Le Bondy Blog à l’IHECS, pionnier de la démocratie Internet

11.06.2011
Beaucoup en ont entendu parler. Certains s’y connectent régulièrement. Mais qui sait ce qu’il y a derrière le Bondy Blog ?

Son président, le journaliste Nordine Nabili, était de passage à l’IHECS , le 9 mai dernier.? Une rencontre relatée par Marc Sinnaeve, Président de la section Presse et Information.

En présence de la ministre de la Communauté française de la Culture, de l’Audiovisuel et de l’Egalité des chances, Fadila Laanan, et de Reynald Blion, représentant le Conseil de l’Europe, il a fait visiter les coulisses de ce média participatif aux invités de la leçon terminale du cours de 1er master en journalisme « La diversité dans les médias et l’information ».

Une autre voix dans le paysage médiatique français

Le Bondy Blog, c’est devenu un label. Porteur, avant tout, d’une « autre voix » dans le grand débat national français, et incarnation de la fin du monopole des médias professionnels dans la production de l’information journalistique, et dans la distribution « verticale » et étroitement gardée de la parole publique au sein de l’espace médiatique. Depuis 5 ans maintenant, ce média en ligne dont le siège est établi à Bondy, dans la banlieue parisienne, publie le travail d’une trentaine de jeunes citoyens, issus pour la plupart de la Seine-Saint-Denis.

Ceux-ci forment une rédaction dont la dynamique forte tient à l’hétérogénéité des acteurs et des parcours : des jeunes encore en formation, « qui se cherchent », comme le dit Nordine Nabili ; d’autres, un peu plus âgés, en début de carrière professionnelle ou en recherche d’emploi ; un troisième groupe, enfin, constitués de membres d’associations des quartiers. Ce mélange est, sans conteste, une des clés du succès du Bondy Blog : la confrontation des publics, lors de la réunion de rédaction hebdomadaire du mardi soir, fonctionne comme instance de régulation, certes pas toujours tranquille, dans le choix et le traitement des sujets.

Un savant mélange de rigueur et de libre expression

« Dans ces groupes, explique Nordine Nabili,

on apprend à construire la parole, ce que l’on a dit à dire,

sur un mode qui n’est ni celui de l’hystérie, poing levé,

ni celui du pathos, larme à l’œil ».

En évitant, toutefois, d’altérer la diversité des points de vue, des statuts, des sensibilités. Y contribue, essentiellement, une ligne de conduite sur laquelle veillent scrupuleusement les journalistes professionnels en charge de l’encadrement : le respect des exigences de qualité, de rigueur et de responsabilité, règles de base de la récolte et du traitement de l’information publiée. C’est le deuxième ingrédient du concept Bondy Blog.

Pour autant, précise Nordine Nabili, l’objectif de l’expérience n’est « certainement pas de servir de pépinière pour la formation de jeunes talents journalistes ». Ceci, en dépit de l’existence depuis 2007 d’une école du blog, un samedi matin sur deux, qui vise à donner aux jeunes des quartiers des outils pour s’exprimer, par l’écrit mais aussi à travers le son et la vidéo.

Des émeutes de Clichy au journalisme participatif

L’ambition première, c’est bien davantage de faire entendre la voix des quartiers populaires dans le nouvel espace public médiatique. Ceci de manière à échapper à « l’infantilisation permanente » de ces lieux de vie déconsidérés dans les médias classiques. Une telle réappropriation de la parole s’inscrit bien dans la dynamique d’ouverture de l’espace public « oligarchique » à une périphérie de nouveaux intervenants, conformément à l’esprit de la « démocratie Internet »  (La démocratie Internet. Promesses et limites, par Dominique CARDON).

C’est ce qu’avait en tête le journaliste Serge Michel, du magazine suisse L’Hebdo, début 2006, au moment où il a « remis les clés » du Bondy Blog à l’association éponyme locale, créée pour poursuivre l’expérience-pilote du média helvète. Le blog avait en effet été ouvert trois mois plus tôt, en novembre 2005, pendant les émeutes de la banlieue de Clichy qui avaient fait tâche d’huile dans l’Hexagone. Venus de Lausanne couvrir les événements, Serge Michel et son équipe ont très vite pris conscience que la question des banlieues françaises ne se résumait pas aux explosions de violence spectaculaires mais sporadiques de ces cités.

D’où l’idée de rester sur place et de raconter au quotidien, de l’intérieur, « la vie comme elle va » dans la ville de Bondy, à travers une nouvelle forme d’expression, plus partageable et à l’accès moins exigeant socialement et culturellement.

Des visites record

Issu de la rencontre du journaliste et d’un enseignant de Bondy avec lequel il s’est lié d’amitié, le Bondy Blog d’aujourd’hui publie deux articles en moyenne par jour de septembre à juillet, soit quelque 500 posts annuels, à côté d’une série de chroniques hebdomadaires, vus par une audience en croissance continue : plus de 2 millions de visiteurs uniques en cinq mois, début 2010.

Nordine Nabili n’en fait pas mystère, c’est même, pour lui, une des clés de la notoriété du blog : le vrai « décollage » a eu lieu avec la couverture de la campagne présidentielle française de 2006-2007. Soit un événement majeur auquel la toute jeune expérience, alors, s’est adossée pour en tirer une partie de sa force.

Plus de liberté éditoriale grâce à des partenariats avec les grands médias traditionnels

Un partenariat, renouvelé entretemps, a été conclu pour l’occasion avec Yahoo France à la recherche, notamment, d’une initiative citoyenne innovante pour assurer son propre suivi de la campagne électorale à partir de son portail info. 

D’autres ont suivi, ainsi que des collaborations avec des médias traditionnels (Télérama, Elle, Le Monde.fr, Radio France, etc.).

Ces appuis sont les conditions mêmes de l’indépendance éditoriale du blog et de l’association qui le gère. Le Bondy blog est devenu non seulement une référence du journalisme participatif ainsi qu’ une source d’information pour d’autres médias, mais également un partenaire de l’Ecole de journalisme de Lille en vue de démocratiser l’accès aux grandes écoles. Surtout, peut-être, il a gagné ses galons d’interlocuteur à part entière du débat national français… y compris dans les médias classiques.

Une leçon qui valait bien, non un fromage suisse, mais… un paquet de chocolat belge offert par la Ministre Laanan, au terme de son intervention à l’IHECS, à la cheville ouvrière de cette forme réussie de démocratie innovante. Qui est appelée à essaimer… peut-être bien chez nous aussi.