Être journaliste en Europe aujourd'hui, retour sur la première édition des Assises Européennes du Journalisme

07.12.2022
Le point de vue de Nordine Nabili, journaliste et président du Master en Presse-Info, suite à la 1ère édition des Assises Européennes du Journalisme de Bruxelles, qui s’est tenue du 23 au 25 novembre.

L’IHECS a co-organisé la première édition des Assises Européennes du Journalisme de Bruxelles, avec l’association Journalisme & Citoyenneté, pour réunir les professionnels de l’information des 27 pays membres de l’Union européenne. Ce rendez-vous n’existait pas dans l’agenda de la profession. Le millier de participants et les nombreux partenaires européens engagés dans ce projet illustrent bien l’intérêt et la pertinence de réfléchir ensemble à l’avenir de notre profession. Nous avons réuni des représentants des 27 pays de l’UE, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, issus du monde médiatique, économique, institutionnel, académique ou culturel. Ils sont venus, entre autres, d’Estonie, de Slovénie, du Danemark, de Pologne, de Hongrie, de Tchéquie, de Chypre, de Croatie ou d’Espagne…. toutes et tous, ont parlé une seule langue : le journalisme.

Nous avons respecté un cahier des charges strictes, faisant une large place à la diversité et à la parité des intervenants, pour débattre librement de tous les sujets, sans pathos et sans hystérie. Désormais, le journalisme européen aura sa biennale à Bruxelles. Nous nous engageons à organiser la deuxième édition des Assises en 2024. 

Cette première édition est un parti pris. Nous croyons à l’Europe, continent de paix et de progrès pour ses citoyens. Nous croyons aussi que la production et la diffusion d’une information libre et indépendante est un levier essentiel du projet politique de l’Union européenne. 

Ce rendez-vous a été l’occasion de confronter la profession à la société civile, au monde académique, institutionnel et économique et aux formidables défis des développements technologiques en cours. La richesse et la qualité des débats, ainsi que la présence assidue et nombreuse des participants, en font, incontestablement, un succès remarquable.

On dit du journalisme qu’il n’a pas le vent en poupe. Qu’il aurait mauvaise presse ! L’effervescence de ces deux journées à Bruxelles, montre que nous n’avons pas dit, ni écrit, notre dernier mot. Nous défendrons toujours un journalisme en connexion avec son époque, conscient des enjeux politiques et des mutations de la société. Un journalisme au cœur de la réalité de nos sociétés pour produire des vérités de fait documentées, pour éclairer et nourrir le débat public. 

Nous le savons, en Europe et ailleurs, un certain nombre de nos consœurs et de nos confrères, font face à la violence, aux pressions politiques et économiques, pour informer et décrire l’état du monde. Nous exigeons le respect de l’Article 11 de de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui stipule que « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières ». 

Aujourd’hui, au cœur de l’Europe, des journalistes sont les cibles de poursuites stratégiques appelées « poursuites-bâillons » souvent désignées par l’acronyme anglais « SLAPP ». Nous rappelons que la liberté d’expression est un droit cher aux Européens. Nous appelons les responsables politiques européens à ne pas faire la sourde oreille ou à détourner la tête devant ces manquements aux droits de l’Homme.

Nous avons consacré une soirée spéciale au travail extraordinaire des reporters de guerre en Ukraine. Qu’ils soient remerciés et soutenus. Ils sont l’honneur de notre métier. Leur courage et leur abnégation nous démontrent à quel point les chemins de la liberté sont pavés de dangers. Chaque année, des journalistes tombent sous les balles, sont emprisonnés ou pris en otage. Ces drames sont une contribution, onéreuse mais inestimable, de notre profession au développement démocratique de nos sociétés. Nous demandons aux pouvoirs publics d’agir pour faire libérer les journalistes emprisonnés ou actuellement pris en otage. Nous exigeons la protection, physique et en ligne, des journalistes dans le cadre de leur mission.

Nous avons aussi débattu sur le quotidien de nos rédactions ici en Europe. Les particularités locales, les points communs, les retours d’expériences. Les problèmes des uns, les solutions des autres. Il y a un dénominateur commun : la profession est en mouvement ! La réussite de nos entreprises de presse dépend de l'engagement de nos publics, de l'investissement et du professionnalisme de nos équipes, mais aussi et surtout, des modèles économiques pérennes qui garantissent notre indépendance. Nous avons soulevé ces réflexions lors du débat sur le Média Freedom Act. Nous devons protéger la profession des prédations en cours. 

Partout en Europe, des expériences voient le jour, les nouvelles générations réinventent les pratiques, les progrès techniques ouvrent d’autres perspectives, les rapports à l’audience changent, un journalisme de solutions et de constructions s’installe au sein des rédactions. Les modèles économiques évoluent, de nouveaux acteurs prennent place pour consolider les projets. Bref, le journalisme, comme toutes les professions, s’adapte à son époque, sans oublier ses fondamentaux.

L’époque est à la profusion de fausses informations, les opinions deviennent des vérités, la nuance et le doute sont chahutés par des certitudes et des injonctions. Le rôle du journaliste s’en trouve encore plus important, car soucieux de publier des informations vérifiées et vérifiables, c’est une des garanties indispensables pour forger la confiance des publics. C’est un des éléments à retenir du traitement éditorial de la pandémie du Covid-19. Nous pensons que notre rôle, plus que jamais, est d’apporter chaque jour une information fiable, labélisée, basée sur des faits et de l'expertise à travers des analyses approfondies.

Nous alertons la profession que nos rédactions doivent refléter la réalité de nos sociétés, être hétérogènes. Il nous faut davantage faire confiance aux nouvelles générations. Nous devons ouvrir les portes de nos rédactions aux nouveaux visages de la société européenne. Nous devons, aussi, faire peser la voix de toutes les minorités dans le débat public et de leur donner plus de visibilité. Nous devons combattre le sexisme et le harcèlement dans nos médias. Le traitement des questions du climat exige un réel engagement. Il faut continuer d’élargir les cercles pour jouer un rôle modèle dans la société.

Enfin, il s’agit de poursuivre nos luttes pour la liberté d’expression, la liberté de publier, la liberté d’informer, en toute transparence et indépendance, pour une information toujours plus accessible aux citoyens européens. Parce que L’information est un bien public. 

Photos : Be Culture