Mammouth
Dysfonctionnement de la justice: l’État belge est-il coupable ?
L’auditoire du Janson, sur le campus de l’Université Libre de Bruxelles, accueillait le mercredi 19 mars au soir des professionnels de la justice pour un procès fictif “Justice contre État belge”. Fictif sur la forme, ce procès était bien réel sur le fond: il visait à dénoncer les dysfonctionnements, les manques de moyens et la lenteur de la justice ainsi que les nombreuses violations de l’État de droit.
Le plus grand auditoire de l’ULB était transformé, pour un soir, en salle d’audience. “Le spectacle va commencer, je vous souhaite agréable. La cour !” Sur ces paroles prononcées par l’organisatrice de l’événement, Manuella Cadelli, les magistrats, la présidente et le procureur du roi ont fait leur entrée, suivis des accusés et de leur avocat, sous les applaudissements du public qui ferait office de jury.
“Choisir entre une rame de papier ou du papier toilette« . C’est l’exemple donné par Audrey Lackner, représentante de la justice, pour dénoncer le manque de moyens dont souffre le système judiciaire belge. Toute la soirée, les intervenants se succèdent pour témoigner devant le jury. C’est au tour de l’État belge, représenté par Jacques Englebert, qui opte pour une défense sur le ton de l’humour. Sur le même ton, une magistrate suggère de recourir à un crowdfunding pour financer la justice!
Dans son introduction, la magistrate Manuela Cadelli avait rappelé que le monde judiciaire a lancé son cri d’alarme il y a dix ans. Jeudi 20 mars 2025 marque en effet le dixième anniversaire de la “Journée de la Justice”. Durant cette période, certaines choses ont changé mais beaucoup trop lentement tandis que d’autres ont empiré. Plusieurs grands noms du monde judiciaire belge, notamment Jean De Codt, ancien président de la Cour de Cassation, Laurence Massart, première présidente de la Cour d’Appel de Bruxelles, et Jean-Pierre Buyle, ancien bâtonnier, ont abondé dans cette direction.
Des témoins ont été appelés à la barre, comme l’expert en économie belge Bruno Colmant et le procureur du roi de Bruxelles Julien Moinil. Ce dernier a témoigné du burn-out dû au manque de personnel, du nombre démesuré de jugements non exécutés (le plus ancien datant de 2021) et des délais excessifs des jugements. Mais le témoignage qu’on retiendra le plus, c’est celui de Nathalie Penning : “quand la cour de cassation cassera, je serai grand-mère”. Une phrase choc qui dénonce les arriérés judiciaires et la durée insoutenable du jugement.
À l’issue de ce procès et des échanges avec le public, 509 personnes ont été amenées à voter simultanément pour rendre le verdict. Appelé à se prononcer sur la culpabilité de Justice et de l’État belge, le jury a rendu une décision sans ambiguïté: l’État belge est jugé coupable à 96% tandis que la Justice est déclarée innocente à 77,9%. Toujours sur un ton humoristique, Jacques Englebert, qui incarnait l’État belge, est venu en tendant les poignets auprès du procureur en signe d’accord avec la décision.
Une pétition remise à la ministre de la Justice
Au lendemain de cette fausse condamnation de l’État belge, une délégation de 7 acteurs clés du secteur judiciaire a été accueillie, dans le bureau de la nouvelle ministre de la Justice, Annelies Verlinden. Parmi eux, la bâtonnière de l’Ordre francophone des avocats du barreau de Bruxelles, Marie Dupont, le président d’Avocats.be Stéphane Gothot, le premier président de la Cour de cassation, Eric de Formanoir, ainsi que le procureur général de Bruxelles, Frédéric Van Leeuw.
Le but de cette rencontre : la remise en main propre d’une lettre qui tire la sonnette d’alarme en faveur d’une justice indépendante, démocratique, accessible, efficace et humaine.
“La justice n’est pas seulement la justice de la lutte contre le terrorisme, le grand banditisme, et le trafic de drogue. Tout ça est essentiel, (…) mais il y a aussi la justice de tous les jours”, a déclaré Eric de Formanoir à l’issue de la rencontre.
Les demandes pour remettre sur pied la justice belge n’ont pas changé en 10 ans : des moyens budgétaires suffisants, mais aussi une véritable réforme du secteur pour assurer une meilleure gestion de la Justice avec les moyens existants.
La lettre remise à la ministre Verlinden est d’ailleurs accessible en ligne au public, afin de récolter les signatures des citoyens, qui subissent aussi le manque de moyens. Stéphane Gothot explique: “Nous (les avocats) sommes tous les jours confrontés au désarroi de nos clients qui, dans ce qui est souvent l’affaire de leur vie, attendent une solution judiciaire dans un délai raisonnable et qui ne l’obtiennent pas« .
La ministre de la Justice a fait des promesses de collaboration avec le secteur. Les membres de la délégation se montrent relativement satisfaits, même s’ils restent conscients que la prudence est de mise dans le contexte actuel. A l’heure du refinancement de la Défense, celui de la Justice pourrait être moins prioritaire.
The post Dysfonctionnement de la justice: l’État belge est-il coupable ? appeared first on Mammouth Média.
L’appareil photo, outil de rencontre
Photo: Louise Joenen
De jeunes sœurs yéménites éclatent de rire dans les bras d’un couple palestinien accueillis au centre Fédasil de Spa. Un chef pâtissier guide les mains d’un apprenti en situation de handicap sur une poche à douille dans la boulangerie inclusive Farilu. Dans la salle commune d’une occupation temporaire, les habitant·es du Rockin Squat préparent un repas communautaire sur base de produits de récup’. Des hommes en quête d’un avenir meilleur se forment à l’informatique dans un centre d’urgence de la Plateforme citoyenne BelRefugees. Sous un parasol installé dans la véranda du centre de jour Atoll, des personnes âgées viennent rompre leur solitude en entamant une partie d’UNO…
Toutes ces scènes de vie ont été immortalisées par quatorze étudiant·es de Master 1 en Presse Info lors d’un atelier photo sur des tiers-lieux à visée sociale. Encadré·es par la photojournaliste Marie Tihon et leur professeur de photo Laurent Poma, ils et elles étaient chargé·es de mettre en lumière des espaces de solidarité et témoigner des liens qui s’y tissent. Les consignes étaient simples : produire un reportage avec une approche constructive qui raconte une histoire en une série de photos. Cela passe par le choix d’un tiers-lieu et d’un angle bien précis, ensuite par des repérages, des interviews et beaucoup d’observations en passant du temps sur le terrain. Une importance était particulièrement donnée à la démarche utilisée pour nouer des contacts, faire accepter la présence de l’appareil photo et créer des liens de confiance avec les personnes photographiées. Il suffit de jeter un œil à l’ensemble des productions des élèves pour se rendre compte que toustes ont réussi à sortir de leur zone de confort pour oser la véritable rencontre avec l’Autre. C’est avec brio qu’ils et elles ont pu s’immiscer dans des lieux de partage et rendre compte des bienfaits apportés par toutes les personnes qui font vivre ces structures. Les étudiant·es en ressortent plus riches de ces rencontres et ont désormais en leur possession un portfolio à proposer à des rédactions ou valoriser sur leurs réseaux.
Une sélection de ces projets sera diffusée en ligne tout au long des prochaines semaines sur Mammouth. Vous retrouverez des liens vers les reportages publiés ci-dessous:
- « A la maison » de Louise Joenen montre les liens humains joyeux qui se tissent a centre Fedasil de Spa
- « Un jour à la fois » de Matteo Andrianello raconte le quotidien doux et mélancolique des résident·es d’un home près de Nivelles.
- « 28 jours de répit » de Lilou Vanderheyden témoigne du séjour de migrants, venus des quatre coins du monde, dans un centre d’accueil d’urgence à Anderlecht
- « Après la nuit » d’Alexis Vercruysse nous emmène au Café Monde, à Louvain-La-Neuve, où des personnes en demande d’asile bénéficient d’un accueil de jour.
The post L’appareil photo, outil de rencontre appeared first on Mammouth Média.
Après la nuit
Il y a dix ans naissait à Bruxelles la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés, connue sous le nom de BELRefugees, en réponse à la mauvaise gestion de l’accueil des demandeurs d’asile en Belgique. Quelques années plus tard, en juin 2023, le Café Monde ouvrait ses portes à Louvain-La-Neuve.
Situé en plein centre, il offre aux migrants qui le souhaitent un espace pour souffler, se reposer, rigoler, jouer, discuter, se restaurer… après la nuit. Cet espace ouvert et solidaire privilégie la rencontre, la création de liens, le partage entre personnes de différentes cultures. Il est sans frontières. Anne-Catherine De Nève, coordinatrice de l’antenne du Brabant-Wallon de BelRefugees, se désole : « en Belgique, il existe bien peu d’initiatives pour pousser l’accueil des migrants au-delà de l’hébergement. » En créant le Café Monde, elle a voulu répondre à ce manquement.
Ici, les sourires rendent l’atmosphère agréable. La cuisine, partiellement élaborée à partir d’invendus de fruits, de légumes et de pain, dégage des odeurs de bien-être, de chez-soi. Le Café Monde n’a pas pour vocation de générer de profit. Il fonctionne selon un modèle de participation libre aux frais, tout le monde est le bienvenu, en contribuant selon ses moyens.
Au fil du temps, il est aussi devenu un lieu d’accompagnement social qui propose divers services : assistance sociale et juridique, cours de français et consultations psychologiques. Son fonctionnement repose sur l’engagement d’une quarantaine de bénévoles, épaulés par Anne-Catherine De Nève, seule salariée de l’équipe.
En somme, le Café Monde facilite les contacts entre des personnes présentes dans la région sans grande chance de se croiser : habitants du Brabant wallon, étudiants, sans-abri, migrants…
Dans ce petit lieu, de grandes histoires se croisent et de nombreux liens se créent.Les visiteurs et les bénévoles se reposent, jouent, mangent ou travaillent dans un même espace. Tout le monde a la même place, la même importance. Le Café compte une quarantaine de bénévoles. Deux à trois fois par semaine, Seleh fait partie de l’équipe. Ce matin, il va acheter les pommes qu’il manque pour faire son “quatre quart habituel”. Dans l’Esplanade, il n’hésite pas à se plaindre du nouveau gouvernement : “tout sera encore plus compliqué qu’avant”, confie-t-il.
Seleh est apatride, il vient de l’île d’Abumusa, entre les Émirats Arabes Unis et l’Iran. Cela fait six ans qu’il attend de recevoir des papiers. Youness est Soudanais, ici, il fait partie des meubles. Il participe au projet depuis ses débuts. Comme la plupart des bénévoles, il attend toujours ses papiers. Cela fait déjà trois ans. Chaque samedi, un repas de midi est prévu. Mille parfums s’entremêlent, les bénévoles profitent de l’occasion pour faire goûter les saveurs de leurs pays.
Au menu pour aujourd’hui : houmous, soupe de lentilles, geema et kolau. Tout est prêt à être servi, les clients n’ont plus qu’à arriver. Hibiki est étudiant à Tokyo. Il a profité des vacances d’été de là-bas pour faire du volontariat ici. Il voulait faire des rencontres, nouer des liens. C’est chose faite : le voilà maintenant membre de la grande famille internationale des bénévoles du Café Monde. Il a entendu parler de BelRefugees et du Café via une plateforme en ligne de programmes interculturels : AFS. Entre deux parties de dominos, Daniel se replonge dans son rôle de bénévole. En fond sonore : le bruit des dominos que ses amis continuent d’abattre sur la table de jeu. Pas de temps à perdre ! La musique berce le café dès l’heure d’ouverture. Les découvertes sont infinies, la playlist a des airs de tour du monde.
Il n’y pas d’âges pour franchir la porte de ce petit coin de paradis, ce petit espace de tranquillité. Il n’y a pas d’âges non plus pour faire des rencontres. Les jeux de l’armoire suffisent à faire le pas.
Tout se partage et se fait ensemble : les plats du samedi midi comme les activités féministes du jeudi soir. Au milieu de tout, les jeux de domino continuent de régner en maître sur les petites tables rondes.
Youness et Hibiki profitent du temps de midi des étudiants pour aller leur distribuer des tracts du Café Monde. “C’est bien pour l’exercice”, me dit Youness avant de faire les cent pas, hésitant, timide. Parmi les bénévoles, Bénédicte joue un rôle clé. Quelques fois par semaines, elle donne des cours de français pour débutants. Dans une toute petite pièce transformée en salle de classe se mélangent Érythréens, Gazaouis, Yéménites et Soudanais. Au programme : les voyelles, puis l’inspiration du moment et les envies de chacun prendront le relais. D’une pierre deux coups : pour certains, le cours de français est aussi un cours d’anglais. Apprendre deux langues en même temps ne facilite rien mais détend l’atmosphère, tout le monde participe, tout le monde s’entraide. Quelques élèves assistent au cours depuis longtemps, bientôt ils pourront rejoindre un cours d’un niveau supérieur. Mohammed reste le plus proche possible de chez lui, à Gaza. Son téléphone ne le quitte pas, sa famille et ses amis non plus. Quand il est n’est pas en appel, il me montre les photos de sa galerie : beaucoup de filles, beaucoup de selfies, et puis beaucoup de photos “pour se souvenir”. Sa ville transformée en champ de ruines, son père mort, son frère mort… Douze migrants partagent cette villa de Louvain-La-Neuve. Sous des airs heureux et une ambiance joviale se cache beaucoup d’inquiétude. “Qu’est ce que je ferai quand je devrai partir ?” demande Mommin, un Gazaoui qui n’est là que depuis la veille. Ici, les résidents ne sont que de passage, six semaines maximum. Au milieu de la foire des kots-à-projets de l’UCLouvain, Abad, un des habitants de la villa, arbore fièrement son drapeau. Avec les autres, il crie: “Free, Free Palestine !” Des passants leurs répondent en criant plus fort, et leurs sourires grandissent jusqu’aux oreilles. Il n’y a plus que de la fierté dans leurs yeux, et de l’espoir.
The post Après la nuit appeared first on Mammouth Média.
Matongé, hotspot à feu doux
Immersion dans une zone de trafic de drogue à Bruxelles.
Photo: M. Tavares (Flickr)
Depuis mars 2024, Matongé figure sur la liste des « hotspots », ces zones de surveillance renforcée mises en place pour répondre à la vague de fusillades qui secoue la capitale. Mais ici, le trafic se joue à l’ancienne, en pantoufles, à ciel ouvert. Comment le quartier s’adapte-t-il au label « hotspot » ?
Je pensais encore au coup de fil passé à ma mère, la veille au soir. Je tenais mon téléphone blotti entre mon épaule et ma joue, prostré devant la porte béante du lave-linge de ma colocation et de son affichage digital qui proposait une longue liste de choix de programmes de lavage qui me paraissaient tous aussi abscons les uns que les autres. Si un jour je quitte le monde moderne, ce sera sans hésitation à cause des menus des télécommandes et des règles de lavage des lessiveuses automatiques. Au téléphone, ma mère commençait à fatiguer. Après m’avoir rappelé de ne pas oublier de ramener mon linge en revenant à la maison, elle m’avait aiguillé sur deux-trois axes d’enquêtes allant de l’interview en caméra cachée du consommateur de beuh au témoignage d’habitants confrontés au fléau des trafics en tous genres. Je réfléchissais à ses propositions et je notais qu’en bonne madre qu’elle fut, sa fatigue ne l’avait pas étourdie au point de ne pas oublier le point de vue qui me paraissait le plus évident : celui du trafiquant. Mais voilà, je suis étudiant en journalisme. Qui suis-je pour jouer les Roberto Saviano ?
– N’oublie pas ton linge.
– Non maman, je n’oublierai pas.
T’enregistres ce qu’on dit avec ton casque ? Va à Clemenceau, y a rien ici
Je remontais la chaussée d’Ixelles, ce long ruban d’asphalte qui relie la porte de Namur, à la lisière du Pentagone, à la place Flagey. Arrivé à l’angle de la rue Francart, le soleil dégagea une large bande de lumière. Il m’avait semblé ne plus avoir fait si clair depuis plusieurs années et je dus poser ma main sur mon front pour apercevoir la couleur du feu pour piéton. Les poussières de l’hiver s’échappaient du sol et montaient vers le ciel. Je fronçais les sourcils, plongé dans la poussière et mes pensées. Au passage du 21 chaussée de Wavre, dans le quartier congolais de Matongé, à Bruxelles, presque arrivé à destination du nid que je partageais avec une bande de colocataires peu connaisseurs en programmation de machine à laver, en relevant la tête, un jeune type me lança une invitation : « t’en veux ? »
L’homme qui se dresse devant moi a la vingtaine. Debout devant lui, moi, mon sac banane et mon mulet, n’avons eu la présence d’esprit que de dire : « Nous allons vous paraitre bizarre mais nous sommes journalistes ». À ce jour, je m’interroge encore sur le pourquoi de l’utilisation de ce « nous ». Nous l’appellerons André. Il partage avec une dizaine d’autres l’entrée de la Galerie Matongé, celle à coté du Parking sous-terrain, à dix pas du cinéma Vendôme et à trente du H&M, dans laquelle, le 6 janvier 2025, la zone de police Bruxelles Capitale Ixelles a découvert 818 grammes de cannabis, 85 pacsons de cocaïne, 42 grammes de résine de cannabis, 4 pilules d’ecstasy, un spray au poivre, une arme de type airsoft, des munitions et une arme à feu avec chargeur. Cinq jour plus tard, le 11 janvier au soir, une patrouille de police qui effectuait des contrôles au croisement de la rue Francart et de la chaussée de Wavre s’est retrouvée encerclée par une quarantaine d’individus qui sortaient de la Galerie, et a eu recours au gaz lacrymogène « pour maintenir l’ordre », a déclaré la porte-parole de la police bruxelloise Ilse Van de Keere, avant de dresser plusieurs procès-verbaux pour rebellions et possession de drogue.
Il est 11h30. La route, étroite, est à sens unique. Des employés de bureau en costume, les yeux écarquillés, serrent leur téléphone contre l’oreille en esquivant les piétons. Une femme à vélo, sac en bandoulière et panier en osier à l’avant, se fraye un passage entre les voitures à l’arrêt. Des clientes encombrées de sacs de courses roses fluo estampillés Sarah Mode ou Jinny’s Hair & Beauty discutent, voix qui roulent les r et autres qui les avalent, en remontant le trottoir.
Acheter de la beuh en plein reportage, c’est un problème de déontologie ?
André tient un diffuseur Bluetooth haut comme un poney et partage sa playlist autotunée à une bonne centaine de commerçants fatigués. Un vieil homme avec un chapeau assis dans le salon de coiffure Matonna, premier commerce accessible depuis l’entrée de la Galerie, relève sa tête et soupire en observant la party, replonge ses yeux sur son téléphone. Il y lit peut-être, étourdi, que la commune d’Ixelles a introduit la veille une demande officielle pour élargir le périmètre du hotspot de Matongé à la Porte de Namur. « Cette mesure permettra de mieux surveiller les points de vente de stupéfiants et de sanctionner plus efficacement les infractions », promet le bourgmestre ixellois Romain De Reusme (PS). Ou cet homme au chapeau est-il tombé par hasard sur un post X de Georges-Louis Bouchez reprenant, à l’évocation des récentes fusillades à Anderlecht, les éléments de langages de l’extrême droite des années 1930, déclarant que « la vermine gangrène #Bruxelles. Le Gouvernement Arizona va prendre les mesures pour nettoyer les rues. »
Les « hotspots » sont ces mots à la mode que la presse rabâche depuis le début de la vague de fusillades qui ensanglante la capitale. L’ambition est de s’attaquer sans délai aux problèmes de trafics, de violences et surtout des règlements de compte à coups de Kalachnikov qui font tache jusque dans les colonnes du New-York Times et sur les antennes de CNN. En 2024, 89 fusillades ont eu lieues à Bruxelles, dont huit mortelles pour un total de neuf décès.
- Regardez aussi notre explainer sur les fusillades à Bruxelles
Dans ces zones, la vente et la consommation d’alcool sont interdites, la police peut faire des contrôles d’identité systématiques, faire percevoir immédiatement des amendes pour possession ou consommation de drogues, et saisir les objets qui facilitent la consommation.
André prend une gorgée de sa Gordon finest gold à 10% et s’assied sur une chaise de bureau en cuir à même le trottoir. Probablement intrigués par la durée inhabituelle de l’interaction, deux autres hommes du même âge s’approchent de moi. « Pourquoi t’es venu ici ? », me demande André, une fois bien installé.
– J’ai vu que Matongé était un « hotspot. »
– C’est quoi ça ?
– Les zones de trafic les plus chaudes de Bruxelles.
André se redresse, cale son dos contre le dossier de sa chaise et tourne la tête vers le groupe. Il annonce que je suis journaliste et que je travaille sur le narcotrafic. Un court silence s’installe. Tous me regardent. Je soutiens leurs regards un à un. Puis les questions fusent. « Pourquoi ici ? », « T’enregistres ce qu’on dit avec ton casque ? Va à Clemenceau, y a rien ici », balance un type, l’air excédé.
Le quartier de Clemenceau dont parle cet homme, à Anderlecht, est le théâtre d’une série de représailles entre gangs liés au trafic de drogue. Entre le 4 et le 7 février, quatre fusillades ont éclaté dans la capitale : une à Saint-Josse, trois à Anderlecht. La réponse politique ne s’est pas fait attendre. Le gouvernement Arizona, qui a annoncé un refinancement de 400 millions d’euros pour les fonctions régaliennes de l’État d’ici 2029, prévoit de passer à l’offensive. Parmi les mesures avancées : la déchéance de nationalité pour les binationaux impliqués dans le crime organisé, la fusion des six zones de police bruxelloises et un durcissement des peines pour les chefs de réseau. « Nous ne laisserons pas nos rues aux mains de bandes criminelles », déclarait la ministre de la Justice Annelies Verlinden le 7 février dans L’Écho. Tandis qu’une carte blanche signée par 28 acteurs de l’associatif bruxellois parmi lesquels Christopher Collin (DUNE), Edgar Szoc (Ligue des Droits humains), Stéphane Leclercq (Féda bxl), et Birger Blancke (Fédération BICO), s’opposait à la politique des hotspots, dénonçant une « stratégie au nom de laquelle le droit commun est suspendu et contribue à aggraver le sort des plus précaires », et concluant : « Pour affaiblir durablement le narcotrafic et ses nuisances, la priorité doit enfin être donnée à la santé publique et à des réponses concertées avec le secteur professionnel. »
Un autre gars me demande si je fume. « Prends un dix avant de poser des questions, c’est la moindre des choses. » Le groupe éclate de rire. Je repensais à mon linge et j’étais très pris par une idée qui ne me lâchait plus. Comment allais-je me débrouiller pour prendre le train avec une manne de linge et mon vieux sac sans perdre la moitié en route ?
André ne dit rien. Il me fixe, les bras croisés, puis me demande : « acheter de la beuh en plein reportage, c’est un problème de déontologie ? « Je cherche quoi répondre quand un autre gars sort de la galerie. André désigne immédiatement cet homme qui serre la main à toute la bande et me dit d’aller lui parler. Il a la trentaine, un bonnet bleu foncé, une parka noire et une sacoche en bandoulière. André me présente rapidement : je suis journaliste et… Le gars coupe André et me somme de poser toutes les questions qui me viendraient à l’esprit et insiste pour que je filme et enregistre ses propos.
Nous, on deale, on se fait prendre, on va en prison, on sort. C’est tout. Eux, ils sont libres mais devront rendre des comptes à Dieu
On l’appelle Pirate. Pirate a curieusement envie de parler. D’histoire, de politique, du Congo et de la Belgique. « Ils ont pillé notre pays et maintenant ils nous laissent crever. » Il navigue dans la galerie, connaît les moindres recoins. Soudain il décide de m’emmener avec lui pour une croisière sur un morceau de sa vie. C’est ici qu’il passe la plupart de son temps. Dans les rangées et les couloirs de la galerie commerciale qui s’étendent sous nos yeux. Notre embarcation temporaire parcourt les allées comme on descend un fleuve. Son fleuve à lui serpente entre le coiffeur du box 313, WE2B Hair, et trace une boucle parfaite. On y accède par la Chaussée d’Ixelles ou celle de Wavre, deux entrées qui se répondent et s’entrelacent. Un sifflement discret et, soudain, ceux qui traînaient dehors glissent vers l’intérieur. On avance et on sourit, on salue, généreusement, les personne alentours. Tout le monde se connaît ici, et personne ne doute une seconde du caractère illégal de son activité. Dans les yeux des personnes que nous croisons, je suis sans doute un client.
Au milieu de l’allée principale, entre les six salons de coiffure, sous les néons fatigués et sur le pavé jauni taché de Jupiler séchée, Pirate sort des petits paquets de sa sacoche, les glisse en douce dans la poche d’un passant, rigole et câline une cliente ou une revendeuse, reprend la conversation avec moi comme si de rien n’était. L’odeur de la beuh se mêle à celle des beignets frits du restaurant antillais Sous les tropiques. Il soupire, remet son bonnet en place. « Je joue le rôle de grand frère ici. Grand frère, ça veut dire tout : éducateur, formateur, médiateur, aide sociale, protecteur… Les types à l’entrée ont 19-20 ans, il faut leur apprendre ce qui est bien et mal. »
Pirate a vaguement entendu parler des hotspots. « On compare Matongé à Clémenceau, rigole-t-il, c’est complètement insensé. Il n’y a pas de fusillades ici. On survit simplement. Chacun fait son truc en indépendant, y a parfois quelques embrouilles mais y a pas de grosse organisation, pas de règlements de compte. Je lui demande si quelque chose a changé dans l’organisation du trafic depuis la mise en place de ces zones : « Rien. »
– Pas plus de difficultés ?
– Non. D’ailleurs, c’est bien hypocrite leur politique de hotspot. C’est le client qui vient vers nous, pas l’inverse. Et parmi les gens qu’on sert, y a des avocats, des mecs en costumes, des enfants de riches. Au dessus de ceux qui vendent des 10 balles comme moi, y a des gens qui vendent en plus gros, et je t’assure que ceux qui achètent au kilo sont les mêmes qui parlent d’insécurité. Si ils veulent régler le problème du trafic, ils ont qu’à s’attaquer au Port d’Anvers.
Sa réponse fait écho à ce que d’autres me diront par la suite : les rares personnes au courant de l’existence des hotspots assurent qu’ils n’ont eu aucun effet sur leur activité. Au bout d’une heure et demie de discussion, Pirate me fait poliment comprendre qu’il est temps pour moi de partir. À quelques mètres de la rue d’Édimbourg, un type sur le trottoir m’interpelle avec un « kssst », ce petit bruit de bouche qui signifie « viens voir » dans à peu près toutes les langues du commerce parallèle. Je lui explique que je ne suis pas un client potentiel. Il m’a vu parler à Pirate, s’apprêtait à prendre sa pause et me propose de le suivre jusque dans la Rue Longue Vie, aux abords du Snack Délice, où il s’arrête, s’assied sur un scooter et roule un joint. Il doit avoir une trentaine d’années, un jean, une veste grise et un foulard noir, et se présente en me disant qu’il n’a pas grand chose à perdre. C’est Bernard. Lui non plus n’avait jamais entendu parler de hotspot. « Tu ne te caches pas pour fumer ? »
– « Je ne me cache même pas pour vendre. De toutes façons, je n’ai que des factures, des dettes. Les vrais voleurs, ce sont les gens en costume cravate. Nous, on deal, on se fait prendre, on va en prison, on sort. C’est tout. Eux, ils sont libres mais devront rendre des comptes à Dieu », dit-il en rigolant.
On a peur que ça devienne comme Clemenceau
Bernard tire une dernière taffe, écrase son joint sous sa semelle, et reprend tout aussi impassible : « Ici, c’est le désordre. Et c’est bien mieux comme ça. Quand il y a des structures, comme à Anderlecht, que le trafic est organisé par des mafias, tu dois faire attention à tout. Quand les gens comprennent que c’est organisé, il suffit qu’une personne se fasse prendre et tout tombe. L’avantage, à Matongé, c’est que c’est presque pas organisé, donc c’est difficile de nous faire tomber. Ça n’empêche pas qu’il y ait de la solidarité entre nous. » Il s’éloigne en promettant de revenir plus tard. Je lui propose de l’accompagner. Il hésite, puis fixe l’heure du rendez-vous : 22h.
Je reviens pile à l’heure. Sous les lumières blafardes des enseignes qui crépitent, l’asphalte semble plus noir, plus dense. Les vitrines grillagées des boutiques sont autant de paupières mi-closes derrière lesquelles persistent des lueurs diffuses. Ça fume par grappes devant les salons de coiffure encore ouverts. Dans les rues adjacentes, des ombres bougent lentement, appuyées contre les murs. Je croise une habitante du quartier. Elle évite désormais de passer ici trop tard. « J’ai assisté à l’assassinat de Micha. Ils l’ont poignardé sous les yeux des passants. On a peur que ça devienne comme Clemenceau. » L’homme de 41 ans était décédé après avoir reçu plusieurs coups de couteau, chaussée de Wavre, le 18 juin vers 17h45. Plus loin, une autre femme, assise devant son salon de beauté, hausse les épaules en tirant sur sa cigarette. Elle rit en évoquant l’idée que Matongé soit classé hotspot. « Franchement, faut arrêter. On parle de quoi, ici ? On compare ça à Molenbeek ou à Clemenceau, mais Matongé, c’est pas ça. Il y a toujours eu du monde, toujours eu de l’animation. Y a du petit trafic, mais on ne se sent pas en danger. Le hotspot, c’est juste une excuse pour mettre plus de flics et rassurer ceux qui ne connaissent pas le quartier. Moi, je vois pas la différence. »
Bernard est appuyé contre un poteau là où je l’avais rencontré. Le shift a repris depuis une heure. Il m’explique qu’il a le luxe de choisir ses horaires, puis revient sur le sujet du hotspot sans que je n’aie à relancer la conversation : « J’ai repensé à ce délire du hotspot. Pourquoi ils ont donné un nom anglais à ce truc-là ? » Derrière lui, une berline noire ralentit et s’arrête quelques mètres plus loin, moteur allumé, phares éteints. Bernard jette un coup d’œil rapide, décroise les bras et s’approche. Une vitre descend à moitié. Il échange quelques mots à voix basse, glisse la main à l’intérieur, puis revient vers moi. À peine le temps de reprendre la conversation qu’un type en survêtement s’approche et tend la paume. Bernard sort une liasse froissée de sa poche, détache quelques billets et les lui donne sans attendre un merci. Un autre arrive, pose la même demande. Une voiture de police traverse la rue, ses phares balayent le trottoir. Cette fois, il soupire, compte les billets plus lentement.
The post Matongé, hotspot à feu doux appeared first on Mammouth Média.
Bruxelles sur le podium des fusillades, avec Naples et Marseille
Tu savais que Bruxelles occupe la deuxième place du classement des fusillades en Europe derrière Naples en 2024 ?
Depuis quelques temps, les attaques à l’arme automatique se sont multipliées dans la capitale. On te donne quelques explications pour mieux comprendre le phénomène.
Une publication partagée par @mammouth.media
The post Bruxelles sur le podium des fusillades, avec Naples et Marseille appeared first on Mammouth Média.
Au centre Fedasil de Spa, c’est comme à la maison
Crédit Photo : Louise Joenen
Chaque année, des dizaines de milliers de personnes demandent l’asile en Belgique. Nombreux passent d’abord par le centre d’observation du Petit Château à Bruxelles, un lieu où les évaluations sociales et médicales prennent place, et où la question du droit à l’accueil est tranchée. Mais ce n’est qu’une première étape. Les plus chanceux sont transférés au centre Fedasil à Spa, un ancien hôtel transformé en refuge pour ceux qui ont tout perdu.
Loin de l’agitation des grandes villes, ce centre isolé dans la nature offre une ambiance calme et paisible. Accueillant près de 450 demandeurs de protection internationale, il est un havre pour les familles, en particulier celles avec de jeunes enfants. Les murs blancs résonnent de leurs pas, les couloirs sont envahis de poussettes et de vélos, des symboles de la vie familiale qui reprend peu à peu ses droits.
Chaque jour raconte une nouvelle histoire, tissée entre les résidents, les travailleurs et les bénévoles. Dans ce lieu d’accueil, la solidarité se manifeste à chaque instant. Les familles Albayouk, Abdurrahman et Alameer ont noué des liens forts, leur permettant de tout doucement appeler ces murs blancs “maison”, et de considérer leurs voisins comme des membres de leur famille.
Awada, elle, a la bougeotte. Elle ne manque aucune activité et passe ses journées à courir d’un bâtiment à un autre pour papoter avec les travailleurs et les bénévoles. Elle connait le centre et ses environs comme sa poche. C’est à l’intérieur de ces murs blancs qu’elle se sent à la maison. Zayn a 6 mois. Il est né ici, en Belgique. C’est un peu le bébé de tout le monde au centre. Sa maman, Needa, fait entièrement confiance aux voisins. “Tout le monde l’appelle bébé qui pue parce qu’il a tout le temps du vomi sur lui” raconte Adwaa en riant. Assise sur un banc dans la cour du centre, Needa se perd dans ses photos de famille. Elle a dû laisser ses enfants là-bas, avec leur grand-mère. La plupart de ses frères, sœurs, nièces et neveux sont morts suite aux nombreux bombardements qui ont touché le pays. Sa famille lui manque énormément. Cela fait un an que les familles Abdurrahman et Alameer sont voisins au centre. Une année rythmée par une nouvelle naissance qui a beaucoup rapproché les deux familles. “Tu viendras nous voir dans la nouvelle maison ?” murmure la petite Adwaa. Ilham et Sara, les soeurs somaliennes, adorent commander des vêtements et ouvrir leurs colis avec leurs copines. Dans la chambre, ça part toujours en fou rires lors des essayages. “Tu viendras nous voir dans la nouvelle maison ?” murmure la petite Adwaa. La chambre des Yéménites est toujours bien animée. Du matin au soir, entre les copains des enfants, les parents du petit Zayn et les bénévoles, il y a du passage. “Comme on a beaucoup d’espaces verts, on a beaucoup de familles avec des enfants qui viennent ici.” Pierre-Yves, bénévole au centre Fédasil. Khadra et Ilham ont 15 ans. Elles se sont rencontrées au centre il y a un an et quatre mois et depuis, elles ne se lâchent plus. Des cuisines sont à disposition sur réservation. Cela permet à chacun de cuisiner librement dans un espace plus spacieux que les dortoirs. Souvent, les gens ne respectent pas ces horaires et Awada doit attendre longtemps avant de commencer à cuire, mais cela ne l’embête pas. C’est rare qu’il fasse beau, alors quand le soleil pointe le bout de son nez, tout le monde en profite pour faire sécher son linge sur la haie. Dans deux semaines, Awada et sa famille s’en vont. Ils ont trouvé une maison à Spa, ça veut dire qu’elle pourra toujours venir rendre visite à ses amis et aux travailleurs. C’est ça qui lui manquera le plus ici. Dans le hall d’entrée, ses pleurs se font entendre. Faten, arrivée au centre avec ses trois enfants il y a deux semaines, s’autoproclame maman de tout le monde. Quand elle voit que quelqu’un est seul au centre, elle l’accueille toujours à sa table. “If you are alone, no problem ! I say come to mama!” crie-t-elle le sourire aux lèvres. Cette mentalité lui a permis de se rapprocher de beaucoup de personnes en très peu de temps. Ahmad, 30 ans, se sent bien ici. Cela n’a pas toujours été le cas. Après avoir quitté la Syrie il y a quelques années, il a vécu en Roumanie avant d’arriver en Belgique. Il lui a ensuite fallu vivre plusieurs mois à la rue avant d’être accepté dans le centre. Il fait partie des “enfants recueillis” de Faten, avec qui il partage de nombreuses chichas sur sa terrasse. Il adore passer du temps avec Nutella, la plus jeune fille. Faten et ses enfants, palestiniens ayant vécu toute leur vie à Dubaï, sont arrivés il y a deux semaines. Ce jour là elle célébrait les 16 ans de sa fille Retal. “C’est ennuyant de rester dans sa chambre, il faut profiter de l’extérieur et des espaces qui sont à disposition, c’est pour ça qu’on a demandé à organiser une fête ici” raconte-elle en découpant le gâteau.The post Au centre Fedasil de Spa, c’est comme à la maison appeared first on Mammouth Média.
Un jour à la fois
Photo: Matteo Andrianello
Que se passe-t-il dans la vie d’une personne âgée ? Souvent, les réponses à cette question sont accompagnées d’un désintérêt, comme si, passé un certain âge, nous devions tomber dans l’oubli. Dès lors, que devient-on quand on a déjà été ?
Aux Bons Villers, situés entre Charleroi et Nivelles, la Résidence-service Champ de Saucy offre aux personnes âgées la possibilité de s’alléger des tâches du quotidien tout en conservant une certaine autonomie. Ces séniors qui composent les 27 appartements de la résidence ont entre 70 ans et 90 ans. Comme le confie Christiane : “ ici, on prend les jours un à la fois.” Dans ce lieu, on se crée de nouvelles habitudes et on vit au jour le jour avec les difficultés que nos ainés doivent affronter. Tout cela, en renouant avec une sociabilité parfois mise à mal à cet âge.
La résidence trône dans une rue calme composée de quelque habitations. Le premier supermarché se trouve à 20 minutes à pieds. La salle à manger est le principal lieu de vie de la maison. Elle accueil les repas du midi et les différentes activités. Françoise écrit chaque jour le menu qu’elle s’amuse à disposer sur les tables. Claudine mange seule car elle ne supporte pas le bruit. Elle en profite pour lire la presse locale, toujours très attachée à sa ville natale de Phillipeville. En arrivant au dîner, ceux qui se déplacent à l’aide d’un déambulateur le laissent à l’entrée de la pièce. Florent possède une collection de plus de 300 CD qu’il a mit a disposition de tous. Autoproclamé DJ de la résidence, il se lève de sa chaise à chaque repas pour mettre de la musique. Les appartements sont décorés selon les goûts de chacun offrant aux résidents l’opportunité de se sentir complètement chez eux. Clément à pratiqué l’équitation pendant plus de 40 ans et a conservé bon nombre de souvenirs. Depuis sept ans à la résidence, Clément a accroché des photos des anciens résidents qu’il a côtoyé et qui sont décédés. “J’ai eu une opération à cœur ouvert à Mont-Godinne.” Le passé de Georges ne l’empêche pas d’aller marcher tous les matins, seule une météo capricieuse pouvant le faire rentrer plus tôt. François, lui aussi, est un adepte de la marche. Entre le potage et le plat, il se remémore avec Georges un parcours au Portugal. Pendant les heures creuses, les couloirs ne sont animés que par quelques promenades de résidents et les va-et-vient du personnel. Lorsque certains décident de se promener, la destination est souvent la porte d’entrée pour aller prendre l’air, comme ici avec Yvette (à gauche) et Josette (à droite). Les jours où la coiffeuse est là, le salon de coiffure, situé dans l’un des couloirs du rez-de-chaussée, devient un lieu très prisé. Josette, Marie-Louise et Lisette (de gauche à droite) se sont rencontrées dans la résidence et forment un trio qui ne loupe quasiment aucune activité, l’occasion de passer de bons moments ensemble. À chaque atelier tricot, Lisette, qui ne sait pas tricoter, apporte l’eau et le café pour ses copines. La résidence se décore en l’honneur des fêtes du calendrier. Elle se prépare dès à présent pour le Carnaval, qui arrive dans quelques jours.The post Un jour à la fois appeared first on Mammouth Média.
Arsène Burny, une vie passionnée et passionnante
Photo : Charlotte Simon
« J’ai toujours gardé l’amour des premières expériences scientifiques ». À 91 ans, Arsène Burny continue de mener une vie riche de découvertes et de dévouement. Chercheur, professeur et ancien président du Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS), il a consacré sa carrière à la science et à l’éducation. Dans cet entretien, il revient sur son parcours et ses combats pour la recherche.
Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir chercheur ?Tout petit, je voulais comprendre les choses qui m’entouraient. J’étais fils d’agriculteur. Ma motivation était alors de comprendre ce qu’il se passait dans les champs de mes parents quand on les ensemençait en septembre, octobre, pourquoi en cas de gel, en hiver, tout mourait…
Durant votre carrière, y-a-t ’il une découverte dont vous êtes particulièrement fier ?J’ai toujours gardé l’amour des premières expériences scientifiques que j’ai faites avec un collègue. Nous avions découvert le premier ARN messager. Il s’agit d’une molécule qui copie les instructions contenues dans l’ADN pour les transporter jusqu’aux « usines » » de la cellule, où elles sont utilisées pour fabriquer des protéines. À l’époque, mon collègue et moi étions deux jeunes chercheurs à l’Université de Bruxelles. Ensemble, nous sommes entrés dans le détail de la biologie moléculaire en isolant ce « messager », en allant du très vaste au très précis. Nous étions les premiers, au monde, à réussir à isoler cette molécule si importante.
Quelles aptitudes sont essentielles pour un chercheur ?Les qualités requises aujourd’hui pour un chercheur sont les mêmes que celles attendues depuis toujours. C’est la persévérance, le courage, la lucidité et l’intelligence évidemment. Le fait de ne pas se décourager fût vrai en tout temps et est encore vrai aujourd’hui. Il faut toujours se dire : « j’ai raté, où est-ce que ça a pu clocher ? » Cela permet d’identifier tous les endroits où le chercheur n’a pas fait attention. En recherche, de telles situations se produisent assez fréquemment. La nouvelle génération est très impressionnante, notamment grâce aux moyens dont elle dispose aujourd’hui par comparaison à ceux que j’ai connus.
Vous parlez de persévérance, avez-vous le souvenir d’un moment où elle a payé ?La persévérance a payé de multiples fois, parce qu’il ne faut pas s’imaginer le métier de chercheur comme étant facile, où on ne reçoit pas des gifles fréquemment. On se dit : « oh, voilà une molécule qui a l’air très intéressante ». On pense mettre la main sur un lingot d’or, et en fait, le lingot d’or se transforme en lingot d’argent ou d’argile. Il est important de rappeler aux jeunes chercheurs que la recherche fonctionne ainsi : des moments de grande réussite, comparables à des pics étroits qui montent très haut, suivis d’une déception. Cela fait partie du métier.
Il reste énormément à faire.
Arsène Burny Vous êtes aussi une figure incontournable du Télévie. Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure caritative et télévisuelle ?En 1988, Jean-Charles De Keyser qui présentait le journal de RTL vient au Fonds National de la Recherche Scientifique, où un peu par hasard, j’y avais remplacé mon patron qui terminait sa carrière. Je suis ainsi devenu vice-président d’une commission de cancérologie. Je me souviens encore des paroles de Jean-Charles. « Je deviens directeur général d’une compagnie de télévision qui s’installe en Belgique francophone. Je cherche une émission qui soit populaire mais intelligente. Je ne veux pas un truc qui abrutisse les gens. Avez-vous une idée pour moi ? ». Un ministre nous dit alors : « une émission sur la recherche scientifique, ça n’intéresse personne ». De Keyser lui répond : « oui, mais ce qu’on n’a pas fait, c’est le faire savoir. Il faut non seulement faire les choses, il faut aussi les faire savoir. Nous, compagnie de télévision, nous allons les faire savoir ». En décembre 1988, la décision est prise de lancer le Télévie en avril 1989. C’est ainsi que, depuis 35 ans, je suis impliqué dans cette aventure.
Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles.
Arsène Burny Pourquoi la diffusion des connaissances scientifiques au grand public est-elle toujours essentielle aujourd’hui ?Parce qu’il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles. Il est essentiel de s’adresser à eux dans un langage qu’ils comprennent. Sinon, ils se disent : « c’est un type qui veut nous faire croire quelque chose ». Toutes les disciplines sont explicables à condition de les maîtriser. Utiliser un langage simple et compréhensible par ton interlocuteur est indispensable, sinon tu perds ton temps.
Si vous deviez recommencer votre carrière, feriez-vous les choses différemment ?Non, je pense que je ferais la même chose. Je pense ne pas avoir perdu mon temps à faire des études d’ingénieur agronome. Ce parcours m’a donné une vue très vaste de beaucoup de problèmes.
Quels sont les aspects de votre travail qui vous enthousiasment toujours ?Aujourd’hui, j’ai 91 ans. Je ne suis plus capable de travailler en laboratoire, de demander de l’argent à qui que ce soit. D’ailleurs, je ne recevrais rien car on me dirait que je suis trop vieux (rires). Alors qu’aux États-Unis, à 80 ans, tu peux solliciter des fonds auprès du National Institute of Health et tu en obtiens. Si ton projet est solide, personne ne te demande ton âge, ils s’en moquent. Ainsi, aujourd’hui, je me consacre à la lecture des meilleures revues scientifiques. J’analyse les informations essentielles que j’envoie ensuite à mes contacts travaillant au Télévie, qui disposent de bien moins de temps que moi pour se tenir informés des avancées dans le domaine. Or, il est crucial de rester informé pour ne pas prendre des directions qui manifestement ne sont pas bonnes.
Vous n’avez pas envie de prendre votre retraite ?Non, non ! Il y a des tas de choses qu’on ne maîtrise pas. La médecine est pleine de maladies contre lesquelles on ne sait pas faire grand-chose, de cancers qui sont encore mortels. Quand un médecin vous dit que vous avez une tumeur du cerveau, dans 9 cas sur 10, c’est mortel. Il reste énormément à faire.
The post Arsène Burny, une vie passionnée et passionnante appeared first on Mammouth Média.
Comment le cinéma représente l’intelligence artificielle
Metropolis, 2001Odyssée de l’Espace, Blade runner, Terminator, Matrix, Her, Battlestar Galactica… le cinéma et les séries ont depuis longtemps montré des robots et des intelligences artificielles. Comment ces représentations ont-elles évolué au fil du temps ? On vous explique dans notre podcast.
The post Comment le cinéma représente l’intelligence artificielle appeared first on Mammouth Média.