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Le béguinage, précurseur du féminisme

jeu, 06/02/2025 - 10:25
J’ai parlé à Muriel, Marianne et Sophie, octogénaires et béguines libres

Photos : Azad Yagirian

Né au Moyen Age, le béguinage accueille des femmes, sans soutien social, qui refusent les contraintes du mariage et des ordres religieux pour vivre leur foi en toute liberté. Aujourd’hui, ce modèle inspire encore. C’est dans l’un de ces lieux que je rencontre Muriel, Marianne et Sophie qui, chacune à leur manière, ont décidé de poursuivre cette tradition.

Au cœur de Saint-Josse-Ten-Noode, à Bruxelles,, au 79, rue Potagère, se dresse un bâtiment blanc parmi tant d’autres, dont l’apparence ne révèle pas la véritable nature. Il s’agit du couvent de Béthel (littéralement “Maison de Dieu” en hébreu). Celui-ci s’organise sur trois étages avec des appartements occupés par des résidents, béguines ou autres, croyants ou non, à la recherche d’un endroit où loger. Il est midi. Quand la porte d’entrée, s’élevant sur plusieurs mètres de haut, s’ouvre brusquement, j’aperçois une dame au visage ridé, arborant un carré classique : Muriel De Beco, une béguine de 80 ans.

Autrefois mariée, elle choisit un beau jour de rejoindre la communauté religieuse des sœurs dominicaines. Les sœurs dominicaines, membres de l’Ordre des Prêcheurs, fondé par saint Dominique au 13e siècle, font partie des religieuses actives qui allient vie contemplative et apostolique. “J’étais appelée à entretenir une relation personnelle et unique avec le Seigneur sans intermédiaire, mais cela ne me convenait pas.” Très vite, elle décide de s’en défaire pour suivre un chemin davantage en accord avec ses aspirations spirituelles. Elle devient donc béguine.

Ces femmes ne voulaient pas non plus dépendre d’un mari. Elles souhaitaient rester libres entre elles et solitaires, contrairement à la structure hiérarchique d’un monastère

L’existence des béguinages remonte au 13e siècle, principalement dans les régions du Nord de la France, des Pays- Bas et de Belgique. Ils offrent un refuge pour des femmes qui cherchent à échapper à la fois à l’autorité patriarcale et aux pressions des institutions religieuses, en leur permettant de mener une vie spirituelle autonome, à l’écart des normes traditionnelles. En rejoignant ces communautés, elles bénéficient d’un statut souple, sans être tenues par des vœux définitifs de pauvreté, de chasteté ou encore d’obéissance, à la différence des religieuses qui étaient soumises à une hiérarchie ecclésiastique plus stricte. Malgré les siècles passés, l’esprit du béguinage perdure dans des sites religieux qui transmettent ses valeurs ancestrales, notamment en Allemagne, en Belgique, en France et en Autriche.

Muriel s’adonne à plusieurs activités, guidées par des « discernements » : des appels de Dieu survenant à des périodes spécifiques de son existence. Malgré ses craintes, elle trouve le courage de les accueillir. “Au final, confrontée à l’épreuve, je me suis sentie très heureuse. Ces femmes ne voulaient pas non plus dépendre d’un mari. Elles souhaitaient rester libres entre elles et solitaires, contrairement à la structure hiérarchique d’un monastère, par exemple.” Elle ferme la porte derrière moi et me sourit. “Il était clair pour les dominicaines de ce couvent que je n’étais pas en phase avec cette spiritualité telle qu’elles l’avaient conçue. Et elles l’ont accepté sans difficulté. Je suis une béguine libre. D’ailleurs, jeune homme, la béguine incarne une figure avant-gardiste du féminisme.

Marianne Goffoël, 82 ans, sœur dominicaine et l’une des fondatrices des lieux, se dirige vers le buffet de sa salle à manger, à côté duquel repose un seau rempli d’eau sale. “Habituellement, je me lève à six heures et demie. J’aime faire mon ménage en parcourant l’application Prie en Chemin. Je suis multitâche.” Elle désigne du doigt une dizaine de livres entassés sur une table ronde. Elle se penche et ajuste ses lunettes. Marianne me tend un ouvrage intitulé Démence et résilience : mobiliser la dimension spirituelle de Thierry Collaud et l’ouvre à l’endroit du marque-page. Elle se met à froncer les sourcils au fur et à mesure qu’elle avance dans sa lecture. “Vous savez, la force de l’indépendance, même face à la maladie, reste essentielle.”

Au final, je mène ma vie comme je l’entends. Ici, c’est le paradis.

Sophie Vaes est une croyante âgée de 78 ans. Assise les pieds repliés sous cette chaise qui grince, elle tient entre ses mains un livre recouvert de poussière, qu’elle s’apprête à nettoyer. “Le hasard m’a conduite jusqu’au couvent de Béthel. À la base, je ne cherchais qu’un logement, à un prix raisonnable.” Soudain, ses yeux d’un bleu clair, presque translucides, me fixent. “Je suis ressortie blessée d’une association où des réunions obligatoires étaient prévues. On devait assister à ceci, à cela. Or, je n’en voyais absolument pas l’intérêt.” Vêtue d’un plaid, elle s’approche d’une commode en bois verni et y ajuste les accessoires avec soin. “En tant que chrétienne, ici, j’ai la possibilité de participer aux offices religieux. Ce n’est ni trop long, ni trop court… À vrai dire, c’est comme vous le sentez. Je n’ai jamais eu le sentiment d’une obligation. C’est une invitation”, dit-elle.

Sophie détourne son regard vers le sol pendant un instant. Outre la liberté dont elle jouit, la vie en communauté n’est pas toujours facile. “Il faut avoir guéri de ses propres blessures. Plus je me connais, plus j’acquiers une forme de patience qui m’offre du recul sur un événement qui me touche.” Elle enchaîne, d’un ton assuré. “Ce que j’aime prier avec les autres. Le fait de se poser, environ vingt minutes, dans l’agitation d’une journée, je trouve cela important. Au final, je mène ma vie comme je l’entends. Ici, c’est le paradis.”

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Les interdits de stade en Belgique

mar, 04/02/2025 - 14:45
Que faire face à la violence dans les stades de football

La violence reste bien présente dans les stades de football en Belgique. Fumigènes, bagarres ou règlements de compte sont monnaie courante. Qu’est-ce qui pousse les supporters à accomplir de tels actes ? Quelle est l’origine de cette violence ? Qu’est-ce qui est mis en place par les stades pour faire face à ce genre d’incidents ? Et qui sont les interdits de stades ?

Pour lire notre long format, cliquez sur ce lien

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Akro : “On a toujours été vus comme des bouffons”

lun, 03/02/2025 - 13:46
À l’occasion de la sortie du documentaire Timeline, Mammouth est allé à la rencontre de Thomas Duprel, alias Akro, figure de proue du rap belge et responsable éditorial chez Tarmac.

Dans cette interview, Akro nous plonge au cœur de Timeline, un documentaire en 8 épisodes sorti en octobre, qui retrace l’histoire du rap belge et son évolution. Son objectif est d’éveiller la curiosité des jeunes générations tout en rendant hommage aux pionniers qui ont façonné cette scène musicale. Il nous offre également un éclairage personnel sur l’état actuel de cette scène, marquée par de nouvelles dynamiques et des talents émergents

Est ce que vous avez déjà reçu des retours sur la démarche derrière Timeline ?

Timeline est avant tout un devoir de mémoire, non seulement pour les jeunes mais aussi pour toutes les générations ayant contribué à l’histoire du rap belge. Beaucoup ont perdu leurs archives ou ne sont plus actifs, mais ils ont compté. Le but était de dresser une ligne du temps avec des événements marquants, des sorties d’albums, des personnalités et des groupes. Nous n’avons pas pu inclure tout le monde, ce qui est frustrant, mais nous avons créé une structure solide, une « colonne vertébrale » du rap belge. Aujourd’hui, la nouvelle génération porte ce rap avec une autre identité, mais il est crucial de rappeler ceux qui ont ouvert la voie, comme Benny B, Technotronic ou Puta Madre. C’était quelque chose de fondamental pour moi.

Avez-vous observé des réactions particulières de la part des jeunes générations suite à la diffusion de Timeline ? Par exemple, certains ont exprimé l’idée que la génération 2016-2024 a produit davantage de projets et de réussites que les générations précédentes. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, au début, le rap belge était peu structuré, mais il a fallu attendre des artistes comme Stromae qui ont fait rayonner à nouveau la Belgique à l’international, attirant d’autres talents comme Roméo Elvis ou Damso. Cette génération pense parfois qu’elle a tous les codes grâce à des outils modernes, oubliant les disques d’or et les succès passés. Mais bien sûr, ça ne veut absolument pas dire que je dénigre la génération actuelle.

Pourquoi, selon vous, si peu de documentaires traitant du rap belge, comparé à des pays comme la France, l’Angleterre ou les États-Unis ?

Il y a peut-être un manque d’attrait du marché français pour le marché belge. En effet, le marché français, en termes de signatures, s’est réveillé en 2013 avec Stromae, mais avant ça, on a toujours été snobés, toujours vus comme des bouffons ou des gens qui doivent faire rire. Je pense donc que la démarche, pour les Français, de faire un documentaire sur les Belges n’a pas été entreprise parce qu’ils n’ont pas non plus les clés de compréhension de certains groupes. C’est, je pense, une forme de méconnaissance.

Je me souviens d’un média français qui m’a proposé de reprendre l’idée de Timeline mais de l’adapter en version française sans même l’avoir encore diffusée chez nous. Mais il est hors de question de céder ce projet qui raconte notre histoire. Je suis convaincu que le documentaire aura ses chances en France ou ailleurs ; la musique est universelle, et on voit bien l’impact international d’artistes belges comme Stromae, Technotronic, Damso, Caballero ou JeanJass.

Le genre du rap a-t-il changé de statut dans les médias au fil des ans ?

Absolument. En huit ans, le rap est devenu un genre accepté. C’est-à-dire qu’en 8 ans, des sujets autour de Damso, qui pouvaient faire polémique au JT s’il faisait quelque chose de vulgaire ou lorsque les Diables Rouges refusaient son hymne, aujourd’hui, quand Damso fait une sortie, il a un article dans le journal sur sa musique et sur lui. Donc oui, les barrières sont tombées, il y a une acceptation de différents styles de rap.

Cependant, certains styles de rap, notamment ceux qui abordent des thèmes violents ou controversés, peinent encore à être acceptés, ce qui n’est pas forcément négatif, car tout n’est pas à mettre entre toutes les oreilles non plus. Mais dans l’ensemble, il y a eu une grande évolution. Le rap belge est aujourd’hui mieux perçu, et je pense que cette évolution est essentielle.

Selon vous, quelle est la situation actuelle du rap belge ?

Les nouveaux se cherchent encore, et ce n’est pas évident. Je vois bien qu’ils débarquent dans un univers saturé de sorties. Aujourd’hui, il faut être ultra original, avec le bon son et les bons codes narratifs dans ta communication et tes réseaux sociaux, sinon tu risques de disparaître parmi tant d’autres. Les jeunes artistes doivent d’abord se concentrer sur des stratégies de single et espérer qu’un morceau ‘pète’ pour gagner en visibilité, obtenir de l’airplay ou des concerts.

Mais ce qui reste essentiel, comme cela l’a toujours été, c’est l’originalité. Il y a beaucoup de “copycats”. Maintenant, on entend souvent dire : “Je vais te faire une punchline ou une mélodie à la…” Et au final, qui es-tu derrière ça, en fait ? Donc, il y a des talents en couveuse, mais ils n’ont pas encore le niveau des Shay, Damso, Caballero…

Vous parlez d’originalité. Pensez-vous qu’il n’y a pas ce côté où “trop d’originalité tue l’originalité” ?

Pour moi, ce sont surtout des “gimmicks” : de petites tendances, une touche technique ou musicale particulière que tout le monde adopte pendant six mois avant de passer à autre chose. Ce genre d’évolutions fait vivre le rap et la musique.
Par exemple, Mac Tyer a apporté son côté ‘lime’, et chacun ajoute ainsi une petite nouveauté. Aujourd’hui, on voit cette ‘new wave’, un style très lent, inspiré du rock et des années 80, qui montre que le rap se cherche une nouvelle identité. C’est comme un laboratoire, en test dans des éprouvettes. À un moment, une éprouvette va exploser, deviendra un vrai style, perdurera longtemps, et bouleversera les choses. Mais pour l’instant, je pense qu’on est en ébullition. On est tous un peu en attente de ce truc-là.

Pour vous, cette phase de mutation est-elle un bon signe ?

La musique est toujours en mouvement, dans un flux de vibrations. Pour qu’il y ait des hauts, il doit y avoir des bas. La musique, comme les saisons, a besoin d’un hiver pour pouvoir renaître au printemps. Et on est en plein dans cette phase-là

Enfin, avez-vous une nouvelle pépite belge à suivre ?

Oui, récemment, j’ai découvert Prince Neo. Il fait du R&B, et ses productions sont hyper léchées. Il a du potentiel, et je pense qu’il ira loin.

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Pompière et fière de l’être

mar, 28/01/2025 - 14:43
Première femme dans une caserne hennuyère, Aline prouve chaque jour qu’elle a sa place parmi les pompiers.

© Noah Poltloot

Aline bouscule les clichés et prouve chaque jour qu’elle a sa place dans un métier historiquement dominé par les hommes, les pompiers. Elle est la première femme à intégrer une caserne dans la zone Hainaut-Centre. Entre interventions à risque et adaptation des mentalités, elle inspire ses collègues et les futures générations.

À 7 h du matin, Aline entame son service comme ses collègues : inventaire du matériel, rassemblement et préparation aux interventions. Pendant sa garde de 24 heures, tout peut arriver. Mais dans ce monde encore très masculin, elle se distingue non pas par son genre, mais par son professionnalisme.

« Au début, certains patients doutent de mes capacités, mais une fois qu’ils voient qu’on maîtrise le matériel et les gestes, tout se passe bien », confie-t-elle.

Aujourd’hui, elles ne sont que 5 femmes pour 360 pompiers dans la zone Hainaut-Centre, mais Aline ouvre la voie avec détermination. « La vie est trop courte pour se mettre des barrières. Si j’ai envie de faire un truc, je le fais ».

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Snus en stock

lun, 27/01/2025 - 16:34
Une enquête sur le snus en Belgique

Avez-vous entendu parler du snus, ces petits pochons de nicotine à glisser sous la lèvre populaires auprès des jeunes ? Ce produit scandinave est en train de conquérir l’Europe, mais est interdit en Belgique. Pour s’en procurer, les Belges doivent se tourner vers le marché illégal ou bien passer la frontière du Luxembourg.

Nous avons enquêté en caméra cachée sur ce marché noir dans les rues de Bruxelles. Nous nous sommes également rendu au Luxembourg où la vente de snus est autorisée. Enfin, nous avons interrogé Romina Loria, une experte de la prévention anti-tabac, sur les risques que comportent la consommation de snus.

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Micro-brasseries bruxelloises : le pouvoir de l’étiquette

ven, 24/01/2025 - 15:12
Dans un marché de la bière qui est de plus en plus saturé, se faire une place est parfois difficile. Heureusement, les brasseurs peuvent toujours compter sur leurs étiquettes atypiques.

Brasserie-fermenterie L’Annexe

En 2023, 417 micro-brasseries étaient présentes sur le territoire belge, avec pas moins de 1600 marques de bières différentes. Mais dans cette explosion de marché, comment se créer une place ? On a rencontré un illustrateur d’étiquette de bière mais aussi différents brasseurs pour y répondre.

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Connaissez-vous les raiglograms ?

ven, 24/01/2025 - 15:06
Dans son atelier, Paula Raiglot travaille ses portraits, mais aussi ses « raiglograms », dispersés dans les rues de Bruxelles.

Paula Raiglot – Raiglograms

Les raiglograms, un projet venu dans l’esprit de Paula Raiglot, artiste bruxelloise, avec une vocation : s’interroger sur le monde qui nous entoure. Six raiglograms se retrouvent d’ailleurs dans les rues de Bruxelles. On l’a rencontré dans son atelier au Sablon.

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Le dilemme des jeunes créateurs de mode

mar, 21/01/2025 - 16:23
Faire le choix partir à Paris ou rester à Bruxelles

De nombreuses écoles à Bruxelles forment de nouveaux créateurs de mode, mais beaucoup d’entre eux partent à Paris. Pourquoi ? Dans ce podcast nous allons explorer les choix des jeunes créateurs belges : ceux qui cherchent de nouvelles opportunités à Paris et ceux qui décident de rester à Bruxelles pour développer leurs carrières. Qu’est ce qui motive leurs décisions ?

Éléments de réponses avec Théo, Anna et Dieter.

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Diplômes ukrainiens, pas d’emploi en Belgique ?

mar, 21/01/2025 - 14:38
Malgré les déclarations européennes, la reconnaissance des qualifications ukrainiennes se heurte à la complexité belge

Dorine Busoro

Pour la deuxième fois, la Commission européenne a demandé aux États membres de renouveler leur engagement d’accès à l’emploi et de reconnaissance des qualifications des réfugiés ukrainiens. En Belgique, cette proposition se perd dans les méandres institutionnels.  

Maria a 42 ans, même si elle en fait dix fois moins. Assise dans la petite cafétéria du centre Ukrainian Voices Refugee Committee, elle boit son bortsch (une soupe traditionnelle aux betteraves) avec son amie Titianna. Elle est arrivée au début de la guerre, en mars 2022, avec sa fille. Au même moment, l’Union européenne décidait que les Ukrainiens déplacés en son sein pouvaient bénéficier de la « protection temporaire ». Ce statut vise à diminuer la pression pesant sur les régimes d’asile nationaux, tout en facilitant l’accès des personnes déplacées au marché du travail. Le travail justement, Maria en cherche. En Août dernier, elle a introduit sa demande d’équivalence de son master en journalisme obtenu à l’université de Zaporijia. A tort ou à raison, elle en parle sans trop d’espoir.

Une double barrière

Dès le mois d’avril 2022, la reconnaissance des qualifications des réfugiés ukrainiens s’est hissée parmi les enjeux politiques européens, sous la forme d’une recommandations émise par la Commission. Rappelant que les ressortissants de pays extra-européens sont souvent obligés « d’accepter des emplois en dessous de leur niveau de qualification », la Commission invitait les États membres à mettre en place un système « simple et rapide » de reconnaissance des qualifications pour faciliter l’emploi des Ukrainiens. Adoptée en 2023, cette recommandation est censée être mise en œuvre par les États. Lors du renouvellement de ces lignes directrices en 2024, le Parlement européen, malgré son statut purement consultatif dans ce domaine, a voté à 61 % pour maintenir cette forme de solidarité avec les Ukrainiens.

L’expression « reconnaissance de qualifications » par la Commission est volontairement étendue. Elle inclut diverses formes de compétences, de formations et de diplômes. Un tel champ d’application est nécessaire: en Belgique, être à la fois étranger (hors UE) et sans diplôme, c’est en effet avoir deux gros bâtons dans les roues pour accéder au marché de l’emploi. En octobre 2024 à Bruxelles, 43 % des demandeurs d’emploi inoccupés (DEI) qu’enregistrait Actiris étaient des étrangers sans équivalence de diplôme ou de qualification. Pour s’attaquer à cette double barrière à l’emploi, Actiris a mis en place, avec l’asbl CIRÉ, un plan d’aide pour accompagner toutes les personnes qui voudraient faire reconnaître leur diplôme ici en Belgique. « On aide les gens à naviguer dans le système », explique Olivier Beernaert, coordinateur du service travail, équivalences et formations au CIRÉ. En juillet 2024, 5.199 Ukrainiens étaient inscrits chez Actiris. A peine 30 % d’entre eux ont trouvé du travail. 

Complexité à la belge 

L’espoir de trouver un emploi est faible, donc… et les couches institutionnelles de notre pays n’arrangent rien. Le système des équivalences de diplôme est une compétence communautaire, car elle touche à l’enseignement, tandis que l’emploi est une compétence régionale. Or, pour le CIRÉ, si on veut faciliter l’accès à l’emploi, il faut en même temps faciliter l’obtention de l’équivalence. 

Entre le Nord et le Sud du pays, l’application uniforme des critères d’équivalence n’est pas non plus toujours évidente, comme par exemple pour le métier d’infirmier. La profession étant réglementée, le diplôme étranger (hors UE) sera analysé à la loupe, à la lumière des critères académiques belges. L’un des principaux obstacles à cette équivalence est le nombre d’heures de stage : en Fédération Wallonie-Bruxelles, lorsque les heures de stage prestées dans le pays d’origine sont inférieures à celles exigées en Belgique, cela peut bloquer l’obtention de l’équivalence. « Quand on a une personne qui a fait ses études et qui après a bossé pendant 10 ans en tant qu’infirmière, qu’on vienne lui dire qu’il lui manque 300 heures de stage, ce n’est pas logique », déplore Olivier Beernaert. En revanche, en Flandre, l’expérience professionnelle est acceptée comme équivalente à des heures de stage. 

 Quand on a une personne qui a fait ses études et qui après a bossé pendant 10 ans en tant qu’infirmière, qu’on vienne lui dire qu’il lui manque 300 heures de stage, ce n’est pas logique

De plus, le système ne prend pas suffisamment en compte la fracture numérique présente chez les demandeurs d’équivalence. Toute la procédure se fait en ligne. Certains candidats à l’emploi ne possèdent pas d’ordinateur, tandis que d’autres craignent, par exemple, d’avoir mal scanné un document. S’ajoute à cela la compréhension des termes et des distinctions (CESS/baccalauréat, bachelier/licence, etc.) qui diffèrent selon les pays. Même ceux qui sont autonomes dans leurs démarches, doivent revenir plusieurs fois au CIRÉ pour s’assurer que tout est en ordre. À défaut d’un accès direct au service public, l’accompagnement devient la responsabilité des associations. 

Privilège ukrainien ?

C’est en Flandre, que Maria a fait sa demande d’équivalence en journalisme. Pourtant, elle rit quand nous lui demandons si elle rêve encore de travailler dans une rédaction. « Un jour, peut-être ». Elle l’a fait sans réelle conviction, pensant que ce diplôme lui servirait peut-être. « Il y a eu un moment, en 2022, où il y avait une personne dédiée aux dossiers ukrainiens. Mais aujourd’hui, on a décidé de mettre le public ukrainien parmi le reste du public », explique le CIRÉ. Chez BON cependant, un centre d’intégration flamand, une personne est toujours dédiée aux équivalences spécifiquement ukrainiennes. En Europe, la procédure est gratuite pour tous ceux qui ont le statut de réfugiés. 

Depuis 2023, l’Ukraine a rejoint le large réseau européen ENIC-NARIC, visant le partage d’information et la facilitation de la reconnaissance mutuelle de diplômes. L’ouverture d’un centre ENIC ukrainien a facilité le processus d’évaluation des diplômes en provenance d’Ukraine, à la différence de certains autres pays hors UE pour lesquels il est plus complexe de trouver des infos ou des relais, nous explique Céline Nicodème par mail, membre du service international de l’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle précise cependant qu’ « une procédure d’équivalence reste une procédure d’équivalence. En principe, elle ne fait pas d’exception en fonction de la nationalité du demandeur, comme stipulé dans la Convention de Lisbonne. » Cette convention signée en 1997 indique que toute demande de reconnaissance de qualifications prend exclusivement en compte les connaissances et aptitudes acquises. 

« Aujourd’hui, ce n’est pas une carrière ou de l’argent que je recherche. Je veux juste trouver un endroit où je me sentirais à l’aise et où je peux évoluer et non régresser », soupire Maria avant de quitter le centre des réfugiés. Ce souhait, l’Union européenne le partage. Pour qu’il se réalise pleinement en Belgique, le pays doit d’abord gérer ses méandres institutionnels.

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Marcel Habran : Une vie de parrain

lun, 20/01/2025 - 14:39
Portrait d’un gangster retraité

Photo : Pierrot Lespagnard

C’était l’époque des tontons flingueurs. Celle où se confondaient grands bandits et vedettes de cinéma. Un temps où les gangsters allaient boire des coups avec les inspecteurs, côtoyaient journalistes, stars et politiciens. On le compare au célèbre braqueur Jacques Mesrine ou à un personnage à la Gabin. Faut dire qu’il y a du jeu chez Habran, quelque chose de théâtral, du Audiard. « Aubergiste ! », s’interrompt-il en levant le bras, et aussitôt un serveur surgit avec deux verres de champagne. C’est son côté chef d’orchestre.  

© Pierrot Lespagnard

Pour rencontrer Habran, il faut avant tout compter sur un certain nombre d’éléments favorables, avancer doucement, à pas de loup. Il n’avait plus parlé à la presse depuis dix ans. Mais les planètes Habran se sont alignées, et après quelques tentatives infructueuses, celui-ci a finalement concédé un rendez-vous. Il y a six mois, nous nous sommes rencontrés dans une taverne de la région bruxelloise. Ce jour-là, il avait fait du “Habran” : Derrière ses lunettes au cadran doré, le regard scrutateur, il était arrivé, pile à l’heure, au volant d’un Saab cabriolet. Une table lui était réservée, le patron de l’établissement s’était empressé de venir lui serrer la main et d’échanger quelques politesses bien dosées. 

Il revenait tout juste de la salle de sport où il avait brûlé ses 500 calories quotidiennes, avant d’enfiler un jean, un bomber style aviateur et une paire de Reebok immaculées. Maître de cérémonie instinctif, il guidait la discussion avec l’assurance de celui qui ne laisse rien au hasard. Il aime parler de tout, mais il ne faut pas lui parler de tout, déteste Poutine autant que Trump et voterait PTB s’il n’avait pas perdu son droit de vote. Dans quelques jours, âmes sensibles s’abstenir, il ira s’émouvoir devant une représentation du Lac des Cygnes.

Le décor a aujourd’hui quelque peu changé : Habran reçoit à domicile. Il m’accueille à la porte de son logement social en périphérie bruxelloise. “Tu peux laisser ton vélo dehors, il ne craint rien, je te le garantis.” Puis me fait entrer dans son trois pièces on ne peut mieux ordonné, vintage fatalement, jonché de photos de lui et de ses proches, de natures mortes, du testament de son père, Marcel Bawin, résistant fusillé par les nazis en juillet 1944 à la Citadelle de Liège, qui fit désaveu de paternité. Un ami lui a récemment offert une caricature de lui-même signée Oli, encadrée, dont il n’est pas peu fier. Il a laissé une grande partie de la décoration que sa défunte épouse, Viviane Gilson, avait minutieusement orchestrée. Elle a toujours été à ses cotés, confie-t-il, et s’est donné la mort “parce qu’elle n’a pas supporté” la condamnation de son mari dans l’affaire du braquage d’un fourgon à Waremme.

J’aurais dû me mettre en cavale et revenir quand tout serait fini

Sur la table du salon s’amoncellent des piles de documents : archives de ses procès, articles de presse minutieusement surlignés, jugements rayés et annotés de sa propre plume. Une affaire en particulier semble le hanter : En 2009, Marcel Habran est reconnu coupable de l’attaque sanglante du fourgon de la Brink’s, en 1998, en tant que dirigeant d’une organisation criminelle, sans la circonstance aggravante de meurtre. Deux convoyeurs sont tués. Quinze ans de réclusion. C’est le dossier « Habran et consorts ». Sur vingt-et-une affaires, Habran ne comparaît que pour deux faits. 16 ans plus tard, il persiste à dire qu’il n’a pas participé au casse. Au courant qu’un hold-up se préparait, il aurait anticipé : « Comme je sais que Maréchal était un fou et qu’il tirait pour rien, ce jour-là, je vais à Florenville pour retirer deux mille balles, je fais des grimaces à la caméra, je fais mon loto et un plein. Cinq ans après, il n’y avait plus le film de la banque. » Film qui l’aurait disculpé, jure-t-il. Six mois de procès plus tard, il regrette de s’être soumis à la justice : « J’aurais dû me mettre en cavale et revenir quand tout serait fini. »

Cette affaire m’obsède”, lance-t-il. Dans ses notes personnelles, il qualifie sa condamnation d’une « escroquerie intellectuelle et judiciaire ». Depuis des années, Habran s’est lancé dans la rédaction d’un argumentaire visant à démontrer, selon lui, comment la justice l’a transformé en bouc émissaire. 

Mais il se dit sous la protection de la croix du Christ, suspendue au-dessus de la porte de sa chambre. Il raconte, d’un ton presque détaché, avoir aperçu la Vierge Marie un soir où il se rendait sur la tombe d’un ami. « C’est une histoire qui fait partie de ma vie, » lâche-t-il, comme une évidence. Une histoire qui, à bien y réfléchir, semble avoir nourri en lui des ambitions presque christiques.

Son avocat, Marc Uyttendaele, brosse un portrait saisissant : « C’est un homme qui a dû se construire seul, mais du mauvais côté du miroir. Pourtant, il a toujours eu le sentiment d’être en accord avec lui-même. » Une cohérence qui le définit autant qu’elle l’isole. 

« Pas d’autre chemin »

Né le 5 juin 1933 à Liège, Marcel Habran grandit dans la précarité, connaît la guerre. Il se souvient de la rue du Ruisseau, dans le quartier Saint-Léonard à Liège, où les Allemands lui donnaient du pain noir. Du missile V1 qui lui a perforé les tympans : « J’ai été sauvé par un sac de charbon. » Et de cet hôpital aménagé dans un tunnel où l’on croisait régulièrement la mort. « Je n’ai pas eu accès à une éducation ferme. Y a pas d’autre chemin. »

Il porte le nom de sa mère, femme souffrante qui a fait tout son possible pour s’occuper de ses quatre enfants. « Si j’avais eu un père derrière moi, ma vie aurait été différente. » Mauvais élève mais « rationnel », il quitte les bancs de l’école pour travailler chez le constructeur de Moto Gillet, à Herstal. À 14 ans, il entre ensuite comme machiniste à la FN Herstal. Habran a toujours cherché à gravir les échelons : « Son rêve est de faire partie d’un cénacle de gens respectables », glisse un flic qui l’a bien connu.

© Pierrot Lespagnard

À 19 ans, prémice d’un casier judiciaire long comme deux bras, il est incarcéré pour coups et blessures et vol de métaux. À sa sortie de prison, il entame son service militaire. C’est dans ces années-là qu’il devient père de Marcel, Henri puis Régine. En 1974, l’aîné meurt dans un accident de voiture. En 1984, Habran épouse Viviane, l’une des nombreuses femmes qui venaient lui rendre visite en prison.

L’obstacle, je le saute en liquidant

Actif dans le milieu de la prostitution, il doit sa réputation à la violence : « C’est un animal à sang froid », glisse un ancien officier de la police judiciaire. Vols, rébellion, détention d’armes et exploitation de la débauche, tout est bon pour asseoir son autorité. Gare à vous si vous êtes sur son chemin : « L’obstacle, je le saute en liquidant », ricane le gangster. On parle désormais de lui comme du chef. « Il structurait le milieu, on lui demandait l’autorisation pour faire des coups », se souvient l’enquêteur. Pour Habran, c’est une erreur sémantique : « On est des gens qui se connaissent et qui ont certaines compétences : avoir des couilles, ne pas balancer, être prudent. Et ces gens, quand ils ont un problème ou une histoire à faire, ils se disent : “Je demanderais bien à Marcel si ça l’intéresse”. On va passer à l’acte. Ça ne fait pas de nous une bande. C’est comme si je faisais appel à un plombier compétent et qu’il y en avait quatre qui se présentaient. Je prends les quatre parce que j’ai un chantier pour quatre. »

En 1974, l’année où son fils décède, il est condamné à dix-huit ans de prison pour l’attaque d’un fourgon à Schaerbeek dans laquelle un convoyeur est tué. Dorénavant, il dirigera de loin. « Pour des coups sophistiqués, Marcel était le meilleur, raconte notre enquêteur, il a formé tous les braqueurs de Liège entre les années 1990 et 2010. C’était le juge de paix du milieu. » On le cite alors dans plusieurs affaires de braquage, de fraudes, de trafic de voitures et de règlements de compte. « À un moment, on lui mettait tout sur le dos. C‘est pas pour ça qu’il ne faisait rien, affirme l’ancien policier, Son plus beau coup, c’est le carrousel à la TVA de vingt-cinq millions de francs belges. » Un pactole qu’il n’aurait jamais remboursé.

Entre 1960 et 1992, des rapports d’expertise le qualifient de psychopathe. Interné à l’hôpital psychiatrique après, explique-t-il, s’être « fait passer pour fou », il saute du troisième étage et s’enfuit en Allemagne avec une de ses maîtresses. « En Allemagne, les médecins m’ont dit qu’il fallait faire des radios de ma cheville. Quand je suis arrivé pour les faire, la police m’attendait. »

Ferrari, groupies et haute société

En 1986, il rachète des anciennes forges pour 40 millions de francs belges dans la commune française de Matton, à la frontière franco-belge en-dessous de Florenville. « On n’a jamais l’air nanti parce qu’on le cache », prétend-il, malgré la Ferrari, les œuvres d’art, les groupies et la salle de bain en marbre. Puis les premiers contacts avec la haute société : « Quand il a réussi à avoir beaucoup d’argent, il a commencé à fréquenter les plus hauts classés. Lors d’une audition, il est arrivé en me disant “ça doit aller vite, j’ai un drink chez une députée bruxelloise” », se souvient notre ancien policier. Chez d’autres enquêteurs, on raconte qu’Habran avait des « contacts privilégiés » dans la presse locale et dans la police.

« Quand on n’est pas né avec l’argent, on ne sait pas le gérer », regrette le retraité. S’il raconte avoir revendu sa propriété de Matton pour la moitié de sa valeur, Habran omet de préciser qu’il aurait cédé sa luxueuse demeure à une société offshore dont il serait le bénéficiaire économique. On raconte alors qu’il serait milliardaire en francs belges. Sur sa fortune, il ne s’étale pas : « C’est vrai que j’ai eu beaucoup d’argent. Je ne vais pas le chiffrer parce que c’est éblouissant. »

Le paradoxe Habran

En 1992, il est condamné à six ans de prison pour association de malfaiteurs. « Il s’entoure de gens qui n’ont pas peur, des bêtes humaines », souffle un policier. Il incarne ces truands qui savaient se rendre médiatiquement sympathiques : « Il faut éviter de tomber dans le romantisme mais il avait plus d’élégance que beaucoup de gangsters actuels », glisse son avocat Marc Uyttendaele. C’est le paradoxe Habran : il est capable du meilleur comme du pire, mais pour le pire, c’est lui le meilleur. Devant les médias comme devant la justice, « Tout ce qu’il dit présente une façade avenante, mais la réalité ne correspond pas », souligne un officier en charge du dossier. Rhétorique et persuasion, Habran aurait-il fait un bon politicien ? « Dans un premier temps oui, puis il se serait mis à liquider ses opposants », rigole le pandore. Une source bien placée affirme que la police aurait fait appel à lui pour obtenir des informations sur les tueries du Brabant.

La vie de truand a un prix : douze condamnations, 28 ans derrière les barreaux, des familles innocentes à jamais endeuillées. « Je n’essaye pas de me faire passer pour un innocent, j’ai mérité quatre ou cinq fois perpète, admet-il. Habran ne semble éprouver aucun remords. Aujourd’hui, il vit du revenu d’intégration sociale et est à la disposition du gouvernement. La justice est susceptible de le convoquer à tout moment pour bénéficier de son expertise. L’époque est révolue. On ne parlera plus jamais des gangsters comme on a parlé de Marcel Habran. 

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Découvrez l’interview exclusive de Marcel Habran pour Mammouth Media.

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Marcel Habran : Dans les coulisses du grand banditisme

lun, 20/01/2025 - 14:29
Entretien avec un ancien parrain

Photo : Pierrot Lespagnard

À 91 ans, le papy braqueur le plus connu du pays revient, un brin nostalgique, sur sa carrière de gangster. Douze condamnations, vingt-huit ans derrière les barreaux. Celui quon appelait le parrain na quun seul regret : ne pas avoir été un père présent. Dans un entretien exclusif qu’il accorde à Mammouth, il revient sur sa vie de braqueur, sans un mot pour ses victimes.

© Pierrot Lespagnard

Avant d’entrer dans ses confidences, découvrez le portrait de Marcel Habran qui retrace son parcours.

Y a-t-il un moment où lon se dit : « je vais entrer dans lillégalité » ?

Progressivement. Tu commences par faire des bêtises sans conséquence judiciaire…Une bagarre dans mon cas. Puis, tu te retrouves en prison avec des gens qui t’apprécient, qui voient que tu n’es pas un lèche-cul. Ces gens ont un autre pedigree que toi. Tu les revois, tu les fréquentes, tu apprends des choses et tu deviens finalement comme eux. C’est le danger de la prison… Malheureusement, elle n’est pas un centre d’éducation. Comme il n’y a plus de place, c’est totalement contre productif pour la société.

Quand décide-t-on de faire un casse ? Quand on na plus dargent ?

Au contraire, quand tu es à l’aise. Quand tu n’es pas obligé de courir pour avoir quelque chose qui demande du temps, de la réflexion. Si t’as faim, tu fais des bêtises. Si tu n’as pas faim, que t’as dix millions devant toi, t’as le temps de bien te préparer. C’est dans ces moments-là qu’on fait les meilleurs coups. Mais parfois, si une grosse affaire se présente, avec vingt millions à prendre, même si t’en as pas besoin dans l’immédiat, tu réfléchis à la possibilité : quoi, comment, avec qui ? Sur les grosses affaires, beaucoup touchent de l’argent, puis partent, dépensent, et tu ne les vois plus. Ils reviennent quand ils sont fauchés. C’est une mauvaise chose, car ils sont pressés.

Une personne de confiance, c’est un ami qui n’a pas besoin d’argent

Comment intègre-t-on une bande criminelle ?

Par réseautage. Comme je l’ai dit, tu vas “bêtement” en prison et tu rencontres des gens. En Belgique et en France, il y a de nombreux personnages intéressants dans ce milieu. Il est tout de même indispensable, pour les connaître,  d’avoir une certaine proximité, un peu d’amitié, du respect pour eux. Surtout, il faut savoir comment ils sont avec leurs femmes, si tout se passe bien dans le couple, s’ils leur parlent de leurs activités… On ne s’associe jamais avec quelqu’un qui raconte sa vie à son épouse. C’est difficile, mais il faut tout lui cacher. Sinon, elle devient complice, et le jour où il y a un problème dans le couple, elle menace de te balancer, même si elle peut aussi être poursuivie. 

Comment concilier une vie dans le crime, en marge du système, avec une existence ordinaire ?

Tu ne sors pas du système. Tu restes un bon citoyen dans la vie de tous les jours. Une attaque à main armée, ce n’est qu’une question de préparation, et l’attaque ne dure que quelques minutes. La vie continue de la même façon. Un escroc, ce n’est pas pareil… Il est aux abois tous les jours. Mais faire des attaques, c’est ponctuel. Il y a la préparation évidemment, mais en général, ce n’est pas stressant. Enfin si, parfois (rire). À part ça, la vie est normale.

La vie est normale, mais quand on est en cavale, quon achète une Ferrari et un château avec largent du crime, tout nest pas si évident ?

Ma maison, je l’ai achetée en France, et la France se foutait de savoir d’où provenait l’argent. Quand je l’ai vendue, je n’ai pas osé déposer l’argent sur mon compte. J’ai alors demandé à mon avocat de sommer l’acheteur de me payer via son compte CARPA (ndlr : Caisse des règlements pécuniaires des avocats). Mon avocat lui a mis la pression, et l’acheteur a in fine envoyé l’argent sur le compte de l’avocat. Et ce dernier a retiré l’argent pour me le donner. J’ai payé mon avocat 600 000 francs belges pour régler l’affaire. Pour trouver l’acheteur, j’avais donné 1 million de francs à un agent immobilier.Quant à  la Ferrari, elle ne heurtait pas mes voisins. J’avais un garage rue Winston Churchill à Liège. Les voitures n’étaient donc pas à mon nom. Cette Ferrari, je l’avais payée en liquide à Jupille. Je me souviens d’un gérant de car wash qui pensait que je venais plusieurs fois par jour pour nettoyer ma Ferrari. Ce qu’il ne savait pas, c’est que c’étaient des Ferraris différentes à chaque fois (rire).

Quand son argent vient du crime, comment passe-t-on sous les radars des autorités fiscales ? On le met à l’étranger ?

Même pas. Garder son argent, c’est un problème moins dangereux que d’aller le chercher, mais plus compliqué. Quand il s’agit de gros montants, tu te moques des intérêts en banque. Tu pouvais le mettre au Luxembourg avec un faux nom, mais c’était risqué. Le plus simple est de faire un trou dans un bois ou un cimetière. Tu confies l’info sur l’emplacement à une personne de confiance. Parce que si tu meurs ou qu’il t’arrive quelque chose, tu perds l’argent. 

Si quelqu’un à qui tu fais confiance touche ton argent, tu te retrouves dans le même danger que lors d’un braquage, parce que tu vas devoir le tuer

Il faut choisir quelqu’un de confiance. Comment fait-on ? 

Surtout pas ton épouse, parce que c’est une étrangère à mes yeux jusqu’à preuve du contraire. Pour moi, une personne de confiance, c’est un ami qui n’a pas besoin d’argent. Si quelqu’un à qui tu fais confiance touche ton argent, tu te retrouves dans le même danger que lors d’un braquage, parce que tu vas devoir le tuer. Pour éviter ça, je préférais donner 200 000 balles plutôt que de m’essouffler à courir après.

Donc, vous enquêtiez sur vos futurs associés ?

Pas besoin, tu le sens, tu vois les comportements. La difficulté, c’est que tu ne les fréquentes pas toujours. Mais en général, dans les équipes, il y en a deux qui sont très proches. Quand tu te retrouves dans l’action avec ton ami, ça soude les liens. Mais il ne faut pas oublier que les relations naissent dans un contexte où les gens, d’un point de vue moral, ne sont pas admirables. Moi, il y a des règles avec lesquelles je ne transige pas. Pas question de travailler avec quelqu’un qui bat sa femme, qui boit… Tu es certain qu’il y aura un couac.

Quest-ce que ça fait d’être connu pour sa carrière criminelle ?

Ça va de soi, ça fait partie du jeu. Je n’ai jamais eu de problèmes à cause de la notoriété.  Dans la rue, on m’interpelle parfois : « Monsieur Habran, je vous reconnais ! » C’est toujours très sympathique. Je ris, je ne dis rien. Comme je suis dans les fichiers de la police et, depuis ma condamnation pour le braquage de Waremme, à la disposition du gouvernement, on me contrôle quand je prends l’avion. À l’aéroport de Bierset, un policier m’a dit : « Pas la peine de me dire votre nom, je vous reconnais, je vous ai déjà arrêté. »

Avoir disposé de tant d’argent par le passé complique-t-il aujourd’hui la gestion d’un quotidien plus modeste ?

J’avais de l’argent, je ne me privais de rien. Ceci dit, l’argent part vite aussi. Tu es généreux : tu donnes, tu prêtes beaucoup. L’argent n’a plus de valeur, sauf quand tu n’en as plus. J’ai eu beaucoup d’argent, et aujourd’hui, je ne sais pas dépenser correctement. Je fais mal mes courses, j’achète toujours trop parce que j’ai eu l’habitude de dépenser facilement.

Vous avez passé un tiers de votre vie en prison. Y a-t-il réellement des avantages à vivre comme vous lavez fait ?

Au-delà du pognon, je n’avais aucun souci : il n’y avait pas de preuve, pas de témoin. Jusqu’au jour où on te balance. Tout repose sur la confiance. Mais à refaire, je ne changerais rien. Mon seul regret est de ne pas avoir pu vivre au quotidien avec mes enfants et de n’avoir pas eu accès à une éducation sérieuse. 

Propos recueillis par Pierrot Lespagnard

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Une identité juive fracturée

ven, 17/01/2025 - 12:03
Conversation avec Cora, juive et hostile à la colonisation israélienne

Crédit photo : Arri Faas

Née dans la campagne wallonne de parents juifs, Cora (1) est une militante lesbienne d’extrême-gauche. Entre héritage et engagement, elle se livre sur son parcours, tiraillé entre ses convictions politiques, son identité religieuse, et les dilemmes personnels qui en découlent. Profondément choquée par l’actualité récente en Israël, elle est décidée à ne pas y retourner, quitte à ne plus revoir sa famille. Une histoire intime, faite de fractures, de fierté et de lutte. Interview réalisée en octobre 2024.

Cora : Je suis une femme cis (2), lesbienne, juive, qui squatte. J’ai suivi une éducation très religieuse en Belgique, donc la communauté juive et la synagogue ont fait partie intégrante de mon quotidien en grandissant. Mes parents ont divorcé et j’ai grandi avec ma mère, dans des conditions difficiles, même si elle faisait ce qu’elle pouvait pour le cacher.

Arri : Tu as dit que tu squattais. Peux-tu m’en dire plus ?

C : Je squatte parce que se payer un logement à Bruxelles, c’est infaisable ; mais aussi parce que je veux partager un projet en communauté. Et parce que je ne veux pas enrichir un proprio.

A : Comment ta bisexualité s’est-elle articulée avec la religion ?

C : À 17 ans, je suis tombée amoureuse d’une fille, j’ai commencé à me faire percer et tatouer, et c’est comme si un mur s’était dressé peu à peu entre la synagogue et moi. Un jour, après shabbat (3), un proche m’a demandé si j’avais un amoureux. Ma mère a paniqué, elle a répondu que non. Ça m’a donné l’impression que ce n’était pas possible d’être moi. Maintenant, je vais à la synagogue seulement pour les fêtes, mais ça me manque. J’aimerais reprendre cette habitude. En plus, il y en a une queer-friendly près de chez moi, a priori pas trop raciste.

A : Qu’est-ce que tu veux dire ?

C : En général, les personnes qui fréquentent la synagogue sont assez sionistes – c’est-à-dire qu’elles reconnaissent le droit d’Israël à coloniser des terres et violenter des gens sur la base de la religion – militaristes, et souvent homophobes. Je n’ai pas de souvenir de discours ouvertement homophobe là-bas, mais il y a un sous-texte qui dit : « c’est mieux si tu ne l’es pas [homosexuel] ». Mais je pense que c’est d’autant plus facile pour moi de dire ça depuis le 7 octobre.

A : Qu’est-ce qui s’est passé pour toi, à cette date ?

C : Je me suis demandé comment j’allais faire pour revoir ma famille, parce que je ne peux pas y retourner. Les premières 24 heures, je n’avais pas de nouvelles. Je me suis beaucoup isolée. Aujourd’hui, même si ce n’est pas ma faute, je me sens coupable. Et je ne peux pas en parler avec ma mère. D’ailleurs on ne se parle plus. Juste après le 7 octobre, on s’est disputées au téléphone. On était allées chez une psy quelques fois, puis elle a vu des drapeaux palestiniens chez moi, et le lendemain elle mettait fin aux séances. Je pense que c’est dur pour elle, parce que je suis une déception sur tous les points : je suis lesbienne, squatteuse, de gauche, et en plus antisioniste.

A : Quel est ton rapport au sionisme ?

C : Si tu grandis à la synagogue, tu es sioniste. Il y a sûrement des exceptions, mais la règle, c’est ça. Les Palestiniens ne sont pas un sujet. Ce qu’on me disait en grandissant, c’est qu’on s’était installés en Israël après la Shoah, point.

A : Est-ce que tu as un exemple de ce genre de discours ?

C : C’est plutôt tout ce qu’on ne te dit pas qui est intéressant. À 21 ans, j’ai fait un voyage en Israël avec Taglit (4). Tout était offert : l’avion, les trajets à travers le pays, l’hôtel, les activités et les repas. Et l’armée t’escorte partout. On est allés à Tel Aviv, Jérusalem, le Mur des Lamentations, Yad Vashem, qui est le mémorial de la Shoah. Et le cimetière des soldats israéliens. On était accompagnés par deux soldats qui pleuraient sur les tombes de leurs potes, c’était très dur. Tout était organisé à l’avance, on ne choisissait pas les activités. Et à aucun moment on a parlé de la Palestine, du mur de séparation…

A : Quel était ton rapport à Israël ?

C : C’était juste aller visiter la famille. C’était anodin. Et puis j’y suis retournée il y a 3 ans, et c’était horrible. J’ai vu le racisme décomplexé des gens. Ici, le racisme existe bien sûr mais il y a une forme d’injonction morale. Ce n’est pas le cas en Israël. Je me souviens d’un jour chez ma marraine : j’allais dans la vieille ville à Jérusalem, c’est le dernier quartier arabe. Elle m’avait dit “tu ne peux pas y aller seule, tu vas te faire tuer”. Et une fois dans la médina, j’étais assise près de trois dames arabes qui vendaient des légumes sur des draps, et plus loin il y avait des soldats à un checkpoint. L’un d’eux a commencé à hurler sur elles en hébreu. Je ne comprenais pas ce qu’il disait mais il les poussait en rigolant alors qu’elles devaient avoir 80 ans. Elles sont parties comme elles pouvaient, avec leurs draps et leurs légumes. Ça m’a fait peur, mais je ne pouvais rien faire. Clairement, quand tu vois ça, tu fermes ta gueule.

A : Sinon quoi ?

C : Sinon ils t’arrêtent, et après tu ne sais pas ce qui se passe. Tu es sous contrôle permanent. Une fois, j’étais au téléphone dans la rue, et un soldat est venu me contrôler. C’est normal, là-bas.

A : Ce voyage a-t-il été un tournant pour toi ?

C : Oui, mais j’ai mis du temps à le comprendre. La politique de l’État israélien crée un rapport d’identité tellement fort que ça met longtemps à déconstruire. Personne ne peut y toucher. Le moindre truc qui ne va pas dans leur sens, ça bloque. Et c’est ce qui se passe pour ma mère. Pour elle, si tu critiques Israël, tu critiques l’identité juive, donc tu es antisémite.

A : C’est sur ce thème que vous vous disputiez, après le 7 octobre ?

C : Elle disait qu’Israël est aussi victime, que les gens vivent dans la peur à cause des alertes à la bombe. Elle met les deux sur le même plan. Mais elle était en Israël en décembre dernier, et elle m’envoyait des photos d’elle avec un cocktail au bord de la mer. C’est incomparable.

A : Tu milites contre la politique israélienne actuelle ?

C : Je ne milite pas. Je ne vais jamais aux manif’ pour la Palestine. Je me sens trop coupable. Si je m’engageais là-dedans, ce serait une fissure dans le lien avec ma mère et la communauté juive que je ne pourrais pas réparer. Je milite sur d’autres sujets, mais il y a certaines convictions que je ne peux pas mettre en actes, alors je reste en dehors de ça. En plus, je ne me sens pas en phase avec les gens qui militent pour la Palestine, parce qu’il y a un manque de nuance, avec des slogans comme : ”antisionisme n’est pas égal à antisémitisme”. Je sais que ça sert à contrer la rhétorique d’extrême-droite qui s’approprie la lutte contre l’antisémitisme, mais judaïsme et sionisme sont liés. C’est dans nos prières : le messie viendra quand tous les Juifs seront en Israël. Et toutes les personnes que je connais qui sont allées à l’école juive, qui ont des parents juifs, connaissent au moins une personne qui vit là-bas. D’où mon impression de faire partie du problème. Mais je ne peux pas en parler. C’est comme cette comparaison avec la Shoah. Je ne le dis pas mais ça ne me va pas du tout, parce que ce ne sont pas les mêmes mécanismes, la même organisation. Ce qui se passe en Palestine est un génocide, mais c’est pas du tout… là, je sens que j’ai été biberonnée à la Shoah. À l’époque, on arrêtait les Juifs, on les identifiait comme des pestiférés. Aujourd’hui en Israël, les Arabes sont identifiés et maltraités. Dans les deux cas, ce sont des mécanismes d’exclusion et d’éradication d’un peuple, mais pourquoi comparer ? Et en même temps, si je devais expliquer ma vision des choses à ma mère, je lui dirais que l’histoire des Juifs, c’est de se faire maltraiter par tout le monde pendant des générations. Et qu’est-ce qu’on est en train de faire ?

A : Pourquoi ne dis-tu pas que ces arguments militants te dérangent ?

C : Parce que j’ai peur d’être étiquetée sioniste. D’habitude, j’aime le côté bête et méchant de l’extrême-gauche. Ça me plaît d’être de mauvaise foi. Par exemple, quand on se faisait expulser d’un bâtiment en ruines, j’ai râlé, alors que toute la nuit je m’étais demandé quand ça allait s’écrouler. Mais vive le squat, nique l’expulsion (rires). Mais là, je ne veux pas de ce côté bête et méchant parce qu’il engage mon identité.

A : Est-ce que cela impacte ta vie, actuellement ?

C : Tout ce que fait Israël me fait peur, parce qu’il y a une montée de l’antisémitisme ici. Ma mère est identifiée comme juive dans son quartier près de Namur, et après le 7 octobre, des gens ont tagué une croix gammée sur sa porte, et ont essayé de brûler sa maison. Après ça, elle est partie en Israël dans l’idée de s’y installer. Ça arrive de plus en plus que des gens déménagent à cause de l’antisémitisme.

A : Donc tu dirais que ton sentiment de peur s’accentue ?

C : Oui, depuis que ça a commencé au Liban. Pas pour moi directement, mais de devoir commencer à réfléchir à ma sécurité. C’est aussi pour ça que je n’en parle pas dans les milieux militants. J’ai peur de l’amalgame “juive égale sioniste”. Quand je dis que je suis juive, que je suis allée en Israël, je sais que les gens se posent des questions sur mes positions, et ça me donne l’impression de devoir me justifier.

A : Qu’est-ce que tout ça implique dans ta vie à partir de maintenant ?

C : Un énorme tourbillon. Je ne sais pas quoi faire. J’ai peur d’aller en manif’ et de m’effondrer au sol. J’ai juste envie que tout s’arrête, mais j’ai aucun pouvoir là-dessus.

1 : prénom d’emprunt

2 : Abréviation de « cisgenre » : dont l’identité de genre correspond à celle assignée à la naissance (contraire de « transgenre »)

3 : Shabbat correspond au septième jour de la Création dans la religion juive, et se célèbre chaque samedi.

4 : Taglit-Birthright Israel est une association israélienne sans but lucratif qui offre des voyages en Israël à de jeunes adultes jusqu’à 26 ans, dans l’objectif de renforcer le lien entre l’État et la diaspora juive.

Propos recueillis par Arri Faas

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