaine de femmes et d’hommes sont prêts à l’écouter. Elle ne les connaît pas, personne. Sur le parking, elle avait demandé où était le bâtiment 8A avant de retourner fumer près de sa voiture en attendant l’heure. On était devant.
“Bonsoir tout le monde, je m’appelle Isabelle, je suis absti…enfin j’ai fait une rechute. Ça faisait un an que j’étais abstinente. On dit de téléphoner avant et pas après mais bon voilà, malheureusement j’ai téléphoné après. Je ne jette la pierre à personne, c’est moi qui ai pris le premier verre (…) Je vous remercie de m’accueillir. Merci à tous.” Tout le monde répond aussitôt, presque en cœur, “merci à toi !”
Grégory n’y manque pas non plus, il est assis en face d’elle, il la soutient du regard en attendant son tour. Il en avait vu des nouvelles têtes… Puis il en avait revu certaines, d’autres pas. Toutes avaient un jour fait un choix fort. Le tout, c’était de savoir s’y tenir.
François Ghislain, un des rares alcoologues à Charleroi le reconnaît volontiers : l’arrêt, c’est tout ou rien. Il a l’habitude de comparer l’alcool à Matrix. “Tu prends la pilule bleue ou la pilule rouge ?”, dit-il souvent à ses patients. “Si tu prends la pilule bleue : tu décides de rester dans le système, tu bois de l’alcool, tu restes dans tes problèmes, tu ne vois pas la réalité telle qu’elle est. Si tu prends la pilule rouge : tu arrêtes de boire, tu vois la vie autrement, tu la vois telle qu’elle est, et tu vois aussi le système tel qu’il est, auto-destructeur.” Tout le monde ici avait pris la rouge. Grégory aussi. Il se souvient du temps de la pilule bleue : celui des maux d’estomac, des sueurs et des mauvaises nuits.
Le temps du JasyAu sortir du bois de Soleilmont, on débouche sur une nationale, juste en face, de l’autre côté des deux bandes bien plus empruntées que les sentiers voisins, c’est la maison des parents de Grégory, dans laquelle il a toujours vécu et vit toujours. Le Jasy, c’est juste un peu plus loin.
– Du tabasco avec le jus de tomate ? lui demande la serveuse.
– Je veux bien, merci ! répond-il avec assurance.
Rien n’avait changé. Même décor, mêmes habitués. Dehors il fait magnifique. A l’intérieur, un peu trop chaud. Grégory se rappelle de tous les moments qu’il a déjà passés dans ce Jasy avec une touche de nostalgie. A l’époque, il pouvait y rester des heures, à déguster des trappistes : une, deux, trois ou plus. Il préparait ses émissions radio, trois heures de carte blanche le vendredi ou le samedi soir, ambiance rock, sa vraie passion. Il se rend compte du long chemin déjà parcouru depuis. Une année, sept mois et vingt-six jours. 9135 euros d’économies, et 1809 heures. Son « Facebook d’abstinent« , I Am Sober, ne ment pas : ça faisait 600 jours qu’il ne buvait plus d’alcool, déjà ! Et parmi eux, “le plus beau nouvel an de ma vie” dit-il, et d’ailleurs “tout le monde l’avait dit !” Il avait fêté la nouvelle année avec quelques autres abstinents de son groupe de parole, c’étaient devenus des amis. Ils avaient été dormir à quatre heures du mat’. Le lendemain, il ne leur manquait qu’un peu de sommeil, leurs souvenirs étaient figés. Peut-être Isabelle sera-t-elle de la partie l’année prochaine.
Pour l’instant, Isabelle écoute attentivement la prise de parole de Fabrice en remplissant à nouveau sa tasse de café après l’avoir vidée en un temps record. Puis elle se lance à son tour, clouée à sa chaise. Chaque mot semble vouloir rester ancré au plus profond d’elle, elle doit se les arracher. “Toute ma vie sociale ne tournait qu’autour des Alcooliques Anonymes” commence-t-elle par dire, “mais depuis ma rechute je ne veux plus y aller, je pense que je les dégoûte. Je suis complètement isolée. Je me suis inscrite au Forem mais je ne sais pas… En fait l’alcool m’a tout détruit, que ce soit mon travail, mes économies, il m’a détruit beaucoup de choses… Heureusement il a au moins gardé mon foie…enfin plus ou moins.”
Elle avait précisé ne pas vouloir plomber l’ambiance. “Mais non, ne t’inquiète pas !” lui avait-on répondu avant qu’elle commence. Elle finit par dire qu’elle était contente d’avoir trouvé ce nouveau groupe de parole, Vie Libre.
Grégory sait bien de quoi elle parle. Lui aussi l’avait échappé belle. “Je ne vais pas y aller par quatre chemins, vous avez une stéatose de niveau 3” lui avait dit son toubib. Plus que quelques petites étapes avant la cirrhose, “le stade ultime”. Il ne l’oubliera jamais, ça avait été le déclic. Il avait fait marche arrière toute : direction l’abstinence. Direction les psychologues, les psychiatres, et puis surtout, ces fameux groupes de parole, “essentiels dans le rétablissement” trouvait-il. “D’abord tu te rends compte que tu n’es pas seul, et que la plupart des abstinents ont la banane, ça rassure. Et puis ça permet de te rappeler que tu es alcoolique, parce qu’on peut bien vite l’oublier. Y aura toujours un petit barman accoudé sur ton épaule, prêt à te faire plonger à la moindre gorgée.”
Bien souvent, ceux qui replongent s’enfoncent encore plus profondément que la fois précédente. Alors plus jamais, c’est plus jamais. Tout le monde le dit. Même Gaby.
Lui, les groupes de parole auxquels participent Grégory et sa clique, ça ne lui dit rien. Écouter les problèmes des autres, ça ne l’intéresse pas. Et pas besoin que les autres connaissent les siens. Il vit dans la rue avec sa femme. L’alcool, ça le connaît : le brouillard, le sevrage, la rechute, l’abandon. Puis de nouveau l’espoir, sans conviction, vain d’avance.
Dans sa tente entourée de cadavres de canettes, avec une voix rocailleuse d’un réveil de sous les ponts, il le dit sans hésitation : “Plus jamais, c’est plus jamais. Le problème c’est que quand tu vas faire un sevrage à l’hôpital t’es entouré, donc ça va, mais après trois semaines t’es dehors…”
Dehors… “Au paradis des alcooliques”, poursuit-il… L’enfer des abstinents ?
– Tu fumes quoi là ?
– De la coke, répond Gaby. L’avantage de la coke c’est que c’est juste psychologique.
Sa femme précise : “nous quand on dit stop, c’est stop” avant de déposer sa tête dans le peu de place qu’il reste dans l’ouverture de la tente, sur l’épaule de son mari.
– C’est plus facile d’arrêter la coke que l’alcool ?
Le couple se marre.
– T’as déjà vu de la coke qui passe à la télé toi ?
T’en as déjà vu sur les panneaux de publicité ?
De la coke sur les panneaux publicitaires… du jamais vu, non, inimaginable.
A Charleroi, c’est Jupiler qui a envahi tous ceux des arrêts de bus. Et pourtant l’alcool est une drogue dure, c’est l’OMS qui le dit. On le dit moins dans la vie de tous les jours, on ne le dit pas enfait.
Et pourtant c’est aussi nocif que de la cocaïne, que de l’héroïne.
A chacune de ses premières séances, l’alcoologue François Ghislain l’explique méthodiquement à ses patients : « la seule différence avec d’autres drogues dures, c’est le chemin de dépendance. Pour l’alcool il est énorme, pour la coke il est beaucoup plus court, mais à dépendance égale : c’est la même chose.”
Compliqué d’arrêter donc.
Xavier de Longueville, psychiatre au Grand Hôpital de Charleroi, confirme : “c’est terriblement difficile de prendre la décision de l’abstinence. Et puis avant de prendre cette décision il faut d’abord se savoir alcoolique…” Le plus difficile peut-être… Seulement huit pourcents des gens qui devraient être pris en charge le sont, d’après le psychiatre : “92% échappent au système, ils ne savent tout simplement pas qu’ils sont alcooliques.”
Le problème est vaste, sociétal. “C’est le statut de l’alcool qui est problématique” déplore-t-il. François Ghislain est du même avis : “c’est un vrai problème de santé publique, il faudrait faire une psychanalyse globale de la société pour se rendre compte à quel point une drogue dure et aussi destructrice que l’alcool est rentrée dans nos normes de consommation”.
Pour Grégory, soigner son alcoolisme, c’est apprendre à accepter et gérer ses émotions, il en est sûr. « Tous les psys te le diront« , assure-t-il à Stéphanie lors de son tour de parole. Quelle sournoiserie ! “Si tu es malheureux ou déprimé : va boire un coup, ça ira mieux. Si tu te sens bien, que tu veux faire la fête : profites-en, va boire un coup ! Ton verre est ton meilleur ami”, enchaîne-t-il. C’est en effet ce que notre cerveau pense quand on le fait trop boire. Mais c’est “un faux ami ”, précise bien Samuel qui préside la réunion, la main non loin de sa sonnette. “Comme on dit souvent, l’alcool dissout tout, tout ce qu’on peut imaginer. L’argent, les maisons, les ménages, les enfants. Mais pas les problèmes”, poursuit-il entre la prise de parole de Véronique, déprimante, et une nouvelle et dernière intervention d’Isabelle.
Elle se sent différente, pas normale. Un samedi ensoleillé à rester cloîtrée à l’intérieur, volets fermés ? Non, décidément elle ne se trouve pas normale, “même dans les cures que j’ai faites, tout le monde aimait le soleil”, murmure -t-elle, perdue. Le groupe l’écoute avec empathie. Ne plus aimer le soleil, c’est tout à fait plausible : François Ghislain lui expliquerait tout de suite que “l’alcool est un dépresseur qui provoque la dépression, l’anxiété.” Dans son cabinet, il lui aurait dévoilé tout le processus, il lui aurait expliqué le « pourquoi » biologique : “pour avoir une humeur stable, notre cerveau produit un acide qui s’appelle le gaba, mais la consommation d’alcool l’en empêche. Donc les gens qui boivent souvent ne produisent quasi plus jamais de gaba, fatalement ça les déprime.”
Mais comment retrouver un peu de joie de vivre se demande-t-elle sûrement, comme beaucoup d’autres. Pour ses patients un peu trop fans de bière, l’alcoologue a une solution : “Buvez de la bière ! Sans alcool !” De la “zéro pourcent” : “le meilleur outil du monde” d’après lui. “Tentez l’expérience” dit-il à ses patients. Est-ce que ça leur a déjà donné envie d’alcool ? “100% me disent : jamais !” Et d’après ses dires, ça lui a déjà valu d’en sauver plus d’un ! La vieille école dit non, surtout pas, ça donne le goût et donc l’envie ! C’est faux : “n’importe quel neurologue te dira que ton cerveau reconnaît le goût, mais pas les effets. Alors s’il veut une bière, donne-lui, donne-lui une zéro. Il te foutra la paix” assure François Ghislain.
A la réunion de Vie Libre, tout le monde n’est pas aussi radical que l’alcoologue. Le groupe se divise entre convaincus et trop frileux pour essayer. Rien que d’y penser… non, certains ne peuvent pas s’y résoudre. Grégory, lui, fait partie des convaincus. Il y a quelques jours, il s’était acheté une bouteille de rouge sans alcool pour accompagner la pizza qu’il s’était faite livrer. Il n’en avait bu qu’un verre. “Pourtant la bouteille était là…”
Jusqu’à quand ?La parole a fait le tour de la table, il ne reste qu’à Linda, la secrétaire du groupe, de remercier tout le monde pour dimanche. C’était l’assemblée générale de Vie Libre. Les différents groupes wallons de l’ASBL se sont rassemblés chez eux, à Charleroi. Tout s’était bien passé, elle en est émue. Elle se remémore cette journée avec un sourire libéré, trop longtemps oublié. Elle avait eu la force de sortir de longues années difficiles, d’un alcoolisme caché et de retrouver une joie de vivre. Elle en était fière. Pour l’instant quatre réunions par semaine la font tenir, et son nouveau rôle de secrétaire la fait tenir d’autant plus fort. Elle avoue être devenue accro à ces réunions. « Notre abstinence, c’est notre identité« , avait un jour dit un de ses amis de Vie Libre. Elle était d’accord, et cette nouvelle identité lui allait comme un gant. Grégory ne pouvait qu’approuver, lui aussi. Les deux disent vivre « une abstinence heureuse« .
Mais pour combien de temps ? Linda elle-même reconnait que seuls 3% des abstinents arrivent à tenir la promesse qu’ils s’étaient un jour faite : ne plus jamais boire.
“Je finirai peut-être par y retourner, si je perds ma fille…je ne tiendrai peut-être pas le coup” se dit-elle.
“24 heures à la fois !”
“Aujourd’hui je vois un verre d’alcool comme je verrais une chaise ou une table” avait un jour dit Grégory. “Mais dans dix ans ? Quinze ans ? Vingt ans ? On verra bien. 24 heures à la fois !”
Pour aujourd’hui, la réunion est terminée. Il ne reste qu’à faire un peu de vaisselle dans la pièce d’à côté. Grégory a déjà une cigarette entre les doigts qui ne demande qu’à être allumée. De l’autre côté de la petite salle, une vapoteuse cramponnée dans le creux de la paume, Isabelle se fraie un chemin entre les chaises et le monde qui s’est levé avant de s’éloigner, en murmurant quelques timides au revoir. Un pas devant l’autre, droit vers la sortie. “Faire le premier pas, c’est vraiment le plus dur à faire. Mais revenir c’est encore mieux”, lui avait dit Samuel avant qu’elle ne s’échappe. Elle avait fait le plus dur.
J’espère qu’elle reviendra.
Dans le brouhaha général quelqu’un lâche “Tous chez Odile”, un café de ville haute. “Pas pour moi” répond aussitôt Grégory, tout de même hésitant. Retour maison” !
Le lendemain matin, comme le veut sa routine quotidienne, il partagera à tout le monde sa review musicale du jour, sur Whatsapp.
“Voici le titre “Home” du groupe américain Edward Sharpe & The Magnetic Zeros. Un groupe de Los Angeles formé en 2007. J’aime bien cette chanson qui donne envie de siffler et met de bonne humeur. Enjoy !!”
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Seule en mère
Photos: Élise Henry
Elles sont cinq. Cinq femmes, cinq mères, cinq vies confrontées à la brutalité ordinaire de la monoparentalité. En Wallonie, 200.000 ménages sont gérés par un seul parent. Et l’écrasante majorité – 83% de ces ménages – sont des femmes. La monoparentalité est donc bien une affaire de femmes. Derrière ces chiffres, une réalité trop peu dite : celle d’un système qui pèse lourdement sur leurs épaules. Séparation, isolement, précarité et violences institutionnelles forment le quotidien de ces mères.
Journaliste : Et du coup, j’ai pas ton prénom ?
Céline : Céline. Bonjour.
Journaliste : Tu as quel âge, Céline ?
Céline : Je vais avoir 30 ans demain.
Lara : Demain t’as 30 ans. Mais genre ?! Mon fils, il a 6 mois demain.
Céline : Putain. C’est un cap, ça.
Journaliste : Et tu as combien d’enfants ?
Céline : Une petite fille. Elle a 7 ans. Elle s’appelle Katarina.
Lara : C’est la plus belle.
Céline : Mais arrête, c’est gentil, mais ça va.
Journaliste : Elle est avec toi ici ?
Céline : Oui. Elle est là-bas dans le living. Parce qu’elle est malade.
Lara : En plus, elle voulait venir près de nous.
Céline : Ouais, mais bon, c’est pas des sujets top pour elle.
Lara : J’avoue.
Lara, Céline et Dounia résident au foyer Les Frangines, un foyer d’accueil pour femmes en situation de précarité ou de violences conjugales, situé à Wanfercée-Baulet (Hainaut). Trois mères solos, trois tempéraments. Lara, 23 ans, deux enfants, est vive, sanguine, protectrice. Céline, 30 ans, a un enfant. Elle est plus posée, et répond à Lara du tac au tac. Leur complicité est évidente. Dounia, 22 ans, enceinte de son quatrième enfant, parle peu, mais ses silences pèsent. Fragile en apparence, elle impose l’écoute par sa présence.
Être une maman solo et précaire, c’est la double peine. C’est faire face à des violences silencieuses, devenues presque banales. Des coups qui viennent du système, des institutions et des comportements sociaux. La violence systémique, c’est comme une machine bien huilée mais mal réglée : elle tourne, mais elle écrase toujours les mêmes.
Violence conjugalesCéline, Lara… Toutes ont subi les coups d’un partenaire par le passé. C’est pour survivre qu’elles les ont quittés. Être une femme monoparentale augmente le risque de faire face à de la violence conjugale au moins une fois dans sa vie. En 2024, 42,5 % des femmes wallonnes ont subi des violences de leur partenaire intime, qu’il s’agisse de violence psychologique, physique ou sexuelle. Seulement, toutes les femmes ne sont pas exposées de la même manière à ces violences. La part de victimes de violences parmi les femmes en position de vulnérabilité (chômage, santé, précarité) est beaucoup plus importante, soit près d’1 sur 2 (contre 7,6% sur l’ensemble des femmes).
Céline et Lara évoquent l’emprise et les coups.
Céline : Moi j’étais vachement sous emprise par rapport à ce que j’ai vécu avec le père de la petite. J’ai toujours pensé que c’est moi qui ai été mauvaise et que je méritais les coups.
Lara : Et moi, le truc, c’est que je suis plus avec le papa du petit, mais j’ai porté plainte contre lui pour la violence. Il m’a déjà levé la main dessus. Il y a des enregistrements vocaux où on l’entend dire « ouais, je vais retirer la garde de ton fils, t’es une pute, t’es qu’une merde, t’es bonne à rien faire ». Il m’a dit qu’il allait me mettre plus bas que terre, qu’il allait me faire suicider.
Céline : Ouais, moi il m’a dit y a deux trois jours, « quand je vais sortir (de prison), je vais te ligaturer les trompes ».
Rencontrée au Resto du Cœur de Charleroi, Barbara âgée de 48 ans, reconnaissable à ses grandes lunettes noires et à son sac orné de strass auquel pend un porte-clé rempli de grelots colorés, élève seule ses neuf enfants. Barbara est réservée et laisse transparaître, dans son regard fuyant, une blessure profonde. C’est les larmes aux yeux qu’elle raconte son histoire.
Journaliste : Et là, le papa, il est où en ce moment ?
Barbara : Lui, il m’a quitté. Il y a eu des coups, de la violence psychologique. Il était schizophrène : à un moment il voulait, à un moment il voulait pas.
Puis il y a Mylène, 55 ans et 5 enfants. Elle aussi, c’est une maman seule. Cette femme aux cheveux courts et rouges est souriante et pleine d’énergie. Elle a cette douceur dans la voix qui laisse transparaître une force de caractère.
Mylène : J’ai eu affaire à un pervers narcissique. Je suis encore en thérapie, là, maintenant, tu vois. La séparation a été très dure, j’ai tout perdu. J’ai perdu mes amis, ma famille, ma petite sœur m’a bloqué de Facebook et elle ne me parle plus. Il a fait en sorte de détruire la relation que j’avais avec mes enfants. Donc j’ai dû récupérer ça petit à petit. Heureusement qu’ils ne m’ont pas laissé comme ça. Parce qu’il avait tout détruit sur le côté, je n’avais plus rien.
Violences socialesL’isolement social est la réalité de nombreuses mamans seules. Bien souvent, il commence avec la rupture, mais s’aggrave lorsqu’il n’existe aucun filet autour : pas de famille, ou pire, une famille elle- même violente. Pour Gaëlle Scholts, directrice de l’ASBL les Frangines, beaucoup des femmes qui entrent en monoparentalité ne peuvent pas compter sur leur famille. En 2024, 17% des femmes accueillies dans l’ASBL entrent pour motif de violence intrafamiliale.
Journaliste : Dans votre parcours, avant de venir ici (ASBL Les Frangines), est-ce que vous aviez de l’entourage pour vous aider ?
Lara & Céline : Pas trop, non.
Dounia : Aujourd’hui, il y a mes frères et sœurs, qui sont là que par intérêt, et ma mère pour placer mes enfants, c’est tout, malheureusement.
Lara & Céline : Ah, elle me l’a fait aussi, ça, ma mère.
Lara : Moi, j’ai eu une maman qui m’a battue, qui a pas été là pour moi quand j’étais jeune. Une fois que j’ai eu ma première fille, ça a été un ange. Elle dit : « Oh ma fille, je t’aime, je serai toujours là », alors qu’avant, c’était : « Ouais, t’es qu’une pute, casse-toi ». Elle me tapait, j’allais avec des coquards comme ça à l’école. Je me suis fait abuser. Elle m’a regardée, elle m’a dit : « Ouais, c’était bien fait, t’es qu’une pute ».
Barbara, aux Resto du Cœur, revient elle aussi sur l’absence d’aide.
Journaliste : Et tu avais de l’entourage qui te venait en aide ?
Barbara : Non. Parce qu’ils étaient racistes, ma famille.
Journaliste : Tu leur parles plus ?
Barbara : Non, et ma maman, elle ne pense qu’à elle, c’est toujours moi-je, moi-je. Non, et parce qu’elle n’a pas été aimée, elle ne sait pas comment elle peut nous aimer. C’est comme si on n’était pas voulu, c’est compliqué. Elle s’est coupée de nous, elle nous a laissés à l’abandon, on devait se gérer tout seul.
Journaliste : Et des amis ?
Barbara : J’en ai plus. Je suis trop gentille, chaque fois, je donne tout, et quand c’est moi qui ai besoin, il n’y a jamais personne.
L’isolement social est également le fruit d’une précarité financière qui stigmatise et réduit les opportunités de sociabilité. En Belgique, le parcours de la monoparentalité se fait pour 50% des ménages monoparentaux avec un risque de pauvreté et d’exclusion sociale. La séparation a pour conséquence de précariser les femmes plus que les hommes. En 2023, environ deux personnes sur cinq vivent dans un ménage monoparental sous le seuil de pauvreté en Wallonie. Mylène, Barbara, Lara, Dounia et Céline touchent toutes le CPAS. C’est grâce à ce revenu qu’elles arrivent à survivre.
Mylène : Quand il (son fils) n’est pas là, je mange du pain avec du beurre. J’aime bien le beurre, donc ça ne me dérange pas, mais je ne fais pas des repas complets. Demain, je sais qu’il rentre, mais j’ai acheté du poulet, des côtes de porc, des carottes, des poireaux, de la potée.
Lors de la monoparentalité, les échanges avec des travailleur.e.s sociaux sont omniprésents et essentiels. Pour Lara et Céline, ces échanges se sont toujours bien déroulés. Pour Barbara et Mylène, ils sont source de stress, d’humiliation et de microagression. Ces violences, souvent invisibles, aggravent la précarité et l’épuisement des mères les plus vulnérables. C’est le cas de Mylène, contrainte de dormir dans sa voiture à une époque où elle était sans-abri, afin d’obtenir la caution de son futur logement social. Une condition : prouver qu’elle « dormait sur la commune ». Ces situations trouvent aussi leur origine dans la surcharge de travail des institutions. Selon une enquête menée auprès de 135 CPAS wallons, il manque 792 équivalents temps plein pour répondre à la charge de travail actuelle.
Journaliste : L’administratif, tu trouves ça simple, quand tu es une maman seule ?
Barbara : Non. Ils demandent toujours plein de papiers, mais c’est dur de les avoir. Surtout, moi, j’ai affaire à un service d’aide sociale très, très compliqué. Ils sont difficiles là-bas. Au début, avec le papa de mes jumeaux, ils m’ont carrément dit qu’ils allaient le balancer, lui faire quitter la Belgique. Donc, à moi, ils m’ont directement demandé de choisir : ou j’ai des problèmes, ou alors je prends un nouveau compagnon. Donc lui, il a eu peur, il m’a quittée. C’est comme ça que tous les problèmes ont commencé. Puis ils avaient pris rendez-vous au planning familial. Ils (le service d’aide social) essayaient de me forcer à me faire avorter.
Journaliste : Mais ils t’ont dit pourquoi ils voulaient te forcer à avorter ?
Barbara : Parce que soi-disant j’avais déjà la vie dure, comme ça, avec deux enfants en plus, c’était pas gérable.
Mylène a elle aussi souffert de cette violence institutionnelle.
Mylène : Je demande une adresse de référence à un service d’aide sociale, mais il refuse, ils m’envoient péter royalement. Ils me disent : « Mais comment ça se fait que vous n’avez pas fait intervenir un avocat ? Et comment ça se fait que vous n’avez pas demandé à réintégrer le domicile conjugal ? Et comment ça se fait que… ? ». En fait, ils me jugent sur tout. Ils me sortent tous des points, donc moi, je suis complètement dans la panade. Le droit à l’information n’y est pas du tout. Décalage total, et là, en sortant, je m’écroule complètement. Il y a plein d’aides dont j’étais pas au courant. Et alors on te dit, par exemple, « Ah, il faut tel papier », mais on va pas t’accompagner pour aller chercher le papier, démerde-toi pour le trouver. Et puis tu reviens, et si t’as pas le bon papier, bah faut trouver une nouvelle date pour un prochain rendez-vous. Donc tu imagines la personne qui a des enfants, qui est à la rue, qui doit essayer de gérer qu’on ne place pas ses enfants. C’est la folie.
« Ce sont mes enfants qui m’ont sauvé la vie », confient ces cinq femmes pour expliquer leur résilience face à des pensées sombres et une volonté d’en finir, comme en témoignent les traces de mutilations sur leurs bras. Leur quotidien n’est pas que violence : il est aussi fait d’amour inconditionnel pour leurs enfants et de moments de tendresse. Certaines comme Mylène et Barbara ont trouvé des échappatoires, des stratégies pour se vider la tête. Mylène fait de la moto, ça lui permet de se connecter à elle-même, « une bulle d’oxygène » pour ne penser à rien le temps d’un instant. Pour Barbara, c’est la boxe, une manière d’extérioriser toute sa colère, sa tristesse et ses frustrations : elle se défoule. Pour Lara, la résilience passe par un endurcissement face aux hommes : plus rien ne lui fait peur, elle est prête à tout si un homme l’attaque.
Lara : Moi, au final, tu sais, j’ai eu tellement de trucs dans ma vie qu’au final un homme il va venir vers moi, il va essayer de faire le malin avec moi et essayer de me lever la main dessus, je vais lui foncer dedans. Mon père, il m’a entraînée et m’a élevée, comme un garçon. N’importe qui en face de moi, j’ai pas peur parce que je me relèverai dans tous les cas. Une fille, ça doit devenir un bonhomme.
Si la méfiance envers les hommes est courante pour ces cinq mamans, plusieurs d’entre elles sont de nouveau en couple, font confiance à leur partenaire tout en gardant l’œil ouvert. Car oui, les hommes les ont plusieurs fois déçues et traumatisées. Ils sont la source commune de leur situation, comme en témoignent les réponses de Lara, Céline et Barbara sur l’aspect genré de la monoparentalité.
Journaliste : Tu sais pourquoi il y a plus de mamans seules que de papas seuls ?
Barbara : Parce que les papas, généralement, ils refusent de s’occuper de leurs enfants, ils les abandonnent vite.
Lara et Céline le disent avec d’autres mots.
Lara : Parce que les hommes, c’est des cons.
Céline : Généralement, c’est pas pour critiquer, mais les papas sont vachement plus instables que nous. Ils savent pas trop se débrouiller. Parfois, ils sont dangereux aussi. On les a quittés parce qu’ils étaient dangereux. Et s’ils sont dangereux pour nous, ils vont être dangereux pour nos enfants. Donc il vaut mieux qu’on reste nous avec nos enfants.
Lara : Il vaut mieux qu’on les protège.
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Sur le chemin de l’apprentissage : avec les jeunes réfugiés du centre Fedasil d’Auderghem
Photos: Chiara De Baggis
Dans une petite salle de classe, des enfants venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Érythrée ou de Palestine se retrouvent autour de Thaïs, une éducatrice dynamique Entre rires, gestes maladroits et défis linguistiques, ces jeunes tissent des liens dans un cadre où les cultures se mélangent autant qu’elles s’enrichissent.
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Derrière la porte
Crédits photos : Louise Joenen
En 2024, 1.698 animaux sont entrés à la SPA de Charleroi. Ce chiffre, à lui seul, reflète une réalité accablante : celle d’un refuge saturé, où la détresse animale devient le miroir de la souffrance humaine.
Virginie est bénévole à la Société Protectrice des Animaux de Charleroi depuis sept ans. Ancienne aide-ménagère, elle jongle aujourd’hui entre ses quatre enfants et ses journées d’inspections. Jérôme, son binôme du mardi, est un ancien para-commando. Il a quitté l’armée après un accident de parachute. Aujourd’hui, c’est dans la défense animale qu’il a trouvé sa reconversion. Tous les mardis, ils embarquent ensemble dans la même camionnette blanche au logo bien visible de la SPA pour des journées rythmées par les visites chez les maîtres soupçonnés de maltraitance.
Première AdresseLa maison se trouve dans un petit quartier calme. Une voisine indique la bonne porte. Derrière celle-ci, un homme d’une soixantaine d’années, l’air méfiant. Ses cheveux sont en bataille, son regard inquiet. À ses pieds, un chien massif vient saluer les deux inspecteurs. « Le petit n’arrêtait pas de le provoquer. Il aboyait, tournait autour. Sam s’est défendu. Il l’a attrapé dans sa gueule, mais il n’a pas mordu. Pas de sang, pas de blessure. Il s’est contenté de le repousser. C’est un croisé husky-labrador, 65 kilos, une vraie brute. J’ai juste séparé les deux. » L’autre chien n’est pas identifié. Une lacune fréquente lors des inspections. L’identification se fait généralement lors de la première visite chez le vétérinaire : une puce sous-cutanée, mentionnée sur le carnet de santé. Deux chats bondissent entre la table et les escaliers, attrapant quelques croquettes laissées là. Poppy, le deuxième chien, traîne la patte. Il respire difficilement, souffle fort comme un vieil accordéon troué. « C’est mon pépère, il a 21 ans », dit l’homme avec tendresse. « Il n’a plus de poils sur le dos, il n’entend plus rien, mais il est là. »
Sur les murs, des cadres. Beaucoup de cadres. Des photos de chiens. L’un d’eux attire l’attention : un chien noir dans un cœur rouge. Un compagnon parti trop tôt, sans doute. Tout ici transpire l’attachement. L’appartement est propre, les animaux sont nourris, l’ambiance est calme. Pas de signe évident de négligence. L’homme raccompagne les inspecteurs à la porte en parlant encore de Sam et Poppy. « Sam protège toujours le vieux. Ils sont inséparables », glisse-t-il en souriant.
Une maison dont l’appui de fenêtre croule sous les bouteilles vides de Jupiler. Un homme d’une cinquantaine d’années entrouvre la porte. « C’est pour quoi ? » Il referme aussitôt. Sur son bras, des marques : griffures, morsures, cicatrices sèches. À l’intérieur, des cris. Une voix de femme. De longues minutes passent. Quand la porte se rouvre, il tient un staff américain noir et blanc en laisse courte. Kenzo. Le salon est une chambre. Un lit aux draps colorés occupe le centre. Une femme en poncho Stitch y est allongée. Autour, deux vitrines pleines de peluches à l’effigie du même personnage. À côté du lit, deux bacs de Jupiler comme tables de chevet. Au mur, des souvenirs : Elvis, New York, une photo de mariés, où l’on n’arrive même plus à percevoir les visages, effacés par le temps. Et puis, au-dessus, une petite maison dans une prairie, qui adoucit le tout. L’homme pointe une grande porte brune du doigt. « Le deuxième chien est dans la cave… Faites gaffe, je ne sais pas comment il va réagir. »
La descente est raide, il fait sombre. Une ampoule nue pend du plafond. En bas des marches, Beethoven, le deuxième chien. Il ne grogne pas. Il nous regarde, avec de grands yeux brillants. Il s’approche, redescend, tourne en rond et urine sur une pile d’objets. Une cave sans lumière naturelle. Sept mètres carrés, à tout casser. C’est rempli de vieilles affaires, on peut à peine se déplacer. Les ouvertures sont barricadées. Une porte au fond semble condamnée depuis longtemps. « Il ne s’entend pas avec l’autre chien, il est agressif, alors on n’a pas le choix. Il a de l’eau et à manger. » Explique l’homme. Jérôme hausse le ton. Il veut saisir le chien. La femme se lève. Son pantalon est décoré de têtes de Stitch, lui aussi. Elle crie : « Mon chien a toujours très bien vécu comme ça et il continuera ainsi. Pas question qu’on le donne. »
Le cadre légal est clair : les inspecteurs ne peuvent pas saisir un animal sans le consentement du propriétaire. Seuls la police ou le BEA (Bien-Être Animal) peuvent intervenir. Mais leur venue signifie amendes. Et ça, les maîtres ont tout intérêt à l’éviter.
Trois jours plus tard, la BEA reviendra pour un contrôle d’identification. Beethoven est toujours dans la cave. La femme, toujours en pyjama Stitch, raconte : « Il n’a pas le droit de monter. À chaque fois qu’il me voit, il montre les dents. Et puis il n’aime pas les gestes brusques, j’ai peur pour ma petite, elle n’a que huit ans. Mais mon mari le sort, de temps en temps. » La fille ainée ajoute : « Kenzo m’a déjà mordu les fesses, j’ai même dû prendre des antibiotiques. »
Beethoven les terrorise. Kenzo les mord. La femme se plaint : « Beethoven c’est surtout le chien de mon mari. Il ne veut pas le donner. On nous l’a déjà pris il y a quelques années, et on avait dû payer 400 euros pour le récupérer. »
Kenzo, l’aboyeur féroce, retenu par son maître. Beethoven, dans sa cave. Mur de cadres, dans la maison de Beethoven et Kenzo. Troisième adresseUn immeuble. Devant la porte, beaucoup de sonnettes. Trop de sonnettes. Un voisin sort sa tête de sa fenêtre. Il vient nous ouvrir. S’ensuit alors une micro-enquête personnelle par tous les voisins. Ils se rejettent la faute les uns sur les autres, cherchant qui peut bien être le maître ayant reçu une doléance. Ils finissent par se mettre d’accord, c’est la porte du rez-de-chaussée.
« Toc-toc-toc »
Une petite voix se fait entendre derrière la porte. De longues secondes passent. Puis l’homme ouvre. Une chaleur sort de la pièce, comme si les fenêtres n’avaient pas été ouvertes depuis plusieurs semaines. À l’intérieur, deux petits chiens, Cheyenne et Mimie, courent dans tous les sens. La première, à poils ras, est si maigre qu’on voit ses côtes saillir sous sa peau tendue.
L’homme bégaye : « Elle, elle mange tous les jours. Mais elle ne grossit pas… Je, je ne comprends pas. » Ses griffes sont longues, recourbées. Elle n’est pas identifiée. « C’est la voisine du dessus qui me l’a donnée il y a un an… » Cheyenne est emmenée à la SPA. L’homme pourra la récupérer, à conditions de payer les frais de ses soins. Il baisse les yeux : « Je n’ai pas beaucoup d’argent, je ne pourrai pas payer tout de suite… » Le deuxième chien, à poils longs, semble en meilleure forme. Il devra cependant être emmené chez le vétérinaire afin que ses griffes soient coupées. Si rien ne bouge, il sera lui aussi saisi. Dehors, les voisins attendent. Ils ont envie de savoir ce qui s’est passé à l’intérieur. Ils en profitent pour papoter sur le dos de leur voisin. « Il était plus gros quand ma femme lui a donné. »
Une porte abîmée. La sonnette ne fonctionne plus. Jérôme lance quelques cailloux sur la vitre de droite, au premier étage. Un vieil homme vient ouvrir. L’odeur prend un peu plus aux narines à chaque marche. Comme un mélange de moisissure et d’excréments. C’est la quatrième fois que Virginie et Jérôme lui rendent visite. Cela fait plusieurs semaines que le maître vivait dans les crottes de son ancien chien, décédé suite à des problèmes de santé. Cette fois, rien à vue d’œil. Mais la puanteur est toujours là, incrustée dans les murs. Un seau d’eau sale traîne au milieu de la pièce, signe qu’un nettoyage récent a eu lieu.
Un nettoyage longuement attendu. La cuisine, chez Zora.C’est alors qu’un petit chiot arrive dans les pieds des deux inspecteurs. Il n’y avait pourtant que des chats, la dernière fois qu’ils sont passés. Le vieux explique que c’est l’autre locataire qui lui a ramené. Il avait vu que la mort de l’ancien chien l’avait plongé dans la peine. « Il est arrivé en me disant : c’est le chien d’une amie, elle le laisse pour 200 euros. Moi j’ai répondu que c’était trop, alors on a coupé la poire en deux, je l’ai pris pour 100. » Il l’a appelé Zora. Une petite femelle. Il montre fièrement le carnet de santé. Vaccins faits, tout est en règle. Les murs sont tapissés de décorations étranges, les coins de pièces débordent d’objets, ou de déchets, selon l’angle. Les murs sont rouges et oranges, ce qui donne une ambiance plutôt originale. Dans la pièce, un vieux western hurle à plein volume. Un bruit de fond permanent, comme pour occuper le silence. Dans la cuisine, l’évier déborde de vaisselle. Au plafond, des bandes collantes à mouches, noircies par des centaines d’insectes. Et au milieu de tout ça, une touche de tendresse : un dessin naïf, accroché sur le frigo, aux lettres colorées. Il est écrit « Titi » en rose et jaune. Un mot d’enfant dans un décor d’abandon. Un peu plus loin, les gamelles, pleines. Une litière aussi, bien utilisée. Dans les yeux du vieil homme, quelque chose avait changé. Un peu de fierté, un peu de douceur, et peut-être l’envie de recommencer.
En 2024, la SPA de Charleroi a enregistré 1.698 entrées. Cela représente en moyenne cinq animaux par jour, comprenant recueils, abandons et saisies, le tout pour à peine une adoption quotidienne. Une cadence soutenue, dans un refuge saturé qui ne cesse de tourner, sans jamais vraiment se vider. Les inspections ne visent pas seulement les « mauvais maîtres », mais des personnes seules, submergées par la vie. Pour qui un animal est parfois le seul repère, ou au contraire une responsabilité devenue trop lourde. Alors chaque mardi, Virginie et Jérôme reprennent la route.
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Ensuite, on verra bien
Élise Houben
À Marchienne-au-Pont, Avanti accueille les cabossés de la vie. Ils ont connu l’addiction, la rue, l’échec, la prison. Ici, on apprend à se relever grâce aux 4 ateliers proposés: menuiserie, métal, cuisine et maraîchage. Des mains occupées, des tapes dans le dos, des sourires partagés, des regards rêveurs. Mais derrière chaque tentative, une réalité tenace s’impose : la chute reste possible
A côté du canal de Marchienne-au-pont, dans une rue plutôt grise et banale, se dresse un bâtiment de briques rouges recouvert de graffitis. Passée la porte en fer forgé, une odeur de métal chaud et de sciure de bois. Un sac de frappe et de nombreuses sculptures en acier habitent la cour. Dans les différents locaux du centre, des mains s’activent, des regards se concentrent. Regards tantôt rieurs, rêveurs ou penseurs. On forge, on scie, on épluche, on sème.
En entrant dans la forge, on discerne les bruits sourds du métal. Giovanni esquisse le croquis d’un poisson en fer forgé. Il parle avec un léger ton de nostalgie de ses études aux Beaux-Arts, jamais terminées, tout en montrant les dessins qu’il a réalisés là-bas.
Avanti lui permet de suivre une formation socio-professionnelle. L’objectif est d’exploiter ses compétences au travers d’un programme de 35 heures par semaine pour une période maximale de 18 mois. Ce programme fait l’objet d’un contrat de formation professionnelle via le FOREM.
La matinée s’achève, il est 10h30. La machine à café crache ses premières gouttes, une clope se roule à la hâte, une enceinte diffuse de la musique pop. Giovanni, sans enlever son tablier ni ses gants de forge, prend sa pause dans le local maraîchage. Adossé au radiateur, il discute avec Dorothée, l’une des quatre formatrices travaillant à temps plein au centre de formation.
Ici, on parle beaucoup, parfois de son passé, des galères de la vie. On se plaint aussi du manque de liberté. Il est interdit de sortir de l’enceinte du centre pendant les pauses, pour éviter les dérives. « T’en as qui revenaient complètement bourrés ou défoncés, d’autres ne revenaient simplement pas », lance Gaétan, assis sur la table du local. La restriction en agace plus d’un.
Parcours cabossés, des gestes en reconstructionAu premier étage de la menuiserie, lors de l’atelier artistique du jeudi, Ayoub est concentré sur ses bouts de verre colorés. Il les assemble pour former un vitrail, en tentant de reproduire le logo de Naruto. Babou, comme l’appellent les stagiaires, forme l’atelier créatif. Elle encourage Ayoub et lui explique comment poursuivre son œuvre. Elle qui préfère l’art abstrait s’est habituée à la pop culture, celle des stagiaires.
Dans la cuisine, Samuel se lance dans la préparation du dessert, une mousse au chocolat, accompagnée d’un coulis à la mangue et de baie d’argousier. Il coupe les fruits avec attention, mais souvent le chef le reprend et lui montre comment s’y prendre.
Les repas du centre sont payants. Les stagiaires ont le choix entre le moins cher, un sandwich, ou un repas chaud, tous deux préparés chaque jour par l’équipe de cuisine. Ceux qui peuvent se le permettre profiteront du dessert de Samuel. Dans la salle à manger, les tables sont disposées pour que chacun puisse discuter dans un cadre convivial. Tout le monde mange son repas ensemble. Enfin, presque.
Certains s’éclipsent, préférant la compagnie d’e la fumée d’une cigarette. D’autres, comme Giovanni, proposent des concours de bras de fer, ou une partie d’échecs dans les vestiaires. L’ambiance, détendue, rappelle celle d’une cour de récréation.
Et parfois, la rechuteCes moments forgent au sein du centre des liens de solidarité qui se prolongent parfois au-delà des frontières de la cour. « C’est un premier pas vers la réinsertion », explique Isabelle Heine, créatrice d’Avanti. Ce premier pas ne garantit pas toujours une marche sans rechute.
Après les études aux Beaux-arts avortées et une formation d’électricité pas terminée, Giovanni s’est retrouvé coincé dans la spirale des médicaments et de l’alcool. Tombé en dépression, il a été réorienté ici. Aujourd’hui, il va beaucoup mieux, il a trouvé de l’aide et se relève. Si le parcours de Giovanni est encourageant, il arrive que certains franchissent la porte l’haleine encore alcoolisée, les yeux fatigués d’une nuit sans sommeil. Ils enchaînent des retards à répétition ou ne viennent pas du tout. L’alcool, les médicaments, la solitude habitent encore leur quotidien.
Comment se reconstruire quand les dettes s’accumulent, qu’il faut choisir entre se nourrir ou se soigner ? Comment parler de formation, de réinsertion quand il faut d’abord tenter de survivre ? Est-ce que le mot réinsertion est le bon quand on a jamais eu de place dans le système?
Ayoub a passé huit ans en cellule, incarcéré depuis ses 18 ans pour vol avec violence. Maintenant sous bracelet électronique, il est obligé de passer par Avanti s’il veut éviter la prison. Les ex-détenus sous bracelet touchent un montant de 600 euros par mois s’ils vivent seuls. À Avanti, ils sont payés 2 euros brut l’heure. Une fois la nourriture et le loyer déduits, il ne leur reste presque rien.
« Toute la thune que tu gagnes part dans la bouffe, moi je vais arrêter de manger », lâche un ancien détenu. Certains passent, disparaissent, reviennent. D’autres finissent à nouveau en prison, à la rue. En Belgique, le taux de récidive est de 60%, selon l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC).
Isabelle ne s’en cache pas: « Un CDI, c’est possible. Mais il faut un déclic. Il faut que la personne ait envie de s’en sortir ». C’est loin d’être toujours le cas. « On ne peut rien faire à la place des gens, on fait le maximum et puis il ne faut rien attendre d’eux, ce n’est peut-être pas le bon moment. Ils savent que la porte est toujours ouverte et que ce n’est pas parce qu’ils ont rechuté qu’ils ne peuvent pas revenir. »
En plus de ces obstacles s’ajoutent les préjugés, la stigmatisation, l’étiquette qui colle à la peau. Isabelle estime que 70% des stagiaires ont connu des échecs scolaires répétés qui ont toujours des conséquences aujourd’hui. La peur de ne pas être à la hauteur et le manque de confiance en soi font partie du bagage que les stagiaires continuent de porter.
C’est le début du travail pour eux, reprendre confiance, se réjouir de ce qu’ils créent au sein des ateliers. La formation étant exigeante, la fierté sur le visage des uns et des autres est d’autant plus marquée.
Dehors, Giovanni pose, avec fierté à côté d’une table enfin terminée. Prête à être emballée, elle sera mise en vente pour permettre au centre de racheter du matériel et de financer la formation.
Pour Ayoub, le premier mois est compliqué, marqué par beaucoup d’absences. Au fil du temps, il prend goût à la menuiserie. Ce qu’il préfère ce sont les ateliers artistiques. Il s’autorise à rêver peut être un jour, d’en faire son métier.
Samuel termine son parcours. Il savoure le dessert qu’il a soigneusement préparé, c’était son dernier. Demain, il quitte Avanti. Il a décroché un stage dans le domaine de la cuisine.
Aux premiers abords on pourrait croire qu’Avanti sert à remettre des personnes au travail. Qu’il suffit d’apprendre un métier, de tenir un horaire, de signer un contrat. Mais ils sont plus de 70% à sortir de la formation sans emploi stable. Et parfois, même le CDI ne suffit pas.
Parmi les œuvres qui ornent la cour d’Avanti, on retrouve celle de Joël, un ancien stagiaire. Ex-détenu, ancien toxicomane, il est décrit par Isabelle comme quelqu’un d’intelligent et d’ouvert. Talentueux, il avait décroché un contrat, trouvé un logement. Sur le papier tout semblait aller mais quelques mois plus tard, il est revenu. « J’ai un CDI, un appart, mais je suis seul à 17h. Je vois pas le sens », avait-il dit. Joël avait un cancer, il a fait sa chimio à la rue en continuant de venir à Avanti chaque après-midi. Aujourd’hui, il est décédé.
C’est à travers le décès de Joël que Isabelle a compris que la quête de sens est primordiale pour les stagiaires. « Il y a les exigences gouvernementales et puis il y a le bien-être et le sens pour la personne aussi ».
Les centres de réinsertions comme Avanti offrent un nouveau souffle. Ici, on ne promet rien, on se bat d’abord pour trouver un sens à la vie, créer du lien.
Ensuite, on verra bien.
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Les Storm Ultras, illuminés dans la pénombre du Pays Noir
Crédit photo : Saâd Farahy
Après 85 jours de suspension, les Storm Ultras ont retrouvé leur place en Tribune 4. Non pas grâce à une énième réconciliation, mais au terme d’un combat juridique contre leur propre club, le Sporting Charleroi. Supporters emblématiques du kop carolo, ils aspirent à un supportérisme bruyant et assumé. Face à une direction qu’ils jugent répressive, ils défendent, fumigènes en main, une certaine idée du football : populaire, libre et vivant.
Tout commence au Royal Nord, cet emblématique café carolo situé à quelques pas du stade. Le rideau métallique se lève un peu plus tôt que d’habitude. Tom, le propriétaire de ce repaire des Storm Ultras 2001 — le principal groupe de supporters du Sporting Charleroi — s’impatiente de voir déferler la première vague de fidèles vêtus de noir et de blanc. Situé au croisement de la Rue Isaac et de l’Avenue de Waterloo, ce café de quartier s’est imposé, au fil des années, comme le point de ralliement incontournable des supporters avant chaque match. Un lieu de passage où s’échauffent les voix bien avant le coup d’envoi.
Dans le brouhaha constant des discussions, un client en maillot noir et blanc tente de lancer Tom sur la rencontre à venir. Il n’aura droit qu’à un haussement de sourcil : la tireuse ne s’arrête pas. À ses côtés, Laurent, son bras droit, sert une pils d’une main, replace un dessous de verre de l’autre. Un peu plus loin, un habitué enchaîne les pintes, la voix déjà trop forte pour l’heure. Sur les sièges en skaï usé, des écharpes élimées restent fixes malgré le rythme de la porte d’entrée qui claque. Ici, chaque objet parle du Sporting : un cadre à l’effigie d’un zèbre, une affiche qui clame la liberté des ultras, une lampe au logo des Storm Ultras. Ce n’est pas un décor. C’est un lieu saint.
Si les uns paient, tour à tour, de nouvelles tournées pour les collègues, d’autres se marrent à l’idée de se retrouver, ensemble. Pour le meilleur. Et pour le pire. Mais surtout pour le meilleur. Ça discute, ça répète les gestes d’un rituel bien rodé. Les discussions tournent autour de la compo probable, des dernières sorties du président, des rumeurs de transferts. Pourtant, une tension flotte dans l’air. Discrète mais palpable, presque sacrée. Ce n’est pas un dimanche de match comme les autres. C’est un retour. Et pas n’importe lequel.
Ce dimanche 6 avril, le soleil était de la partie pour éclairer la pelouse du Mambourg et sa tribune fétiche. (Photo : Saâd Farahy)
Ils l’attendent depuis trois mois et demi. 85 jours d’interdiction, de frustration, de silence imposé. 85 jours pendant lesquels la Tribune 4, fief des plus fervents supporters des Zèbres, s’était tue. Le 11 janvier dernier, lors d’une rencontre face à l’Union Saint-Gilloise, une série de débordements pyrotechniques avait perturbé le déroulé du match. Dans la foulée, la direction du Sporting Charleroi avait suspendu l’accès au stade à 63 supporters, dont 29 membres des Storm Ultras 2001, jusqu’au 30 juin. Une mesure prise sans attendre la décision du SPF Intérieur — seule autorité compétente en matière d’interdiction administrative de stade. Les concernés avaient saisi la justice, estimant cette sanction disproportionnée.
Le tribunal de première instance de Charleroi a rendu son jugement le 25 mars dernier: les interdictions imposées par le club ont été levées. La décision est une victoire par les Storm, qui y ont vu la fin d’une bataille contre une direction qu’ils jugent de plus en plus répressive. Claude, l’un des capos emblématiques des Storm Ultras, évoque ces évènements avec un sentiment d’injustice profond. « Sur base d’une liste de personnes qui se déplacent pour voir le Sporting, le club a identifié les réguliers. Ils ont pioché par trentaine pour nous exclure. C’était aléatoire, et c’est injuste. » Derrière la sanction, c’est le respect du règlement qui est pointé du doigt. « Le règlement d’ordre intérieur n’a pas été respecté dans cette situation. Nous avons contesté cette légalité devant la justice. »
Autour du café, des tables sont disposées pour vendre des écharpes, des t-shirts et d’autres produits à l’effigie du groupe. Chacun s’affaire : certains saluent les nouveaux venus d’une tape dans le dos ou d’une bise, d’autres préparent les derniers détails du cortège. L’ambiance monte doucement, rythmée par les retrouvailles et les rituels. Le retour se prépare, en communion.
Les Storm Ultras ne se contentent pas de soutenir leur équipe. Depuis leur création en 2001, ils ont forgé une identité plus large que le simple soutien sportif. À leurs débuts, leur jeunesse et leur nouveauté ont suscité de la méfiance. Aujourd’hui, leur présence est incontournable. Et leur ambition dépasse les frontières du stade : ils aspirent à jouer un rôle actif dans la vie de la ville. À quelques heures du coup d’envoi du derby wallon face au Standard de Liège, Claude est en plein dans les préparatifs. Chaque détail compte. Il veille à ce que tout soit en place pour ce retour très attendu
Venir ici les jours de match et se mettre dans son habit de supporter, c’est enfiler un costume pour devenir quelqu’un
Quand il parle des Storm, son regard s’éclaire. Il partage la vision qui guide son groupe. « On est pro-Carolos. Notre objectif, ce n’est pas seulement de soutenir le club, mais aussi de faire quelque chose de plus, au-delà des tribunes. On utilise notre visibilité pour contribuer au développement de la communauté carolo et participer au renouveau de la ville. ». À travers les fumigènes colorés, les chants et les drapeaux, les Storm Ultras s’engagent. Collectes de fonds, événements pour les jeunes, soutien à des causes locales : leur influence déborde largement la T4.
Ce dimanche 6 avril, tout est noir et blanc. Les écharpes autour du cou, les t-shirts, les drapeaux qui flottent au vent, même les fumigènes. Aux abords des cafés, sur les trottoirs, dans les avenues menant au stade, une seule chose semble compter : les couleurs du Sporting. « Pour beaucoup, le Sporting Charleroi est une façon de s’évader de la routine quotidienne. Venir ici les jours de match et se mettre dans son habit de supporter, c’est enfiler un costume pour devenir quelqu’un », glisse Ned, un membre influent des Storm.
Dans ce décor urbain où les stickers zébrés recouvrent les panneaux à l’approche du stade, le sentiment d’appartenance dépasse les individus. Le noir et blanc gomme les frontières. Un membre des Storm, planqué derrière ses godasses à trois bandes et ses lunettes Aviator, le résume bien. « Ces deux mots, c’est nous : la conscience, celle de supporter notre club, et la mentalité, qu’on a pour vivre cette passion. Le supporter du Sporting sait qu’il fait partie d’une culture qui n’a rien à voir avec celles des autres ».
Alors, pour ce retour, ils ont voulu frapper fort. Et ensemble. Charleroi United. Storm Ultras, Block 22, BAC09 et d’autres entités discrètes mais fidèles au poste ont défilé coude à coude. Une foule compacte, noire et blanche, en mouvement. Claude, maître de cérémonie, rappelle à chacun l’enjeu : aujourd’hui, on joue plus grand que le terrain. Il appelle à l’unité, à la discipline, à la fierté. Du Royal Nord jusqu’au Stade du Pays de Charleroi, les supporters avancent.
Au Boulevard Paul Janson, lieu de croisement entre tous les supporters de la T4, la tension monte d’un cran. Les chants, d’abord timides, gagnent en intensité. Ils scandent l’amour du Sporting, et la haine du Standard. Peu à peu, les bras se lèvent, tous en même temps, dans un mouvement mécanique. Un geste simple, mais chargé de sens, comme si chaque supporter s’ancrait dans un même corps collectif. Ils sont un peu plus de deux cents, en t-shirts noirs, jeans bleus, lunettes teintées. Peu de femmes dans la foule. Tous cherchent à rester méconnaissables, fondus dans la masse.
Et puis la folie éclate. Tout part d’un chant de supporters. Le pogo commence. Les groupes se mêlent, les corps s’entrechoquent, les voix hurlent. Un tourbillon noir et blanc, violent et vibrant. Dans ce chaos carolo, il y a une unité, brute. Ce n’est plus juste un cortège, c’est une vague noire et blanche, un tsunami de fierté.
La dernière décision du club d’écarter plusieurs supporters, pour beaucoup, a été la goutte de trop. Rupture. Pour certains supporters, ces sanctions ne sont pas juste une question de règles, mais un affront. Ned est ferme sur le sujet. « Au niveau des tribunes, nous représentons le syndicat. Lorsqu’elles ne vont pas dans notre sens, nous contestons les décisions du club. On fait valoir nos droits en tant que supporters. Cette suspension était un prétexte tout trouvé pour nous jeter la pierre ». Un prétexte qui a, un peu plus, érodé la relation entre la direction et les supporters.
Au micro de Sudinfo, Mehdi Bayat, l’administrateur-délégué du Sporting, insistait sur le fait que, même si les sanctions étaient sévères, elles étaient nécessaires pour éviter des situations dangereuses. Les dirigeants réfléchissent, désormais, à une nouvelle approche, plus ciblée, qui permettrait de mieux distinguer les comportements individuels des actions collectives. Avec l’idée de garder un équilibre entre de bonnes relations avec les ultras et une bonne application des règles de sécurité.
Pour le retour des ultras, les autorités locales avaient annoncé un dispositif peu renforcé malgré la tension. Mais un hélicoptère de police, survolant le stade peu avant le début du match, annonçait autre chose. Le retour des supporters avait tout d’un symbole. Cependant, il n’a pas fallu longtemps pour que les esprits s’échauffent à nouveau. Avant le coup d’envoi, des fans liégeois, situés à l’opposé, dans la Tribune 2, ont retrouvé leurs sièges détachés, auxquels étaient accrochés des fumigènes. Si les Storm Ultras ont, après la rencontre, nié toute implication, les soupçons se sont aussitôt tournés vers les revenants du Mambourg.
Accusations automatiques, amalgames. Peu importe les faits, peu importe les preuves : pour beaucoup, “ultras” rime encore avec “violence”. Claude, lui, voit les choses autrement : « Il y a toujours eu un amalgame entre les ultras et les hooligans. Hooligans, c’est la bagarre, ça vient des Anglais qui ont popularisé ce mouvement il y a des décennies. Ultras, ça ne fait pas dans la violence, parce que ce n’est pas notre but. On voit au-delà de ça. »
Ces amalgames s’expliquent également par la diversité des groupes présents autour du Sporting. Parmi les quatorze groupes, la plupart, dont les Storm Ultras, suivent une ligne claire et structurée. D’autres, comme le Block 22 par exemple, sont perçus comme plus dissidents car très discrets sur leur communication et dans leur actualité. Ce groupe, jeune de seulement deux ans, fait régulièrement parler de lui, notamment à travers des actions en dehors du terrain. De quoi semer le trouble. Son nom revient souvent dans les colonnes des faits divers de la presse locale.
Et puis, il y a la question qui fâche : la pyro. Sujet brûlant, au cœur de toutes les tensions. Jamais vraiment tranché. Là aussi, les règles semblent floues, mal expliquées, selon certains. Claude soupire. « Les craquages ? On peut comparer ça à la limitation de vitesse sur autoroute. T’as plein de réglementations floues qui ne clarifient pas vraiment comment la pyrotechnie doit être encadrée. C’est complexe à comprendre ». Dans ce flou, les amalgames, encore eux, reviennent. Un fumigène craqué, et c’est tout un groupe qui trinque.
Malgré les tempêtes, les exclusions et les tensions avec la direction, l’unité tient bon. Dans la T4, personne ne se cache, même sous les cagoules. Être ultra, ici, c’est chanter, même quand l’équipe perd. C’est se lever pour peindre une banderole, organiser un déplacement, vendre des t-shirts pour financer le groupe. Dans cette agora carolo, les fumigènes colorent l’air, les tambours couvrent les chants, et chaque match devient collectif. Une manière d’exister ensemble, bruyamment, librement. Quitte à déranger.
« Toute personne qui dit des vérités qu’on ne veut pas entendre dérange. C’est le cas en politique, et aussi dans le foot », explique Claude. Mais leurs banderoles, leurs chants et leurs actions leur collent parfois une étiquette. Celle d’un groupe incontrôlable. Réducteur, sans doute. Parce que la réalité, c’est qu’au-delà de la provocation, il y a une cause : défendre une tribune, une ville, une culture.
Pour le responsable des Storm, ce mode de supportérisme a encore de beaux jours devant lui. « Tant qu’il y aura des gens comme nous pour se battre dans ce genre de mouvements, nous existerons toujours. Parce que la répression ne tuera pas la passion ». Une phrase, presque une devise.
Dans un football qui se transforme en produit, où tout est surveillé et encadré, certains choisissent de rester à l’écart, de défendre leurs propres règles. Ils refusent de se soumettre aux attentes du spectacle.
Pour eux, être un ultra, c’est défendre une culture. Une culture qui se nourrit de ses codes et de son indépendance. Tant qu’il y aura des gens pour soutenir ce mouvement, tant qu’il y aura cette volonté de se retrouver, cette culture existera. Parce qu’elle pousse par le bas. Encore et toujours. Comme le dit Ned : « Nous sommes les défenseurs d’une culture. La dernière culture underground ».
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Debout, toujours
Photos : Élodie Clement
Pour les aides-ménagères, travailler et rester pauvre, c’est plus qu’un paradoxe. C’est une réalité. Tous les jours, elles s’usent le corps, pour des miettes. Jennifer ouvre les yeux chaque matin et entame cette routine qui grignote ses forces, peu à peu. Une inquiétude de plus. Quand elle regarde le site MyPension, ce nombre, en grand caractère « 2048 ». Comme une ligne d’arrivée qui se dérobe sans cesse. Comment va-t-elle tenir encore 23 ans ? Au fond de ses entrailles, la réponse : la résistance.
Dans le zoning de Jumet, les ronds-points se succèdent, les piquets de grève aussi. Une dizaine de femmes discutent. Elles sont fortes, animées, fatiguées. Un peu tout à la fois. Elles sont aides-ménagères, et aujourd’hui, elles font grève.
Une enceinte crache la chanson Hakuna Matata « Tu vivras ta vie, sans aucun souci, philosophie… ». La mélodie nargue Emmy, qui raconte que sa fille a un an, et que ça fait un an qu’elle ne dort plus. Catherine distribue des baguettes aux filles. L’une d’entre elles ironise : « De la baguette, c’est tout ce qu’on peut acheter avec notre salaire ». C’est Jennifer. 1m54, c’est la plus petite du groupe. C’est aussi celle qui a la plus grosse voix. Elle a un regard éclatant, comme le rouge de ses cheveux, courts. Calfeutrée dans sa veste rouge. Et dix ongles roses qui dépassent, dissonants. Des tatouages encadrent son visage, ses oreilles, ses avant-bras. Sur sa pommette, un triangle rouge, au marqueur.
Jennifer, elle avait commencé des études pour être éducatrice. Puis elle a rencontré un homme. Des projets ensemble, s’installer, un enfant. Il a fallu trouver un emploi pour payer ça. Ses deux parents étaient ouvriers, donc travailler, c’est dans l’ordre des choses. Elle a décroché un poste de caissière au Lidl. Elle y a fait dix ans de carrière, elle a évolué, cadre, cheffe caissière comme on disait à l’époque.
Un jour, dix ans plus tard, problème de santé, quelques semaines d’arrêt. Le médecin lui dit qu’elle peut se remettre au travail, à un niveau adapté. Ils ont plus voulu d’elle chez Lidl. « Tu es diminuée, tu sers plus à rien. » Elle a cherché dans tous les magasins. Personne ne voulait la reprendre. Alors, elle a essayé aide-ménagère, dans le titre-service. Elle s’est dit, c’est juste un dépannage. Ça fait seize ans qu’elle y est aujourd’hui. Et debout, toujours.
La vie, cette courseLes années qui l’ont le plus usée ont commencé quand sa fille avait 7 ans. Elle s’est retrouvée maman solo au quotidien répétitif. Se lever, déposer sa fille à la garderie à 7h15. Première maison, deuxième maison. La rechercher à 17h, payer la garderie. Devoirs, manger, douche, dodo. Préparer pour le lendemain. Le cartable, la collation. Robotique. Du moment où elle ouvre les yeux à celui où elle les ferme le soir. Se réveiller et se demander comment elle va finir la journée. Penser tout le temps. Faire tout le temps aussi. Certains jours, la gastro qui prend au corps. Trop peur de ne pas aller travailler. Et si le client demande une autre aide-ménagère ? Avaler 3 ou 4 cachets d’Imodium. Et une journée commence. Debout, toujours.
Puis sa fille a eu 18 ans. Elle allait entrer à la haute école, faire des études d’infirmière. Pour Jennifer, l’excitation, la fierté. La peur aussi, comment les payer ? Alors le 4 janvier 2020, elle avait demandé un temps plein à son entreprise de titres-services. La réponse : « Vous donner un temps-plein, c’est compliqué, parce que quand vous êtes malade, vous êtes chiante à remplacer. » Vu la pénibilité du métier, les employeurs rechignent à accorder des temps-pleins aux travailleuses. Selon un rapport d’évaluation commandé par le Parlement wallon, en 2019, la moyenne hebdomadaire de travail dans le titre-service est de 18 heures par semaine, et le salaire brut mensuel de 850 euros.
RevivreUn jour, en 2020, elle a un petit pépin. Pas reçu un complément chômage auquel elle avait droit à l’époque. Dans l’entreprise de titres-services qui l’emploie, SOS Ménage, il y a des aides-ménagères qui sont aussi déléguées syndicales. Alors, Jennifer demande de l’aide à l’une d’elles. Cette collègue lui explique un tas de choses. Jennifer comprend qu’il y a des règles, et qu’elles ne sont pas faites pour être contournées. Elle l’admire de savoir tout ça. L’envie, aussi. Tout de suite, elle dit « J’aimerais en savoir autant que toi. » Alors elle se lance, déléguée syndicale. Elle comprend que c’est ça, son sens. Les formations, apprendre les lois, informer les travailleuses. Ça la rend forte, ça lui donne de l’assurance. « Quand tu ne sais pas à quoi tu as droit, tu as peur de t’exprimer. Et tu restes enfermée dans un carcan psychologique de mal-être. » Elle repense à cette travailleuse qui se faisait harceler moralement par une cliente. Toutes les semaines, la boule au ventre. Elle lui avait dit « Tu dois arrêter. On va te changer d’utilisateur, jusqu’à ce que tu te sentes bien. » Elle l’avait fait renaitre, sûrement. Jennifer renaissait aussi.
SOS MénageÀ Montigny-le-Tilleul, le ciel est éclatant. Pas un nuage. À quelques kilomètres du brouhaha visuel de Charleroi, le vert a le luxe de s’étendre. Ça sent la richesse. La classe moyenne supérieure. Même les oiseaux chantent plus juste. Là, une façade anonyme, le bureau de SOS ménage. Au fond, une salle de réunion un peu écrasante, sans fenêtre, au plafond bas.
Comme un gout de révolution dans ce paysage harmonieux : Jennifer, Laurence et Laetitia, les trois déléguées syndicales de l’entreprise, attendent les filles pour commencer l’accueil syndical. Une réunion destinée à expliquer leurs droits aux nouvelles aides-ménagères de l’entreprise. Des trois travailleuses attendues, seulement une vient, Emmy. L’employeur leur a dit « Si vous souhaitez, il y a l’accueil syndical mercredi à 9 heures ». Ça énerve Jennifer. C’est censé être obligatoire. Encore un problème de communication.
Ceux qui profitentSOS Ménage, c’est 167 aides-ménagères : 166 femmes et 1 homme. L’actionnaire principal est un homme aussi. La société fait partie des 20 entreprises de titres-services les plus rentables de Belgique. Dans ces entreprises, jusqu’à 76% des bénéfices vont aux actionnaires, selon une analyse de la CSC et de la FGTB. Le secteur du titre-service est subventionné à 70% par les pouvoirs publics.
En janvier 2024, le prix d’achat du titre-service est passé de 9 à 10 euros. Et en janvier 2025, à 10,20 euros. Pourtant, le salaire des aides-ménagères n’a pas été augmenté au-delà de l’indexation automatique. De 2023 à 2024, elles sont passées de 13,10 à 13,36 euros brut par heure. L’augmentation d’un euro payé par les utilisateurs bénéficie surtout aux employeurs et aux actionnaires.
Cette augmentation avait fait mal. Un client de Jennifer, celui du lundi, une des plus grosses villas de Montigny, avait décidé de passer de 6 heures à 4 heures. Elle n’aura qu’à aller plus vite Jennifer, ou faire moins bien, pour nettoyer les treize pièces, sept en haut, six en bas.
Le manque de reconnaissance dans le métier, ça la rend triste, Jennifer. C’est elle qui travaille. Et elle ne gagne pas assez. « Je ne sais plus m’acheter une voiture. La mienne avait 18 ans quand elle a lâché l’année passée. J’ai été chez le garagiste pour racheter une occasion pas chère… Mais bas salaire, maman solo… Quand on a envoyé les papiers, ça a été négatif. Bon ici y a Stéphane, mon compagnon qui en a une. Mais ça me fait chier parce que je n’ai plus ma voiture à moi ».
De toute façon une voiture, c’est des frais. Jennifer se souvient de cette fois-là, en revenant de chez un utilisateur, où elle roulait sur l’autoroute derrière un camion. Un petit caillou sur son pare-brise, un éclat. Elle avait appelé sa société de titres-services « Non. Vous n’aurez rien. C’est que les accidents corporels qu’on rembourse. » Il avait fallu refaire son pare-brise à ses frais. 600 euros.
Fin de la réunion dans le petit bureau de Montigny. Chacune s’en va, commencer sa journée de nettoyage. Au volant de sa voiture, Stéphane attend Jennifer. C’est lui qui la conduit chez son utilisatrice du jour, Mademoiselle Pauline. Jennifer commence la chorégraphie habituelle : repassage, vaisselle, balayage. Mademoiselle arrive dans la cuisine. Jennifer lave. Pauline mange.
– Mademoiselle Pauline : Ça vous dérange si je mets un fond de musique ?
– Jennifer : Non pas du tout.
– Mademoiselle Pauline : Parce que là, c’est sinistre.
– Jennifer : Ho moi je suis habituée tu sais.
– Mademoiselle Pauline : Haa oui mais moi pas. Moi, je vis dans l’ambiance. Faut savoir mettre du peps dans sa vie. Joie et bonne humeur.
L’isolement, ça fait partie du métier. Seule avec ses pensées, Jennifer. Le silence. Quand elle était passée du magasin à aide-ménagère, elle avait eu du mal. Elle voyait des centaines de personnes par jour. Elle s’était retrouvée seule. Parfois, les utilisateurs sont là. Parfois même, ils se confient à elle. Parfois, c’est joyeux. Parfois pas.
L’avenir, ça fout la trouilleParfois, c’est lourd. Des personnes âgées, enlisées dans leur tristesse, la greffent à Jennifer. « Mes enfants viennent plus me voir », « Ma santé ça ne va pas », « Je suis toute seule. Heureusement que j’ai le CPAS qui m’apporte des repas ». A la fin de la prestation, Jennifer flippe. La peur a changé de corps. Elle est collée à sa peau. Jennifer pense qu’un jour, elle aussi, aura besoin qu’on s’occupe d’elle. Elle pense à son futur. Elle se souvient qu’il lui reste 20 ans à tenir. Elle se dit qu’avec sa pension, elle ne pourra pas payer une maison de repos. Alors, elle continue de se lever tous les matins. Elle a regardé sur le site web My Pension : elle pourra partir en 2048. Il y a quelques semaines encore, c’était entre 2042 et 2046. Maintenant, écrit en grand « 67 ans ». « On y pense toutes à la pension », dit Jennifer. Elle y pense souvent. Ça fait 26 ans qu’elle travaille, qu’elle s’abime. Elle se demande dans quel état elle sera dans 10 ans, quand il lui restera encore 10 ans à tenir. Alors, elle prend au jour le jour, pas le choix. C’est plus facile de se demander comment tu vas finir ta journée que comment tu vas continuer encore 23 ans, pour rien à la fin… Des cacahuètes. Et toujours debout.
La douleurLe corps usé fait partie du métier. Jennifer sait qu’elle est tributaire de son corps. Elles le sont toutes. Les gestes répétitifs, tout le temps, à en devenir folle. On t’apprend à l’ignorer cette douleur. Pourtant, le métier rend malade. Catherine Mathy est secrétaire permanente du secteur titre-service et nettoyage pour la centrale générale FGTB de Charleroi. Elle se bat pour faire reconnaitre les TMS – troubles musculo-squelettiques – comme maladie professionnelle dans le secteur. Les TMS, ce sont des lésions et douleurs aux muscles et aux tendons. Les parties du corps les plus touchées : le dos, les poignets, les épaules, les coudes. Selon une étude de l’ULB, les aides-ménagères sont 35 fois plus susceptibles d’en développer que la moyenne. Comme ce n’est pas reconnu comme maladie professionnelle, rien n’est remboursé. Alors la plupart, quand elles ont ces douleurs, elles ne se soignent pas vraiment. Catherine explique : « Tu prends quinze jours, parce que pendant quinze jours, tu as encore droit à ton salaire. Après ça, tu n’as plus que 60 % de ton salaire. Donc qu’est-ce que tu fais ? Tu retournes travailler, parce que t’as besoin d’argent. Et tu souffres en silence. » Debout, toujours.
Jennifer se disait que la douleur était normale. Un jour, grosse intervention chirurgicale. Pour son endométriose de stade quatre. Quatre semaines d’arrêt. La douleur, elle ne faisait qu’augmenter. Pour la première fois, elle était à l’arrêt. Et elle sentait que quelque chose n’allait pas à l’intérieur. Des années d’errance médicale, jusqu’à ce qu’on lui diagnostique la fibromyalgie. Maladie invisible. Ça lui prend soudainement, le mal de tête à plus ne savoir rien faire à part dormir. La douche, l’eau qui ruisselle sur la peau… Elle crève de mal. Elle souffrait depuis 2016, mais elle n’avait jamais écouté. Toutes les femmes autour d’elles avaient mal. La douleur, c’est dans l’ADN. Dans tous les corps des femmes. Alors parfois, c’est à coup d’anti-inflammatoires et de Dafalgan qu’elle tient, pour travailler. S’arrêter, c’est pas question.
Si elle se lève tous les matins, c’est pour mener son combat syndical. C’est ce qui lui a sauvé la vie. C’est ce feu en elle. Elle a ça dans le sang, la lutte, le collectif, vouloir mieux. Debout dans la douleur, dehors dans le froid. Parce que la vie gagne toujours. Le collectif sur la solitude. La vie sur la maladie. La force sur la fragilité. Se battre, pour toutes. Comme elle dit toujours « Le jour où j’arrête le syndicalisme, ça sera ma mort. » En attendant, elle est debout, toujours.
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Sarah Durant, une magistrate au service de l’intérêt public
La quatrième semaine de mars était consacrée à la semaine de la magistrature en Belgique. Son objectif: attirer des étudiants dans la profession et anticiper le départ à la retraite de nombreux magistrats. Pendant deux jours, nous avons suivi Sarah Durant, substitut du procureur du Roi au parquet de Bruxelles. Elle nous raconte le chemin parcouru pour en arriver là.
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Le futur c’était mieux avant
Crédits photos : Lilou Vanderheyden
À Charleroi, deuxième commune wallonne la plus touchée par la crise du logement social, plus de 4.800 candidatures attendent. Alors, parmi Corinne, Andrée ou Eric, qui sont les chanceux ? Ceux qui vivent dans un logement rénové ? Dans une tour où la propreté laisse parfois à désirer ? Ceux qui vivent dans une petite maison défraîchie ? Ceux qui vivent trop nombreux dans des logements trop petits ? Même à la cité Parc, les logements classent, ou déclassent, ceux qui y vivent.
EricDès l’arrivée, impossible de les manquer : six blocs massifs de dix étages se dressent fièrement, tels des géants de béton. Tous identiques dans leur structure, ils se distinguent uniquement par leurs couleurs vives — bleu, vert, mauve, orange. De loin, ils paraissent presque joyeux… Ensemble, ils dominent le paysage, comme s’ils avaient été déposés là, au hasard, au milieu d’un grand tapis d’herbe.
Des chemins de promenade ont été créés récemment, ainsi qu’une plaine de jeux et un terrain de football. De nombreuses personnes s’y baladent avec leur chien, arpentant les petits sentiers pour dégourdir les pattes de leur fidèle compagnon. Éric et son chien, Samy, font partie de ces habitués. Ancien militaire parisien, il est arrivé à Charleroi il y a trois ans, car des proches y vivaient. Cela fait maintenant deux ans qu’il a obtenu un logement social : une petite maison de plain-pied, avec un petit jardin fleuri et une clôture en bois. Très modeste mais convenable. Il ne s’en plaint pas.
Il vit désormais de sa pension militaire. Quand on lui demande jusqu’à quand il compte rester dans sa maison, il rit et s’esclaffe : « Je vais mourir ici ! ». En désignant les tours du menton, il ajoute : « Heureusement qu’on ne m’a pas mis dans ces HLM. Là-bas, c’est le bordel. »
Dès l’entrée de sa maison, une odeur de cigarette saisit les narines. Trois canettes de boisson énergisante ouverte traînent sur la table, à côté d’un chevalet. Éric peint et aime jardiner à ses heures perdues. Au mur trônent des objets qui lui rappellent des moments de vie. Il s’allume une cigarette, ouvre une énième canette énergisée et boit à grandes gorgées. Sur ses bras, des tatouages “faits maison”, qu’il me montre en souriant. « On faisait ça à l’armée, avec les copains, quand on s’emmerdait. »
Il y a ceux qui cultivent un potager, et ceux qui n’ont même pas de balcon pour s’aérer.
Une micro-villeLa Cité Parc fonctionne comme une véritable micro-ville. Au centre, on trouve un commissariat, une école et une crèche. Un hall sportif jouxte également un terrain de dressage pour chiens. À quinze minutes à pied, supermarché, boulangerie, magasin de bricolage, de vêtements, friterie et pizzeria couvrent presque tous les besoins du quotidien.
La cité est sale. Des déchets et des objets insolites jonchent le sol. Les sacs noirs, pourtant interdits, sont entassés à proximité des bancs et des cages à ordures. Certains habitants jettent leurs déchets du haut du 10e étage. Les moins respectueux s’en moquent : ils savent qu’ils seront ramassés par la Sambrienne, et que la facture est envoyée à toute la collectivité. Une amende publique qui agace ceux qui, eux, respectent les règles.
Il y a ceux qui trient leurs déchets, et ceux qui les déposent n’importe où.
Éric, ancien militaire Il habite avec Samy, son chien, dans une petite maison de plain-pied. CorinneLe matin, la cité est calme et vide. Elle dort encore. On est mercredi, et le soleil brille. Vers midi, la cité s’éveille doucement. Des femmes seules sortent des hautes tours, certaines avec des poussettes vides, d’autres encore en pyjama, se dirigent vers l’école de la cité. Dix minutes plus tard, elles réapparaissent, cette fois accompagnées d’un, deux, trois, parfois cinq enfants. Ensemble, ils regagnent leur bloc respectif.
En bas de la tour bleue, la numéro six, Corinne retient ses chiens qui s’approchent d’une petite fille dans une poussette. Elle se dirige vers l’ascenseur et appuie sur le bouton pour accéder au huitième étage. Son appartement compte trois chambres : elle y vivait avec ses deux filles. Depuis, l’une d’elles est partie vivre avec son copain.
Quand Corinne a fait sa demande de logement, elle espérait obtenir une maison. Elle n’avait même pas mis la cité Parc parmi ses choix. « Les gens me disaient : ne mets pas la cité Parc, c’est la pire. Mais je n’ai pas eu le choix, j’ai dû accepter », confie-t-elle. Elle s’estime quand même chanceuse d’être dans le bloc bleu, qu’elle juge « correct » comparé à d’autres, comme le huit ou le deux. Elle aimerait pouvoir déménager, mais elle n’en a ni le courage, ni les moyens.
Quand elle a emménagé, elle est arrivée dans ce petit trois chambres avec toutes les affaires d’une maison. Deux ans plus tard, son appartement déborde : des cartons, des objets entassés un peu partout. Dans la chambre de sa fille encore présente, une énorme cage à cochon d’Inde prend plus de place que le lit. La cuisine, presque plus petite que la salle de bains, est remplie d’ustensiles en tout genre.
Corinne aimerait se sentir mieux chez elle, mais elle n’ose pas investir de l’argent dans un lieu qu’elle pourrait devoir quitter quand sa dernière fille ne vivra plus avec elle.
Il y a ceux qui s’y plaisent, et ceux qui n’y restent que faute de mieux.
Corinne et ses chiens, Snoopy et Buck Elle habite le bloc bleu. Elle vit au 8e étage dans un appartement de trois chambres avec sa fille et ses deux chiens. La chambre de la fille de Corinne avec son cochon d’IndeDes familles à l’étroit
À Charleroi, c’est La Sambrienne qui gère le parc de logements publics. Elle en possède près de 10.000. Dans la cité Parc, on compte 13 logements de 4 chambres et seulement 3 logements de 5 chambres. Les familles nombreuses peuvent demander une mutation ou candidater à nouveau pour un logement plus grand. Étant donné la rareté de ce type de logements, David Conte, porte-parole de La Sambrienne, reconnaît que l’attente peut être très longue, car les mutations sont traitées dans l’ordre de la liste d’attente.
Faute de place, certains appartements à une ou deux chambres sont occupés par des familles nombreuses. La loi stipule que des enfants de sexes différents et âgés de plus de cinq ans doivent avoir des chambres séparées. Mais pour beaucoup de familles, ce n’est tout simplement pas possible.
Il y a ceux qui ont leur chambre à eux, et ceux qui dorment dans le salon avec leurs trois frères et sœurs.
Le parcours du combattantObtenir un logement social à Charleroi, c’est un vrai parcours du combattant. Le processus est long, les délais souvent décourageants.
Pour y prétendre, il faut répondre à plusieurs conditions. D’abord, ne pas dépasser un certain plafond de revenus. Ensuite, accumuler suffisamment de points pour espérer obtenir un toit. Cinq points sont accordés si vous êtes sans-abri, cinq autres si vous êtes victime de violences intrafamiliales, trois si un membre de votre ménage est porteur d’un handicap reconnu, ou encore deux si vous êtes un ancien ouvrier mineur.
Autrement dit, plus votre situation est difficile, plus vous avez de chances de décrocher le précieux sésame : un logement social dont le loyer est adapté à vos revenus. Il faut cependant faire preuve de patience. Et même lorsqu’un logement vous est attribué, vous n’avez pas le choix ni du lieu, ni du logement. C’est donc une véritable course aux points pour des centaines de familles qui attendent, chacune espérant que son parcours de vie compliqué lui vaudra une place en haut de la liste.
La Sambrienne reconnaît que le système d’attribution de points créé par la Wallonie commence à dater. Son porte-parole explique que l’on accorde encore des points de priorité à d’anciens ouvriers mineurs ou à d’anciens prisonniers de guerre. Par contre, il n’y a pas encore de points de priorité pour des parents célibataires.
De plus, La Sambrienne détient le triste record des habitations…non habités ! 13 % de la totalité des logements sont inoccupés. Cela représente 492 logements théoriquement louables, mais vides, et 771 logements considérés comme non-louables.
La Sambrienne assure que tous les logements vacants sont suivis. Elle reconnaît néanmoins que l’inoccupation reste un véritable problème, et dit vouloir mettre en place un plan stratégique pour y remédier. Mais les délais s’allongent, les travaux s’accumulent, et certains logements sont en stand-by administratif. Pendant ce temps, certains logements vides sont pris d’assaut par des squatteurs malins, qui ne s’embarrassent pas d’attendre leur tour sur la liste… et profitent d’un toit sans payer le moindre loyer.
Il y a ceux qui règlent chaque mois un loyer, et ceux qui occupent gratuitement la maison d’à côté.
Tours de 10 étages de la cité ParcAndrée
Dehors, il fait bon. Tandis que les habitants des petites maisons profitent de leur jardin, ceux des blocs ouvrent grand leurs fenêtres pour laisser entrer l’air. Devant une porte d’entrée, une femme âgée est assise sur une chaise, son chien en laisse à ses pieds.
Andrée a 84 ans. Cela fait 48 ans qu’elle vit dans cette maison familiale de la cité. Elle souffre d’un glaucome et ne voit presque plus. Souvent, elle garde les yeux fermés. Mais lorsqu’elle parle, son débit est rapide, presque ininterrompu. Elle confie qu’elle se sent seule et qu’elle n’échange plus beaucoup avec ses voisins.
À l’époque, elle vivait avec son mari mineur dans les anciens bâtiments de la C.E.C.A (Communauté européenne du charbon et de l’acier) qui font maintenant partie de la cité Parc. Andrée est toujours restée dans la cité, changeant plusieurs fois de logement avant de s’installer, il y a 48 ans, dans cette maison.
Aujourd’hui, elle vit seule et parle souvent à son assistant vocal pour combler la solitude. « Je dis : OK Google. Ça me tient compagnie. Je lui demande l’heure, mais parfois, il ne comprend pas ce que je dis et il arrête de me répondre », raconte-t-elle en riant doucement. À ses côtés, Youyou, son chien, aboie vivement à chaque voiture qui passe. « Heureusement que je l’ai. Sinon, je ne tiendrais pas », souffle-t-elle. « On me dit d’aller en maison de repos, mais j’ai peur, parce que je ne vois plus. Alors je reste ici… »
De nombreuses maisons familiales sont aujourd’hui occupées par des personnes âgées vivant seules, tandis que d’autres familles s’entassent dans de petits appartements. La première priorité de La Sambrienne, avant même les mutations des logements trop petits pour les familles, est justement de libérer les logements trop grands.
Cependant, la réglementation actuelle ne permet pas d’imposer une mutation. Un système de surloyer existe dans certains cas pour les chambres excédentaires, mais cela ne suffit pas toujours à encourager le déménagement.
Il y a ceux qui s’entassent à cinq dans trois pièces, et ceux qui arpentent seuls des maisons vides.
Andrée, 84 ans Elle habite une maison familiale, où elle vit depuis 48 ans. Une cité contrastéeDans cette cité aux façades uniformes, derrière les murs identiques et les blocs alignés, se cachent des mondes intimes. Des histoires discrètes ou bruyantes, des vies qui s’emmêlent dans un quotidien pas toujours facile. Des familles nombreuses à l’étroit, des personnes âgées isolées. Certains s’attachent à leur logement comme à une chance, d’autres n’attendent qu’une chose : en partir. Mais tous cohabitent, chacun à sa manière, dans cette micro-ville : la cité Parc de Marcinelle.
Sur un mur du bloc six, une phrase taguée attire l’attention : « Le futur, c’était mieux avant.»
Contraste entre les rangées de maisons identiques et les immeubles de 10 étagesThe post Le futur c’était mieux avant appeared first on Mammouth Média.
Mur après mur
Madame,
Votre courriel adressé à Sa Majesté le Roi est bien arrivé au Palais Royal et j’ai été chargée de vous répondre.
J’ai reçu pour mission de transmettre votre requête à Monsieur Y. COPPIETERS, Ministre wallon de la Santé, de l’Environnement, de l’Economie sociale, de l’Action sociale, du Handicap, de la Lutte contre la pauvreté, des Familles, de la Santé, l’Egalité des chances et du Droit des femmes, à Madame F. LANNOY, Administratrice générale de l’AVIQ, et à Monsieur S. LAQDIM, Délégué général de la Communauté française aux Droits de l’Enfant.
Il vous est également loisible de faire appel à un avocat qui est la personne la mieux placée pour vous assister dans cette affaire.
Jour MOINS 4224Il y a quelque chose qu’elle ne dit pas. Qu’elle n’ose pas formuler. Élodie a vingt-trois ans. Sa fille, Charline, a dix-huit mois. Et depuis des semaines, des mois peut-être, elle sent un truc. Pas encore un mot. Juste ce nœud au creux du ventre. Charline ne parle pas. Ne montre pas. Ne répond pas. Ne cherche pas l’autre du regard. Toujours les mêmes gestes. Elle mange le même pot à la carotte, la même marque. Sinon elle ne mange pas. Autour d’elle, les gens disent que c’est rien. Que c’est peut- être son caractère, qu’elle est dans sa bulle. Qu’elle s’éveillera plus tard. Elle l’entend cent fois. Mille. Mais rien ne colle. Elle regarde les autres enfants dans les parcs. Elle voit bien. Mais elle ne pense pas au mot. Pas à celui-là. Handicap. Trop dur. Trop grand. Trop définitif. Alors elle se tait. Elle se dit qu’elle exagère.
Charline intègre une petite école du quartier. Classique. Sourires. Bonne volonté. Jusqu’à ce que Charline commence à crier. À mordre. À fuir. Les autres enfants ont peur. Les adultes ne comprennent pas. On appelle Élodie. Tous les jours. On lui dit qu’il faut « adapter », mais l’établissement n’a pas les moyens, pas le personnel, pas les outils. Et pas le temps. S’ouvre alors un tunnel. Long. Sans panneaux. Elle appelle. Elle cherche. Elle insiste. Les centres spécialisés, les écoles adaptées. Elle apprend le langage du refus. « Liste d’attente », « pas adapté », « dossier incomplet », « pas de notre ressort ». Et collectionne les brochures.
Le diagnostic tarde. Des années. Charline grandit. Les colères deviennent des tempêtes. Les nuits sont toujours blanches. Quand enfin on pose les mots — trouble du spectre de l’autisme — Élodie ne pleure pas. Elle pense à ce garçon autiste dans sa classe, autrefois. Celui qu’on évitait. Elle se demande ce qu’il est devenu. Et pour la première fois, elle se demande qui étaient ses parents. S’il en avait deux. S’ils dormaient, eux aussi, par tranches de vingt minutes. S’ils avaient crié dans leur voiture, un jour, fenêtres fermées. Puis elle pense à elle. À Charline. Et elle s’en veut. Elle culpabilise. Beaucoup. Tout le temps.
J-2557Élodie a tenté de trouver un établissement scolaire pour Charline. Encore. Encore. Jusqu’à l’épuisement. « On a essayé plusieurs écoles. On est même allé jusqu’à Liège pour présenter Charline à une école inclusive. » Charline avait déjà été scolarisée en maternelle, « et ça s’était très mal passé ». Son diagnostic n’est tombé qu’à 4 ans. Le délai d’attente pour une prise en charge : deux ans. Résultat, « elle n’a jamais eu de vraie scolarité ». Élodie a expliqué tout ça. À chaque école. Elle a reçu des refus. Partout. « À Liège, on m’a dit oui. Ils connaissaient bien l’autisme, m’ont-ils dit. Mais quand Charline est arrivée, ils m’ont rappelée : « Elle ne reste pas assise ? Ah non, ça ne va pas être possible, madame.” Ils n’avaient aucune idée de ce que ça voulait dire, l’autisme. » À l’école suivante, Élodie a pris les devants. « Je suis entrée dans le bureau et j’ai dit : vous devez savoir une chose. Mes enfants ne sont pas propres. Mes enfants poussent. Mes enfants crient. Mordent. » Elle marque une pause. « La directrice m’a regardée, calmement, et m’a dit : “Vos enfants sont autistes, Madame.” J’ai crié : ENFIN. J’étais à bout. J’avais fait des dizaines d’écoles. » Beaucoup d’enfants autistes peinent à trouver leur place à l’école. Certains sont exclus dès les premières difficultés, d’autres sont isolés, mal compris des autres élèves, parfois harcelés. « Ma fille est non-verbale et aime rester seule. À l’école, elle se fait harceler à cause de ça », souffle une maman.
Aujourd’hui, 1 personne sur 100 est concernée par un trouble du spectre de l’autisme. Un chiffre qui a explosé en trente ans. Selon Cap48, en Belgique, 1 enfant sur 66 naît avec un TSA. Les rendez-vous sont rares. Les listes d’attente s’allongent, autant pour le diagnostic que pour obtenir une place dans un centre. Parfois plusieurs années. En Wallonie, il est impossible de savoir combien de places sont réellement disponibles pour les enfants atteints de TSA. Les services agréés le sont pour des « catégories de handicap” mixtes, et ne sont donc pas exclusivement réservées à des enfants autistes.
En mars 2013, le Comité européen des droits sociaux (CEDS), organe du Conseil de l’Europe, a condamné l’État belge pour manquements graves dans l’accueil des personnes handicapées de grande dépendance, parmi lesquelles les personnes autistes.
Trouver une place dans un centre ne suffit pas. Il faut trouver la bonne. Celle qui correspond aux besoins de l’enfant. Il y a ceux qui parlent. Ceux qui ne parlent pas. Ceux qui s’automutilent. Ceux qui ne mangent pas. Ceux qui sont violents. Ceux qui s’enferment dans le silence ou dans des gestes stéréotypés… Et les places pour les profils les plus complexes, comme Charline, sont les plus rares. « En Wallonie, on est dans une logique éducative et de projet de vie. Chaque institution a un projet propre adapté à des besoins spécifiques. Il y a des analyses en concertation avec les parents pour évaluer les besoins de l’enfant, des rencontres avec les responsables, les pédopsychiatres… un travail de grande ampleur pour assurer la prise en charge la plus pertinente. Il arrive que des centres ne soient pas adaptés à certains profils, et donc que les familles doivent en chercher un autre », explique Lara Kotlar, porte parole de l’Agence pour une Vie de Qualité (AViQ)
Mais ces principes peinent à se traduire sur le terrain. Une étude menée en 2019 par le GAMP, un groupe de pression citoyen qui défend les droits des personnes autistes et de leurs familles, auprès de dizaines de centres de réadaptation fonctionnelle, de services d’accompagnement et de structures psycho-socio-thérapeutiques, révélait que le personnel est encore insuffisamment formé à ces bonnes pratiques. Que ce soit dans le cadre des études supérieures ou de la formation continue, ces approches fondées sur les données probantes restent trop peu enseignées. Et du côté des familles, rares sont les parents bénéficiant d’une guidance qui leur permettrait d’appliquer, à la maison, les mêmes méthodes éducatives. Résultat : une chaîne d’accompagnement trop souvent rompue dès le départ. Et des enfants à qui l’on refuse, faute de moyens et de formation, la possibilité d’apprendre autrement.
Depuis 2016, les écoles ordinaires peuvent ouvrir des classes inclusives destinées à accueillir des élèves avec autisme. Ces classes, soutenues par des écoles spécialisées, visent à offrir un accompagnement adapté tout en permettant aux enfants handicapés de côtoyer leurs pairs. Maïté, mère de Victor, a longtemps essayé. « Il ne fallait généralement qu’une demi-journée pour qu’on me rappelle en me disant que l’établissement n’était pas capable de prendre en charge mon fils. »
J-2124Le bureau est grand. Des tableaux au mur, des meubles en bois massif, une chaise en cuir de l’autre coté, une pour elle, moins confortable. Tout brille. Elle s’installe face au directeur. Le Corto, un centre psycho-socio thérapeutique de jour pour enfants et adolescents atteints du trouble de spectre autistique avec ou sans handicap associé, à Charleroi. L’assistante sociale est déjà là. Elle explique l’essentiel. Charline. Nolan. Deux enfants autistes à la maison. Pas de prise en charge. Plus d’école. Plus rien.
Et puis, dans cette pièce qui sent le bois ciré et le silence, la phrase tombe : « on n’a qu’une place. » Une. Pas deux. Elle doit choisir lequel de ses enfants elle veut sauver. Ce sont ses mots. Ce sont ses larmes. Elle inscrit Charline. Parce qu’elle est la plus grande. Parce que ses troubles sont plus lourds. Parce qu’elle hurle plus fort. Qu’elle fait plus de trous dans les murs. Nolan attendra.
J-917Nolan est accepté au Corto.
Entre J-4224 et pour le reste de la vie d’ElodieDerrière les grilles, il y a les trajets, les suivis, les réunions, les dossiers à remplir, les crises à contenir, les nuits à veiller. Et presque toujours, ce sont les mères qui tiennent. Qui absorbent. Qui encaissent.
L’Institut de recherche en sciences psychologiques (IPSY) de l’UCLouvain a mené une étude, en 2019, auprès de 53 mères d’enfants autistes. Il en ressort que le stress chronique, la dépression, l’anxiété généralisée y sont monnaie courante. Entre 50 et 80 % de ces mères présentent des niveaux de stress et de dépression élevés. Pas surprenant. Pas pour Élodie. Elle dit simplement : « On n’a pas le droit d’être fatiguées. Si on tombe, tout tombe. »
La même étude explique que ce sont souvent les mères qui subissent le plus. Parce qu’elles sont en première ligne. Parce qu’elles portent tout. Les soins. Les démarches. Le lien social. Elles mobilisent ce que la psychologie appelle un coping individuel : un ensemble de ressources mentales, émotionnelles, physiques pour tenir le coup. Tenir malgré tout. Mais ce n’est pas toujours suffisant. L’étude montre que les mères déprimées ruminent plus, se sentent plus coupables, et expriment davantage leurs émotions… faute d’avoir des solutions concrètes à mettre en place. « Même si ces stratégies de coping individuel ne s’avèrent pas suffisantes, elles démontrent néanmoins leur importance en ce sens qu’elles servent à exprimer un besoin de soutien », indique l’étude. Elles agissent seules. Sans relais. Et souvent, sans conjoint. Le soutien du partenaire joue pourtant un rôle décisif. Mais quand la mère reste seule à gérer l’enfant, quand l’autre travaille plus ou s’éloigne, la pression monte. Certaines mères perçoivent alors le comportement de leur enfant comme plus exigeant, plus violent, plus « trop”. Et elles n’ont plus l’impression d’être de bonnes mères. Juste des gardiennes. Des infirmières. Des barrières humaines.
J-187Un courrier arrive au Centre. Un recommandé de l’AViQ. La convention qui lie l’agence au Corto est rompue. Trois mois de préavis. Sans justification particulière. Juste un article du contrat qui permet la rupture unilatérale. L’Agence précise tout de même : « difficultés liées au fonctionnement thérapeutique et à la gouvernance ».
J-162Le Corto saisit le Tribunal du Travail. Trois mois de préavis, pour des enfants autistes, c’est trop court, trop brutal, argumente-t-il. La juge suspend la décision de l’AViQ en attendant un jugement sur le fond.
J-90Élodie n’a pas dormi. Enfin si, une heure. Peut-être deux. Pas d’affilée. Charline s’est réveillée à 3h, malgré les cinq cachets qu’elle prend pour s’endormir, en hurlant. Nolan tapait contre le mur à 4h. Isaline a mouillé le lit. Encore.
Élodie parle peu, ce matin. Elle pense à la tenue des enfants, prie pour qu’ils acceptent de les enfiler. Les brioches, pour le trajet. Indispensables. Sinon c’est les coups, les morsures. La bagarre avec sa fille, plus grande, plus forte qu’elle. Elle pense au tribunal. Aujourd’hui, le Corto, celui qui accueille deux de ses trois enfants autistes, est devant le juge. Une histoire de subsides, de problème de gouvernance.
Elle baisse les yeux vers ses baskets. Deux pointes de lacet traînent dans une flaque de lait, tombé plus tôt, quelque part entre le petit-dej et une crise. Dans le salon, tout est en plastique. Par sécurité. Rien qui casse. Plus de télé. Charline l’a lancée contre le mur il y a quelques mois. Les canapés viennent d’être livrés. Des modèles d’occasion rachetés via une annonce. Ça ne résiste jamais bien longtemps aux assauts de la grande qui s’y laisse tomber. Trois mois, au mieux. Les structures finissent par céder, les mousses éventrées. Depuis peu, les fauteuils ont été remplacés par des palettes en bois. Moins beau, mais plus solide.
Sur le mur, un lambeau de papier peint se soulève. On voit la trace des anciens motifs, et les bouts déchirés autour. C’était joli, au début. Puis Charline a gratté. Nolan a suivi. Isaline a crié. Quatre fois, ils ont tout refait. À la cinquième, ils ont arrêté. Depuis, le mur reste comme ça, à nu par en- droits. Ça tient, c’est tout ce qui compte.
Ce qui rend tout ça encore plus difficile, c’est ce qu’on ne voit pas. La solitude. Le dehors qui se ferme. Élodie ne dit pas « Nous sommes isolés ». Elle dit : « Je ne peux pas emmener Charline chez des amis qui ont des enfants. Ni au parc. Ni au magasin. Parce que ça finit mal. » Elle détaille comme si elle énonçait une recette : « Déjà, je verrais le regard des gens. Les parents. Ceux qui ne savent pas. Qui pensent que c’est mal élevé. Que je laisse faire. Qui ne comprennent pas que c’est un handicap, pas un caprice. En plus, je dois la surveiller tout le temps. Je ne peux pas détourner les yeux. Et si je sors avec elle, je dois emmener Nolan et Isaline aussi. Et puis il y a le risque. Charline ne crie pas pour dire qu’elle a peur. Elle frappe. Elle mord. Elle pousse. Elle ne prévient pas. Et s’il arrive quelque chose, c’est ma faute. C’est ma responsabilité. Alors je n’y vais plus. » Comme elle, beaucoup de mères d’enfants autistes s’effacent du monde social. Les invitations se raréfient. Les anniversaires se font sans elles.
Le tribunal l’attend. Là-bas, d’autres parleront. Ils liront des dossiers, rappelleront que l’ASBL Corto accueille aujourd’hui 18 gamins. Qu’il est reconnu comme Centre de Revalidation Fonctionnelle (CRF), et qu’il est subsidié par l’Agence pour une Vie de Qualité (AViQ) via une convention qui encadre notamment le suivi thérapeutique, la présence de personnel qualifié, la qualité des soins…
Les CRF sont des institutions dont l’objectif est « d’accompagner chaque patient, au cas par cas, dans la construction d’une solution personnelle à ce qui fait lui problème, solution exportable en dehors de l’institution, qui lui permette de restaurer ou maintenir un lien social apaisé et de prendre ou reprendre une place dans la société tout en préservant sa santé »
Un CRF doit respecter une série de conditions. Lorsqu’ils s’adressent à un public porteur de troubles du spectre de l’autisme (TSA), les CRF proposent une approche pluridisciplinaire, individualisée et intensive, centrée sur la rééducation fonctionnelle et l’amélioration de l’autonomie au quotidien.
Concrètement, un CRF pour enfants autistes rassemble sous un même toit des professionnels issus de différents horizons : pédiatres, neuropsychologues, logopèdes, ergothérapeutes, éducateurs spécialisés, assistants sociaux, etc. Ensemble, ils établissent un bilan fonctionnel complet, destiné à cerner les besoins, les compétences et les difficultés spécifiques de chaque enfant. Sur cette base, un programme d’accompagnement personnalisé est mis en place et la progression de l’enfant est évaluée.
Aujourd’hui, on juge la fin de cette convention.
Un audit révèle que le cadre médical n’était rempli qu’à 15 %. Sur quarante heures de prestations attendues, seules six étaient assurées. Le cadre thérapeutique n’était pas non plus rempli comme il le devait. Pour ces missions, entre autres, le Corto percevait 289 euros par enfant et par jour. « Lors de plusieurs inspections et sur base de témoignages d’anciens membres du personnel, de plaintes formulées par un ancien pédopsychiatre du centre… il est apparu que ce qui s’y faisait relevait davantage de la garderie que de la revalidation fonctionnelle. Et 289 euros par enfant, par jour, pour ça, c’est inacceptable, tranche Lara Kotlar, porte-parole de l’AViQ, Dans ces institutions, il doit y avoir un pédopsychiatre référent. Il n’y en avait même plus. »
Sur ce dernier point, Pierre Hannard, le directeur du Corto, plaide la « pénurie totale » de pédopsychiatres. Cinzia Agoni, présidente d’Inforautisme et porte-parole du GAMP, dénonce quant à elle des pratiques thérapeutiques « d’un autre temps, marquées par la psychanalyse et en décalage avec les recommandations nationales et internationales », au Corto. « Je ne peux plus cautionner cela, mais je suis prête à soutenir les parents auprès de l’AViQ s’ils acceptent de chercher une autre solution que le Corto. »
L’AViQ, après avoir annoncé la rupture, avait proposé une alternative : Oxalis, un nouveau centre, intégré au Grand Hôpital de Charleroi. Une partie des familles et du personnel avait accepté d’y être transférée. D’autres, dont Élodie, avaient refusé. Ils sont restés, défendent le Corto corps et âme, parlent de « nous » en évoquant le centre, malgré les critiques, malgré les doutes. Ils disent avoir vu des évolutions chez leurs enfants. « Au Corto, on respecte vraiment le rythme de nos enfants. Ailleurs, dans les autres centres de revalidation, on les évalue tout le temps, ils doivent suivre toutes les thérapies prévues, peu importe leur état émotionnel ou leur fatigue… Ils sont forcés d’entrer dans un moule », confie une mère d’un enfant accueilli au Corto.
Puis il tranchera. Le 25 mars 2025, le Tribunal du Travail estime que le recours du Corto est infondé sur tous les points. Il déboute l’ASBL de toutes ses demandes, et souligne qu’il est regrettable qu’aucune mesure n’ait été prise pour assurer une transition pérenne aux enfants.
Plus de subsides, plus de titre. Le Corto annonce l’arrêt des soins. Dix membres du personnel indépendant sont licenciés. L’accueil, lui, se poursuivra sur la trésorerie du centre. Pendant trois mois. 90 jours. Élodie, qui avait mis tous ses espoirs dans ce combat, qui pensait que le Corto allait gagner, qui avait refusé Oxalis, pense à l’après. Aux brioches, aux crises. Aux enfants, surtout. Toujours les enfants.
J-ZÉROLe centre est fermé. Elle n’a pas peur. Elle le disait en posant une assiette en plastique sur la table. « Je n’ai pas peur de m’occuper de mes enfants. Je ne suis juste pas compétente pour le faire. » Elle pensera peut-être au confinement d’il y a quelques années. Quand Nolan, enfermé trop longtemps, tournait en rond sans s’arrêter. Quand il hurlait, se cognait aux murs. Quand elle l’avait retrouvé, un matin, sur le rebord de la fenêtre. Puis un autre jour, chez le voisin d’en face. Quand les voisins ont déménagé, fatigués des cris, des meubles renversés, des objets lancés par-dessus les haies. Elle, ne peut pas partir. Elle se souviendra peut-être de ce moment précis. Celui où elle n’a plus tenu. Et où, pour la première fois, elle l’a médicamenté. Juste un peu. Pour qu’il s’assoie.
Élodie se souviendra, sûrement, de ce courrier du Palais Royal. Celui qu’elle avait reçu quand elle croyait encore que le combat pour le Corto pouvait aboutir. Elle pouvait, si elle le souhaitait, faire appel à un avocat. Le papier peint aura cédé. Charline l’aura gratté, Nolan l’aura suivi, Isaline aura crié.
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Le Roi : symbole ou acteur clé de l’influence nationale ?
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Le 5 avril dernier, la princesse Claire enfilait des gants de boxe dans une salle de sport bruxelloise. La scène est inhabituelle et révélatrice de l’évolution de la monarchie belge qui, depuis plusieurs années, multiplie les apparitions sur le terrain, mêlant soutiens symboliques, engagements sociaux et représentations protocolaires. Ces activités traduisent une volonté de maintenir un lien avec la population et d’affirmer une influence qui dépasse les fonctions purement cérémonielles. Nous avons analysé l’ensemble de ses activités officielles pour mieux comprendre son rôle, parfois discret.
Gants de boxe enfilés et tenue de sport sur le dos, la princesse Claire s’est initiée aux sports de combat et au basket le 5 avril dernier. Une discipline qu’elle appréhendait selon Soirmag, mais qu’elle a pu découvrir dans le cadre d’une visite à l’association bruxelloise Sport2Be, qui utilise le sport comme levier d’inclusion sociale et professionnelle pour les jeunes issus de milieux défavorisés.
Pas de traitement de faveur, ni de protocole particulier pour la Princesse, d’après Arthur Parmentier, chargé de marketing et de communication au sein de l’association. La sécurité a encadré le déplacement, mais une fois sur place, la Princesse a pris part aux activités sportives dans des conditions similaires aux autres participants. Pour l’association, soutenue par la Fondation Reine Paola, cette visite royale a constitué une opportunité de valoriser son action et de sensibiliser davantage le public à sa cause.
Ce rapport royal au public a mis du temps à se construire. Le mouvement s’est amorcé avec le roi Albert Ier en 1909, qui a gagné en popularité dès son mariage avec la reine Élisabeth, à une époque où les reines étaient encore tenues à l’écart de la scène publique. « Avant lui, on ne voyait quasiment jamais la famille royale en dehors des portraits officiels« , explique l’historien retraité de l‘Université de Liège et spécialiste en affaires royales, Francis Balace. Les premiers clichés du couple royal se vendaient alors comme des petits pains. « Peu à peu, l’image de la monarchie s’est transformée en véritable marque. Vous aviez leurs têtes sur les packagings de chocolats, sur les canevas de couture, et même sur des boîtes de cornichons. La famille royale apparaissait sur toute sorte de produits. » Une manière habile de créer du lien et de nourrir l’attachement populaire.
Depuis, le rôle de la famille royale a évolué. Ce changement se remarque notamment à travers le nombre d’évènements officiels qui semble être en constante évolution. En 2024, 291 sorties et activités royales ont été dénombrées.
Une forte influence sur la diplomatie économiqueLe roi Philipe, avec un agenda ponctué de visites, d’audiences et de réceptions, s’impose sans surprise comme le membre le plus actif de la famille royale. La reine Mathilde suit le souverain de près, fidèle à ses engagements sociaux et éducatifs. Ensemble, ils forment un binôme solide, mais c’est chacun de leur côté qu’ils cumulent le plus d’activités. Le couple royal ferme ainsi la marche du podium.
Aujourd’hui, la monarchie belge conserve une certaine influence, notamment à l’international. « Le Roi et sa famille ont un rôle à jouer sur notre politique extérieure, en particulier sur la diplomatie économique« , précise Raoul Delcorde, ancien ambassadeur belge en Suède, Pologne et au Canada. « Contrairement à la monarchie britannique ou aux royautés scandinaves, la dynastie belge facilite les rencontres, tisse des liens dans les milieux d’affaires, et insuffle un certain soft power qui renforce l’attractivité du pays et apporte une touche de glamour aux partenaires étrangers.«
Philippe, Roi de Bruxelles ou Roi des Belges ?Le Roi et la Reine ne participent pas aux négociations en elles-mêmes, mais leur simple présence apporte souvent une forme de crédibilité sur la scène internationale comme nationale. Dans un paysage politique belge, parfois instable, marqué par de célèbres crises et impasses, leur présence rassure. Souvent sans quitter le pays, voire leurs fiefs. Sur les 291 sorties officielles de la famille royale en 2024, seules 18 visites ont été effectuées à l’étranger et les déplacements hors du Palais ou de la résidence principale se font rares.
Le Palais Royal (112) et le Château de Laeken (25), concentrent à eux seuls une part significative des activités. Ce nombre élevé se justifie par la place centrale qu’occupent ces lieux dans le rôle de la monarchie. C’est au Palais que se tiennent les audiences, certaines réceptions et une grande partie des cérémonies protocolaires. Le Château de Laeken sert de résidence privée pour la famille royale, mais il sert aussi de lieu pour accueillir certaines réunions de travail et surtout des réceptions, dans un cadre plus confidentiel ou familial.
Avec 207 audiences, réceptions et visites officielles sur 291, Bruxelles domine largement les lieux d’accueil des événements royaux. Un chiffre qui peut sembler disproportionné par rapport aux autres communes et villes, mais qui s’explique par le fait que la capitale accueille non seulement le Palais et le domicile royal, mais qu’elle est également le siège de nombreuses institutions européennes et belges, ainsi que de nombreuses administrations centrales.
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Aujourd’hui encore, la fonction royale reste fidèle à l’esprit de la Constitution de 1831, qui pose une règle fondamentale : le Roi ne peut poser aucun acte sans le contreseing d’un ministre (deuxième signature destinée à authentifier la signature principale). Il demeure officiellement chef de l’État « mais son pouvoir reste avant tout symbolique et représentatif« , rappelle Raoul Delcorde. Il incarne l’unité du pays, nomme les ministres, signe les lois, mais toujours sous l’œil attentif d’un membre du gouvernement. Il n’est pas Roi de Belgique, mais bien Roi des Belges, une subtilité sémantique qui révèle toute la portée de son rôle.
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Comment les étudiants se débrouillent face à la précarité
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De plus en plus d’étudiants se trouvent en situation de précarité financière. Selon les estimations, entre 70 et 80.000 étudiants (soit plus de 35% de la population étudiante) auraient du mal à boucler les fins de mois. Face aux difficultés, la débrouille règne. Au quotidien, ils et elles cherchent des manières de subvenir à leur besoins tout en poursuivant leurs études. Nous avons suivi Noé, Pivi, Manon et Lola dans leur débrouille.
Les reportages ont été réalisés à l’IHECS dans le cadre d’un atelier vidéo sous la conduite d’Eric Willem.
Noé, étudiant en journalisme à l’IHECS, n’a pas choisi de se loger comme tout le monde. Il y a 4 ans, il a comparé toutes les options de logement à Bruxelles avec ses parents et l’internat est sorti du lot. Une chambre partagée, des repas compris, une salle de sport, tout y est pour mener à bien ses études à un prix raisonnable. Face à la hausse des loyers, l’internat permet à des jeunes comme lui de se loger à un prix plus abordable.
Pivi est obligé de travailler pour financer ses études. Pour lui, il était nécessaire de relever le plafond de 450 heures par an de travail autorisé pour le travail étudiant, même si cette hausse risque de se faire au détriment du temps d’étude.
Manon a la chance de ne pas devoir travailler, mais le budget alloué par ses parents ne lui permet néanmoins pas de faire des folies. Pour réduire ses coûts, elle utilise l’application Happy Hours Market, qui commercialise des invendus alimentaires. L’un des 18 points de retraits bruxellois se situe juste à côté de chez elle.
Face à l’augmentation du coût de la vie et à des aides souvent insuffisantes, de plus en plus d’étudiants basculent dans la précarité. Logement, alimentation, santé mentale : leur quotidien est marqué par des choix et des sacrifices. Lola doit même fréquemment manquer des cours.
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Vendée Globe: les coulisses de la préparation de Denis Van Weynbergh
À 55 ans, le skipper belge Denis Van Weynbergh a bouclé le Vendée Globe, l’une des courses à la voile les plus exigeantes au monde. Un exploit rendu possible grâce à une préparation intense, forgée par des années de travail, de doutes et de passion.
Denis Van Weynbergh est entré dans l’histoire en devenant le premier skipper belge à boucler le Vendée Globe, la plus grande course à la voile autour du monde, en solitaire, sans escale et sans assistance. Après avoir passé 117 jours en mer, il a franchi la ligne d’arrivée le 8 mars 2025 aux Sables-d’Olonne mais n’a malheureusement pas pu être classé, la ligne d’arrivée ayant fermée le 7 mars à 8h. Il s’agit néanmoins d’un exploit, qu’il n’aurait pas pu accomplir sans une préparation rigoureuse, aussi bien sur le plan financier que physique et mental.
Se forger un physique à la hauteur du défi
« Le Vendée globe c’est très dur. Parfois quand je manœuvrais, je dégueulais parce que j’étais épuisé ». Pour Traverser les océans en manœuvrant des voiles pouvant peser jusqu’à 85 kilos n’a rien de simple, et Denis Van Weynbergh a dû se préparer physiquement avant le départ du Vendée Globe.
Lors d’une interview, il nous explique que cette préparation physique s’est construite sur le long terme. Ce programme exigeant a débuté quatre ans avant le départ, avec deux transatlantiques par an, c’est-à-dire deux traversées de l’océan Atlantique à la voile, représentant entre 80 et 90 jours passés sur l’eau chaque année.
En plus de ses entrainements en mer, Denis Van Weynbergh a entretenu sa condition physique en pratiquant certains sports comme le vélo et la natation. Il s’est aussi rendu à la salle de sport plusieurs fois par semaine, accompagné d’un kinésithérapeute et d’un coach sportif.
Préparer son esprit à la solitude et aux doutes
Avant de se lancer dans la traversée du Vendée globe, Denis Van Weynbergh a aussi dû apprendre à gérer la solitude et les moments de doutes. Pour s’y préparer, il a travaillé avec un coach mental en amont du départ. Trois mois avant la course, ils se retrouvaient par visioconférence ou par appel tous les 15 jours pour se préparer à affronter cette traversée éprouvante.
« Sur le Vendée Globe, c’est plus facile d’avoir des pensées négatives que positives ». Pour chasser les premières durant la traversée, Denis Van Weynbergh consignait chaque jour dans un cahier tous les moments positifs vécus au cours de la journée.
Une course aux sponsors avant celle autour du monde
« Quand tu n’as pas de sponsors, tu n’as pas de salaire et donc tu ne peux pas faire de course ». En 2020, Denis Van Weynbergh avait dû renoncer au départ du Vendée Globe faute de budget suffisant. C’est alors qu’il s’est lancé à la recherche de sponsors où il a dû vendre son projet au point de presque en devenir un représentant commercial. « Ton premier boulot comme skipper c’est représentant commercial. C’est être directeur commercial et vendeur et ça me prenait 80% du temps ».
Dans sa préparation pour le Vendée Globe, Denis et son entourage avaient défini plusieurs étapes cruciales. La première était celle d’oser se lancer dans l’aventure. La deuxième, trouver un partenaire majeur. La troisième était de se qualifier et d’être au départ au Vendée Globe. Et la dernière, franchir la ligne d’arrivée et terminer la course. Mission accomplie, malgré les difficultés rencontrées pour trouver un partenaire majeur, qui s’est finalement concrétisé avec le soutien de D’Ieteren Group, un sponsor 100% belge.
En plus du soutien financier de ses différents sponsors, Denis Van Weynbergh a lancé une campagne de crowdfunding, loué son bateau pour des téléfilms et organisé des sorties en mer avec des particuliers pour financer son projet. Il a même dû dormir sur son bateau l’année précédant le départ, faute de moyens pour se loger dans un hôtel.
Lorsqu’on demande à Denis Van Weynbergh quel a été le domaine de préparation le plus difficile, il répond sans hésitation, que c’est l’aspect financier qui a été le plus compliqué.
Éviter le mal de mer : l’importance d’une alimentation adaptée
Avant chaque départ en mer, il est essentiel de suivre une alimentation adaptée. Denis Van Weynbergh s’est rendu compte, par exemple, qu’éviter certains aliments comme le pain et les boissons sucrées, une semaine avant une sortie en mer, lui permettait de ne pas tomber malade sur le bateau. Cette stratégie alimentaire lui a permis de moins souffrir du mal de mer, un phénomène pourtant rare chez les skippers.
Le soutien familial, un pilier dans cette aventure
Le soutien familial s’est révélé être l’un des éléments les plus importants. Pouvoir compter sur ses proches permet de surmonter les doutes et de pouvoir gérer les moments de stress grâce à leurs encouragements. Papa de deux garçons, Denis Van Weynbergh a pu compter sur eux pour l’accompagner dans sa préparation et dans sa traversée. Il raconte que la séparation avec sa famille s’est faite naturellement, avant le départ du Vendée Globe. Déjà installé aux Sables d’Olonne pour les préparatifs, Denis ne voyait déjà plus beaucoup sa famille. Ses enfants étant déjà grands, la séparation s’est faite plus facilement, et Denis a pu compter sur leurs encouragements et leurs soutiens pour accomplir son rêve : terminer le Vendée Globe.
Cette préparation intense ne résume pas à une simple effort sportif. Derrière la dimension physique se cache un autre enjeu de taille, le financement. En Belgique, un pays dominé par le football, le cyclisme ou le hockey et où la voile ne fait partie intégrante de la culture comme en France, la recherche constante de sponsors et les nombreuses difficultés économiques est un vrai défi. Denis Van Weynbergh a dû se battre avec acharnement pour pouvoir le relever. C’est là aussi, sur terre, que se situe sa réussite.
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Pro League : zone de transit du football européen
Crédit photo: Hugo Barthélemy
Alors qu’historiquement les clubs belges recrutaient pour améliorer leurs effectifs, ils misent depuis une dizaine d’années sur la revente de talents pour engendrer des bénéfices. Une tendance qui se confirme avec près de 300 départs vers les cinq grands championnats européens depuis la saison 2000/2001. Mammouth a analysé le marché des transferts de ces 25 dernières années.
Après sa défaite en coupe de Belgique et étant déjà mathématiquement hors course pour le titre en championnat, une nouvelle saison blanche s’annonce pour le club d’Anderlecht. Néanmoins, les futurs mercatos pourraient redonner le sourire aux dirigeants mauve et blanc. A défaut de performer sur le plan sportif, ils pourraient engranger des résultats financiers.
Le club le plus titré du championnat belge compte parmi les plus gros vendeurs de talents de Belgique. Depuis l’an 2000, 46 joueurs ont quitté le Sporting d’Anderlecht pour rejoindre la Ligue 1 (France), la Liga (Espagne), La Serie A (Italie), la Premier League (Angleterre) ou la Bundesliga (Allemagne). Cette tendance se retrouve dans toutes les grandes écuries belges. Elle leur permet aujourd’hui de suivre les exigences financières infernales imposées par les géants du football européen, pour pouvoir rivaliser dans les différentes compétitions européennes.
Le championnat belge devient de plus en plus attractif : actuellement huitième au classement UEFA, la Belgique a doublé son coefficient UEFA par saison par rapport à 2022. Cette hausse du niveau de jeu en Pro League s’observe sur les terrains mais elle se voit également dans les transferts : sur les 299 transferts opérés vers les cinq grands championnats au 21e siècle, 100 ont été effectués ces cinq dernières années.
La Ligue 1 demeure le championnat qui s’intéresse le plus aux joueurs de Pro League. Lille, le Stade de Reims et le FC Nantes ont particulièrement les yeux rivés sur les pelouses belges. Ce trio est suivi de près par cinq autres clubs français qui comptent cinq joueurs ou plus issus du championnat belge sur les 25 dernières années. Les proximités géographique et linguistique facilitent les rapports entre les joueurs et clubs des deux pays, au même titre que leur place sur l’échiquier européen du football. La Ligue 1, elle-même considérée comme tremplin vers les plus grands clubs européens, fait souvent office d’intermédiaire entre la Belgique et les quatre autres compétitions majeures du Vieux Continent.
La raffinerie du football européenLa première division belge constitue une voie d’accès idéale vers les championnats plus prestigieux, notamment en raison de la qualité de la formation au plat pays. “La Pro League est un championnat d’un bon niveau qui reste accessible aux jeunes talents et aux profils non-aguerris, notamment grâce au savoir-faire des centres de formations belges”, commente Raffaele Poli, directeur et responsable football du Centre International d’Étude du Sport (CIES). L’explosion des ventes à l’international s’explique surtout par un changement du modèle économique des clubs belges qui ont opté pour un modèle de « plus-value« . Avant les années 2010, lorsqu’un club belge achetait un joueur, il pensait surtout à son rendement en championnat et non à son potentiel de revente. Bruges illustre précisément ce changement de mentalité : le club flandrien a triplé son nombre de ventes vers les cinq grands championnats en dix ans.
Les nouvelles technologies qui façonnent le recrutement moderne contribuent à la mise en lumière des joueurs du championnat belge mais aussi à l’émergence de championnats plus confidentiels. “Avant, un agent de joueurs envoyait des compilations d’actions de matchs de ses joueurs aux grands clubs. Aujourd’hui, avec des plateformes comme Transfermarkt ou Wyscout, toutes les statistiques et vidéos sont disponibles en ligne. Les clubs des cinq grands championnats peuvent plus facilement recruter dans des championnats moins connus”, explique Bart Tamsyn, responsable de la zone Belgique et Pays-Bas pour le site Transfermarkt.
Les clubs belges investissent désormais dans des infrastructures et du personnel afin de capitaliser rapidement sur la (re)vente de talents. Une source au sein d’un grand club belge, qui a préféré conservé l’anonymat, confirme cette stratégie qui consiste à acheter de jeunes joueurs à faibles prix dans l’espoir d’une plus-value économique future.
Baser son modèle économique sur la réalisation de plus-value relève d’une stratégie à double tranchant.
Raffaelle Poli, directeur et responsable football du CIESMême si les performances sont bonnes, “baser son modèle économique sur la réalisation de plus-value relève d’une stratégie à double tranchant, prévient Raffaele Poli . Les ventes systématiques de joueurs entraînent des changements d’effectifs réguliers, ce qui complexifie la création d’une stabilité”.
Malgré les risques encourus, les écuries belges semblent privilégier cette stratégie pour briller sur la scène européenne, qui est rythmée par des dépenses d’argent toujours plus importantes au fil des saisons. Pour l’instant, les calculs s’avèrent payants : la compétitivité de la Pro League s’améliore au même titre que les finances des clubs. Reste à voir si ce modèle résistera à l’épreuve du temps.
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