In memoriam Alphonse LEGROS-COLLARD

25.11.2022
Nous apprenons avec tristesse le décès du professeur Alphonse Legros-Collard, survenu dans la nuit du 24 novembre 2022.

 

Alphonse, c’est une vie au service de la photographie et de l’IHECS. Avec lui disparaît un acteur-clé de la création de l’école en 1958, mais aussi l’image d’un professeur, d’un collège, d’un théoricien et praticien de la photo, d’un mélomane averti, d’un ami. Portrait en forme d’hommage de cette figure marquante de la vie ihecsienne. Ses funérailles auront lieu ce mardi 29 novembre à 9h30 au Crématorium d'Uccle - 61 Avenue du Silence, 1180 UCCLE.

 

Le co-fondateur

Davantage qu’un proche, Alphonse Legros-Collard fut le confident du Frère Maxime-André Rossion lorsqu’il s’est agi de créer l’IHECS en 1958. Très tôt, leurs chemins se croisent. Alors élève à l’Institut Saint-Joseph de Carlsbourg, le jeune Alphonse fait pour la première fois la rencontre du Frère Maxime-André (Max, pour les intimes), qui en est le directeur. Alphonse entre ensuite à l’École normale du même Institut et se prépare à devenir instituteur primaire. Il en sort diplômé en 1947. Mais il y développe surtout ce qui n’est alors qu’une passion : la photographie. Habile aussi de ses mains, il construit avec un amis prêtre un agrandisseur de photographie, dont la fabrication requiert, on le sait, une grande précision.

Après un court passage au service de l’éducation d’enfants déficients, Alphonse entre comme instituteur primaire à Saint-Thomas à Liège. Sur ces entrefaites, le frère Maxime-André est désigné comme directeur de l’École Saint-Luc à Liège, réputée pour ses sections d’architecture, de peinture et de sculpture. Le Frère Rossion, toujours en phase avec son temps, veut innover et crée une section de photographie. Il se met en quête d’un collaborateur compétent et fiable. Alphonse est aussitôt approché et engagé comme... secrétaire. Alphonse accepte ; cela fait provisoirement l’affaire. Son travail de secrétaire du directeur, qu’il accomplit durant deux années, ne l’empêche pas d’entretenir sa passion pour la photo. Mieux, le milieu artistique de Saint-Luc est propice. Il y crée un Club de photo dans une cave, avec pour tout matériel un agrandisseur et trois cuvettes. La chose n’échappe pas à l’attention du directeur Rossion, qui lui propose de suivre une formation professionnelle à la photographie. Ensemble, ils se mettent en quête d’une école de renom. Après avoir visité celle de la rue de Vaugirard à Paris, l’école de photographie et de cinéma de Veuvey en Suisse, leur dévolu tombe sur la Fachhochschule de Cologne, plus proche, où Alphonse se rend tous les quinze jours pendant deux ans. Ce faisant, le Club de photo se mue progressivement en programme de cours, au point qu’Alphonse abandonne après deux ans son poste de secrétaire pour se consacrer à temps plein à l’enseignement de la photographie. L’école de photo est désormais sur les rails à St-Luc Liège.

Quelques années passent. Le frère Maxime-André Rossion est « muté » à la direction de l’École Saint-Luc, mais à Tournai cette fois. Les chemins du frère Maxime et d’Alphonse Legros-Collard se croisent à nouveau, sans rien devoir au hasard. Alphonse se voit d’abord proposer de développer à Tournai un enseignement de la photographie sur le modèle liégeois. Un événement va toutefois infléchir ce projet. Le frère Max est allé aux États-Unis et en est revenu avec des idées neuves sur ce qu’il convient désormais de faire en matière de formation à la communication. « La photo, ce n’est pas assez, clame-t-il avec assurance, il faut former à tous les médias ! ». Ce n’est donc pas d’une école de photographie sur le modèle liégeois dont on a besoin, mais d’un centre de formation aux médias sur le modèle américain. Les bases de l’IHECS sont jetées. Alphonse s’enthousiasme pour l’idée et oriente ses propres cours vers la photo de presse et le photoreportage. Il met au point des séances de cours alliant diapositives en couleur, en fondu-enchaîné, projetées sur grand écran de cinéma et accompagnées de musique. C’est tour à tour des portraits de grands photographes, les principes du langage et la grammaire de la photographie qui sont enseignés au travers de ces supports, au grand ravissement des étudiants. Alphonse Legros-Collard ne tardera pas à s’imposer comme un expert et un fin pédagogue de la photographie. Ses collègues de l’IHECS (appelé encore à l’époque École Supérieure des techniques de diffusion) se nomment Robert Delieu (homme de radio et poète), Jacques Desnerck (directeur du Courrier de l’Escaut), Bernard Taufour (directeur des Cahiers du cinéma), André Cavens (cinéaste), Michel Lemaire (programmateur, présentateur, animateur et producteur à la RTBF), Claude Michiels (réalisateur), André Soupart (photographe).

Plus tard, c’est encore Alphonse Legros-Collard que l’on retrouve à la manœuvre quand il s’agit de trouver pour l’IHECS de nouveaux locaux : en 1984 lorsque l’Institut quitte Ramegnies-Chin pour s’installer sur le campus des FuCAM à Mons ; mais plus encore en 1989, lorsque l’IHECS prend définitivement ses quartiers à Bruxelles. Alphonse, qui connaît bien la capitale, reçoit la mission délicate de trouver un bâtiment susceptible d’accueillir l’IHECS. Ses investigations le mènent dans des lieux tels que le complexe « Moraine » de la rue de la Victoire, l’immeuble « Salik » près de la gare du Midi, les anciens magasins « Esders » près de la place Sainte-Catherine, un bâtiment de l’avenue de l’Héliport, la « Maison Coppée » chaussée de Waterloo, un édifice de la CGER rue Antoine Dansaert, l’athénée Jules Bordet dont la fermeture est alors envisagée, et quantité d’autres biens immobiliers…  avant que ne survienne le « coup de cœur » pour l’immeuble de la rue de l’Étuve, suffisamment vaste et idéalement situé en plein cœur de Bruxelles.

Le professeur

Alphonse Legros-Collard enseigne la photo avec passion et brio. Il met un point d’honneur à délivrer un enseignement théorique et pratique traditionnel, rigoureux, critique et intellectuellement exigeant, mais où l’individu ne disparaît pas. Avec sa voix chaleureuse, il s’implique dans ses paroles, s’enseigne en même temps qu’il enseigne. Les étudiants qui suivent son enseignement en savent long sur lui, sur ses coups de cœur, car il ne feint pas d’être étranger aux œuvres qu’il traite, aux questions qu’il pose, à ses propres expériences de photographe, de chroniqueur et de journaliste. Mélange d’érudition et d’affectivité, nul n’ignore ses idées, ses goûts, ses choix, qu’il relativise en même temps qu’il les expose.. Il fait cours avec une passion que la passion de l’écoute justifie. Avec son parler vrai, les étudiants ne tardent pas à trouver leurs marques, c’est-à-dire une bonne distance faite de respectueuse proximité ; celle, féconde, qui ne cherche pas à réduire l’autre à soi-même. Ce n’est pas rien dans une vie académique. Il a été longtemps un guide sûr pour les étudiants à qui il apportait l’aide précieuse d’une réflexion intellectuelle éclectique et solide, un humanisme profond qui lui permettait de discerner dans chacun d’eux ses valeurs uniques. 

Au sein de la « section Photo », l’ambiance est chaleureuse, quasi familiale. On y vit une certaine forme de bonheur. L’enseignement de cet art et de cette science ne se dispense harmonieusement que dans un cadre de joie et de liberté : un professeur doit donc avoir devant lui des auditeurs passionnés, non des captifs. Alphonse fait de sa section un espace de liberté, apprécié comme tel par les étudiants, où ceux-ci apprennent et travaillent sans inquiétude, quelle que soient, par ailleurs, leur personnalité, leurs goûts, leurs mœurs. Chacun a le loisir de se passionner pour tel ou tel sujet, sans que quiconque ne songe à s’en étonner. À l’examen, la restitution d’une photo bien nette n’est pas seule à mériter les grandes distinctions ; un coup de cœur de temps en temps est indispensable aux équilibres les plus rationnels et en tout cas à celui de la section Photo. On languirait si elle chassait de ses laboratoires tous les esprits chimériques et subtils, les tempéraments artistes, les imaginatifs ou même les névrosés sublimes. 

Le journaliste

Tout au long de sa carrière, Alphonse Legros-Collard n’aura de cesse de nouer des contacts avec la profession, dont il tirera largement profit pour son enseignement et pour ses étudiants. Il crée et préside pendant dix ans la Fédération belge des photographes professionnels. Il devient membre actif de l’Europhot, association européenne des photographes professionnels dont il préside le comité Enseignement puis le comité Culture. Il noue des contacts avec les associations professionnelles de France, d’Allemagne, d’Angleterre et d’ailleurs, soutient les jeunes photographes professionnels, organise, participe ou préside congrès, colloques et séminaires, siège dans de nombreux jurys, rencontre les plus grands photographes, se voit proposer un poste de secrétaire général chez Polaroïd Belgique… Le grand photographe canadien Yousuf Karsh (1908-2002) lui dédicace une copie de son célèbre portrait de Churchill. Alphonse Legros-Collard sera pendant dix-sept ans le chroniqueur photo de La Libre Belgique. À ce titre, le lobby des importateurs d’équipements photo le tiennent pour un expert bien informé de toutes les nouveautés. Il fonde également avec Paul Nemerlin un magazine photo professionnel dont il est le rédacteur en chef et qui s’intitulera plus tard Photoscoop. Il possède également plusieurs publications à son actif et dirige notamment la Grande encyclopédie de la photo et du cinéma amateur, parue en 1980 chez Elsevier et considérée par la critique comme « le Littré de la photographie ».

L’homme

L’homme, enfin, est d’une courtoisie extrême, au sourire généreux, d’un grand entregent, d’une exquise délicatesse, et aussi d’une piété profonde mais sans ostentation. 

Mais un peu plus tôt, un peu plus tard, c’est pour chaque homme que disparaît un jour le soleil de l’action. Alphonse accède à la pension en 1992. Il décède à l’âge de 94 ans, le 24 novembre 2022.

En fouillant dans nos archives, nous trouvons cette citation d’Alphonse Legros-Collard : « Il y a trois façons de diriger une école : la façon autoritaire, qui peut marcher ; la façon participative, qui peut marcher aussi ; et une troisième façon, qui ne marche jamais, et qui consiste à faire croire qu’on utilise la 2ème façon en appliquant la 1ère ». Elle rappelle combien l’autorité a longtemps été en souffrance à l’IHECS et qu’elle se mérite par la compétence… Certes, la chose peut paraître aujourd’hui dérisoire ; ce qui l’est moins, c’est la force du souvenir. Son métier, il l’a aimé ; on a compris l’essentiel quand on a compris cela.

 

 

John VAN TIGGELEN
Ancien recteur de l’IHECS