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Le super-pouvoir de la nudité
© Anna Guay
Qui dit cabaret, dit danseuses, s’effeuillant progressivement devant un public qui n’en rate pas une miette. Piège patriarcal ou affirmation politique ? Au Sassy Cabaret, dont la charte prône l’hyper-inclusivité, on penche plutôt pour la deuxième option, mettant ainsi la nudité au service du fond et plus seulement de la forme.
Un weekend par mois, lors de leur résidence à l’Os à Moelle, le Sassy cabaret fait un bond dans le temps. A l’intérieur du plus vieux cabaret bruxellois, il fait sombre, les marches sont glissantes et les lumières tamisées. La salle, vintage, est rassurante. Tout ici transpire d’une passion pour l’art de la scène et le politiquement incorrect. Des tableaux d’archives sont suspendus aux murs, un vieil autoradio traîne dans un coin, des phrases de Gainsbourg donnent le ton. En coulisses, l’agencement est biscornu. La cuisine jouxte le bureau du directeur et, au bout d’un couloir mal éclairé, se trouvent les loges.
Le show commence dans deux heures, pourtant toutes les performeuses se préparent déjà. La pièce, toute en longueur, est surchargée de costumes fait main, de trousses de maquillage et même d’un vieux piano sur lequel sont posés des vinyles italiens. Un joyeux bordel. Les miroirs couvrent les murs. Chacune est à son poste, se passant tour à tour une pince à épiler, un fard à paupière, des strass.
Le rapport aux corps est détaché : on se maquille en soutif, on enfile son string et ses porte-jarretelles devant les autres…Lili Mirez-Moi, la fondatrice du Sassy, ou MILF supérieure dans le jargon, est installée au fond de la pièce. Concentrée, elle s’efforce de maquiller son cou pour « cacher le double-menton qui apparaît sur toutes les photos ». A la fois maîtresse de cérémonie et performeuse, Lili Mirez-Moi sera souvent sous le feu des projecteurs, la plupart du temps dénudée. Autour d’elle, les chanteuses s’échauffent la voix, d’autres partagent des tutos eye-liner ou dansent.
Dépuceler l’audienceL’anticipation du show décuple l’énergie de la troupe. On chante des comédies musicales, on se taquine sur les régions natales respectives, on ne mâche pas ses mots sur le patriarcat. « Je ne suis pas misandre, j’ai un ami homme » , les rires fusent. Les pauses clopes divisent la préparation : maquillage, clope, coiffure, clope, habillage, dernière clope avant de monter de scène.
Pause clope 30 minutes avant le lever du rideauEvita de Mee, stage kitten du soir (chargée de ramasser les vêtements sur scène entre les
numéros), raconte comment elle a impressionné les copains de sa fille en affonnant plus vite
qu’eux. Il faut dire qu’elle en impose Evita. Avec sa voix grave, ses presque 56 ans, la doyenne de la troupe a « démarré le cabaret au moment où les gens arrêtent, j’avais 45 ans ». Elle s’occupe de faire tourner l’ASBL, chante, s’effeuille et finira même en nu intégral lors du prochain spectacle. C’est elle aussi qui installe le public, leur propose des accessoires à vendre en rigolant. Avec Evita, l’ambiance cabaret commence bien avant le lever du rideau.
Très vite, elle se rend compte que ce soir-là, l’assemblée est « vierge ». La plupart du public va assister pour la première fois à une représentation de cabaret : « à l’attitude des gens, tu le vois, ils ne savent pas à quelle sauce ils vont être mangé ! Mais les plus stressés ça ne devrait pas être eux ! » glisse-t-elle avant de filer en coulisses.
Bientôt les lumières s’éteignent, le public se tient prêt à en prendre plein les yeux. Et les
papilles… Le thème du soir : la grande bouffe. Chaque numéro sera en lien avec la nourriture. Entre fantasmes, absurde et troubles du comportement alimentaire, le spectacle promet un savant mélange, utilisant la sensualité des performeuses pour évoquer un sujet de société.
La MILF supérieure du Sassy définit le cabaret bruxellois comme un « espace d’expression
scénique et artistique pour toutes les personnes qui, d’une certaine façon, ne se retrouvent pas
dans la norme, qui ont envie de critiquer la société. Historiquement, le cabaret a toujours été un espace de revendication, d’impertinence et de critique de la société. ». Cela annonce la couleur.
Le rideau se lève, les performeuses du soir apparaissent sur scène adoptant des positions
loufoques, de la nourriture plein la bouche, les mains. De la crème au chocolat est renversée
par terre, des bananes sont mangées, de la chantilly est léchée. La frontière entre érotisme et
bienséance est chahutée.
Les numéros s’enchainent, les vêtements tombent au sol, le public crie. Pole dance ou effeuillage burlesque, chaque fois on joue de la sensualité féminine. Les performeuses finissent leurs numéros en string et cache-tétons, filent se changer en coulisses pendant qu’Evita ramasse les vestiges d’un teasing teinté d’humour.
Ce positionnement sur la nourriture ne se suffit-il pas à lui-même ? Est-il nécessaire de finir à
moitié nue sur scène pour servir un propos politique ? La limite est très fine.
Cette volonté de susciter du désir, de se sentir belle, toutes les danseuses la recherchent au
départ. Les sous-vêtements sexy, la fumée, les porte-jarretelles noirs, les jeux de regard,
l’attente de la participation du public en criant, sifflant ou applaudissant, tout rend la
performance enivrante.
Mais cela ne s’arrête pas là. Les femmes sur scène se sont émancipées du regard que la
société pose sur leur corps. Quand Lili Mirez-Moi, les yeux pétillants, danse sur une chaise et
enlève un à un ses vêtements, au son de Maïté dégustant un Ortolan, la réflexion sur la nudité
va alors bien plus loin.
« S’est longtemps posée la question de si je me dénude ou si je joue de ma sensualité, de mon
corps sur scène, est-ce que finalement je ne fais pas le jeu du patriarcat ? Est-ce que je ne suis pas exactement là où le patriarcat m’attend ? » s’interroge Lili Mirez-Moi. « Oui mais non. Je n’ai pas un corps standard de danseuse. J’ai 41 ans, j’ai eu un enfant, mes seins sont redescendus clairement d’un étage, j’ai de l’endométriose donc il y a des moments où on dirait que je suis enceinte de 3 mois. A partir du moment où, dans une société qui estime que mon corps n’est pas sensuel et qui ne veut pas le voir, je décide de le mettre en scène et soit d’en rire, soit de l’érotiser, c’est une vraie prise de pouvoir et c’est politique » , explique-t-elle.
Sur la scène, peu de corps nous renvoie à l’imaginaire du cabaret parisien, rempli de
mannequins-danseuses aux jambes interminables. Ici pas de french cancan, pas de plumes à
gogo mais une hyper-inclusivité dans la nudité, valeur maîtresse de la charte de l’ASBL. Pour le Sassy, la nudité sur scène permet de mettre en avant « des corps vieillissants, des corps gros, des corps non blancs, non binaires […] et dire que ces corps, ils méritent d’être vus. Et ils ont le droit d’être drôles, ridicules, mais aussi d’être sexy et sensuels. »
Lorsque le rideau se baisse et que les applaudissements éclatent, la bien-pensance s’est pris
un gros coup de sein. Et ça, ça fait du bien.
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La nage hivernale
Crédits photos: Romane Dechamps
A l’extérieur, l’eau a beau être glaciale, à l’intérieur, les cœurs, eux, bouillonnent. Depuis près d’un siècle, le Royal Cercle Theux Natation cultive un art rare : celui de la nage hivernale. Transformer chaque frisson en moment de partage. Au camping de Polleur, des dizaines de nageurs se réunissent tous les mercredis et dimanches pour transformer chaque frisson en moment de partage.
Nous sommes en octobre, en plein automne. Les feuilles orangées tapissent le sol, le temps est frais, à peine 13 degrés. Quand j’arrive au camping, il fait encore clair. Je découvre une piscine bordée d’un grand toboggan jaune pétant. Il est 18h30, un mercredi soir, le rendez-vous hebdomadaire du club, avec celui du dimanche matin. Malgré la fraîcheur extérieure j’aperçois déjà au loin du mouvement dans la piscine.
Je m’approche du bassin. L’ambiance est conviviale : tout le monde semble se connaître. On se lance des blagues, on se tape sur l’épaule, on se fait la bise. À côté de la piscine, une enceinte diffuse une playlist tout droit sortie des années 80 : Born in the U.S.A., Betty Davis Eyes, I Want to Know What Love Is, With or Without You. La musique colle parfaitement à l’atmosphère vintage du camping un peu vieillot.
Derrière la barrière, un petit chien attend calmement sa maîtresse, qui s’apprête à affronter le grand bain.
Déjà, la piscine s’illumine : de grands projecteurs font ressortir le bleu turquoise de l’eau. La nuit tombe peu à peu, le ciel se teinte de violet, et la forêt qui entoure le camping complète ce décor presque cinématographique. Le thermomètre affiche 12 degrés dans l’eau. En hiver, il peut descendre jusqu’à 2 pour les plus courageux.
Dans le vestiaire, chauffé bien sûr, les nageurs s’activent. Ils sortent, bigarrés de peignoirs et de bonnets : pingouin, fleuri, classique ou même casquette de capitaine. Une petite armée frissonnante prête à relever le défi. Le moment redouté approche : le grand plongeon.
Sur le bord du bassin, les claquettes s’entassent. Certains hésitent, se mouillent la nuque, inspirent profondément. D’autres n’attendent pas : ils plongent en bombe, comme en plein mois d’août. Les premiers gestes sont toujours les mêmes : les visages se crispent, les bras se lèvent, puis viennent les grimaces et enfin les rires. Certains ne font que deux longueurs, d’autres tiennent dix minutes, riant avec leurs amis, comme s’ils avaient toujours fait ça.
– Elle est bonne aujourd’hui ! s’écrie un nageur.
Les plus téméraires grimpent les marches du toboggan et le dévalent comme des enfants.
Ici, il n’y a pas d’âge : ados, retraités, parents et enfants partagent la même eau glacée. Les plus jeunes râlent sur la musique « ringarde » de l’époque de leurs parents. Qu’ils viennent depuis dix ans ou pour la première fois, Gus leur répète la même chose :
— Il n’y a aucune obligation. Si tu ne le sens pas, tu ne plonges pas.
Gus, c’est le maître-nageur. Bonnet sur la tête, emmitouflé dans sa grosse veste verte fluo au logo du club, une banquise et trois pingouins, il garde un œil attentif sur tout le monde.
— J’ai jamais dû intervenir pour une urgence, dit-il.
Je lui demande pourquoi les gens aiment tant cette pratique un peu folle.
— Le froid a beaucoup de bienfaits pour le corps et pour la santé mentale, m’explique-t-il. C’est excellent pour les endorphines.
— Mais on ne risque pas de tomber malade ?
— Le froid, ce n’est pas ça qui rend malade, ce sont les microbes, répond-il. Toi aussi, tu devrais essayer !
Les nageurs ressortent de l’eau, lèvres bleues, peignoir serré. La plupart se dirigent vers les vestiaires, mais la soirée ne s’arrête pas là. Tous rejoignent une grande tente blanche installée à côté du bassin.
Je pénètre à l’intérieur : la sensation de chaleur contraste avec l’extérieur. Un grand poêle à pellet réchauffe la pièce, qui n’est pas très grande. L’ambiance y est joyeuse et détendue. Les membres se regroupent autour des tables, un verre à la main, bien mérité après l’effort. À droite, une grande marmite de soupe maison fume, accompagnée d’étagères pleines de bols et de verres. Au-dessus, trône la mascotte du club : un pingouin coiffé d’un bonnet et d’une écharpe. À ses pieds, deux jeunes filles discutent, assises en tailleur sur le sol, enroulées dans leurs grosses écharpes : Armelle et Camille. Elles viennent ici depuis neuf ans.
— Ce qu’on aime, c’est l’ambiance, dit Armelle. On fait des connaissances, c’est jovial.
— Et puis après avoir nagé, on dort bien, ajoute Camille en rigolant.
Quelques jours plus tard, je décide de revenir. Cette fois, c’est dimanche matin. Le soleil perce à travers la brume, et la même tente blanche bourdonne déjà d’activité. L’ambiance est différente, plus matinale, mais tout aussi festive. Les barmans ont troqué les bonnets pour des déguisements : le thème du jour, c’est Top Gun. Combinaisons vertes et lunettes d’aviateur, ils se sont tous prêtés au jeu. Chaque équipe de nageurs tient le bar à son tour.
-C’est quoi l’occasion du déguisement ?
On y sert de tout : café, bière, thé, coca. Dans un coin de la pièce, un grand tableau indique les horaires des équipes du bar, des informations sur les compétitions, et des magnets de dauphins, de chiens ou de naissances, comme sur un frigo dans une cuisine familiale.
-Il y a pas de raison ! C’est pour le fun, certaines équipes mettent plus d’ambiance que d’autres, me dit la barmaid.
C’est bien l’atmosphère qui se dégage ici : joviale, familiale, sans prise de tête. Ici, tout le monde est le bienvenu, tout le monde est accepté dans la joie et la bonne humeur, à la bonne franquette.
Au Royal Cercle Theux Natation, la convivialité est une tradition aussi ancienne que les plongeons dans l’eau froide. Ici, on rit, on partage, on brave le froid ensemble. Je repars en promettant de revenir, cette fois, pour tenter moi-même l’expérience de la nage hivernale.
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Colleen Hoover : Pourquoi tant de haine ?
Crédit Photo : Leila Ajina Djemili
Colleen Hoover est aujourd’hui une figure incontournable de la romance et du New Adult, mais elle suscite la controverse sur les réseaux sociaux. Sur TikTok et Instagram, les hashtags #boycottcolleenhoover et les vidéos de destruction de ses livres se multiplient. Derrière cet acharnement, que reproche-t-on vraiment à l’autrice ?
Sur les réseaux sociaux, la violence des commentaires est devenue presque systématique. Des vidéos montrent des lecteurs déchirer, jeter violemment ou plonger ses livres dans l’eau, accompagnées de légendes humiliantes :
« Je rappelle que ce n’est pas une grande perte, c’est du Colleen Hoover » (TikTok, Elorya)
« Devoir déchirer des pages pour un devoir de français, mais pas grave, c’est Colleen Hoover » (#boycottcolleenhoover, TikTok, user_lcrt)
@puffy_peachy ♬ you have bewitched me body and soul – goldrvshSur Instagram comme sur TikTok, Hoover fait face à de nombreuses critiques touchant sa personne, ses livres et leurs adaptations, avec des accusations et polémiques largement relayées en ligne depuis 2022.
Selon Anaïs, journaliste et créatrice littéraire pour Basilic Tropical, la perception d’une “personne problématique”, comme Colleen Hoover est accusée de l’être, dépend aujourd’hui autant des valeurs que l’on attend des figures culturelles que de la réaction des communautés en ligne. Elle explique : « Je vais considérer qu’une personne est problématique quand elle affiche des valeurs contraires à l’idée que je me fais de ce qui est bien. […] Ce qui va faire le plus polémique, ce n’est pas le propos ou le comportement de base d’un auteur, c’est la façon dont la personne va réagir quand d’autres vont pointer du doigt le problème.»
Dans le cas de Colleen Hoover, les accusations sont amplifiées par les réseaux sociaux, mais cela ne garantit pas qu’elles sont fondées.
L’origine d’une haine disproportionnéeL’acharnement contre Hoover, qui a vendu plus de 22 millions de livres en 2022 et a été nommée parmi les 100 personnes les plus influentes au monde par Time en 2023, puise ses racines dans une série de polémiques et accusations.
Dans l’une des rares déclarations directes de Colleen Hoover, publiée en novembre 2022 sur le groupe Facebook de ses fans (les « CoHorts »), elle reconnaît que son fils, alors âgé de 21 ans, aurait demandé à une adolescente de 16 ans des photos à caractère intime, avant d’affirmer qu’elle avait contacté la jeune fille, présentée des excuses et pris des mesures disciplinaires. Aucun élément indépendant avec des sources fiables ne permet toutefois de confirmer sa version, pas plus que les rumeurs exagérant cette histoire, selon lesquelles son fils serait un agresseur sexuel.
Mais l’acharnement contre Hoover dépasse largement cette affaire. Ses romans eux-mêmes sont au cœur des critiques. « Jamais Plus », inspiré de l’histoire de sa mère, est régulièrement accusé de romantiser la violence conjugale. L’autrice réfute pourtant cette interprétation : dans une interview pour Elle US (20 novembre 2025), elle explique qu’elle « ne changerait rien » au roman, puisqu’il retranscrit « une expérience vécue » et ne prétend pas représenter toutes les réalités des violences domestiques, même si, elle ne l’écrirait plus aujourd’hui « par crainte de la surexposition » .
Certaines scènes de ses autres œuvres alimentent aussi les controverses, comme dans « Ugly Love » , où un passage avec une blague de mauvais goût est jugé par de nombreux lecteurs comme inapproprié, certains allant même jusqu’à l’interpréter comme une sexualisation déplacée d’un nourrisson : « We both laugh at our son’s big balls » (En français : « On rigole tous les deux des grosses couilles de notre fils » ). Ce type d’humour est jugé problématique par de nombreux lecteurs.
À cela s’ajoutent des campagnes marketing maladroites, notamment un cahier de coloriage inspiré de « Jamais Plus », ainsi que, d’après le Daily Mail UK Lifestyle (mars 2024), une collection de faux ongles et de vernis à ongles assortis, qui ont renforcé la perception d’une autrice déconnectée de la gravité de ses thèmes, même si le cahier a été retiré des ventes seulement quelques heures après sa mise en ligne.
Plus récemment, le film « Jamais Plus » a relancé les critiques. Hoover, qui n’a été que brièvement présente sur le tournage en tant que productrice exécutive, assure avoir été « complètement ignorante » des tensions ayant conduit aux accusations de harcèlement sexuel visant Justin Baldoni. Elle dit aujourd’hui trouver « triste et regrettable » l’ampleur du scandale, précisant qu’elle évite désormais d’en parler pour « ne pas alimenter le cirque médiatique » . Elle confie même avoir du mal à recommander son propre livre, tant la controverse a fini par « l’écraser » .
Pour plusieurs créateurs de contenus, cette escalade s’explique surtout par la dynamique des réseaux sociaux. Comme l’observe Shades Of Rebecca, bookstagrammeuse aux 60 000 abonnés, « beaucoup de posts diffusent des informations fausses sans vérification ; les petites controverses deviennent énormes, car elles génèrent du clic » . Dans un contexte où aucune enquête journalistique solide n’existe, les rumeurs prospèrent plus vite que les faits.
Célia, lectrice sur BookTok, témoigne de l’effet de cette dynamique sur les fans de Colleen : « Quand j’ai fait ma vidéo (qui s’adressait aux haters de CoHo), je ne m’attendais pas à autant de haine. Les gens disent qu’il faut boycotter ses livres, mais je ne sais pas sur quels arguments ils se basent. Oui, la haine contre cette autrice est disproportionnée. J’ai cherché sur Internet, il n’y a aucun article sérieux parlant de Colleen Hoover. Les gens croient ce qu’ils voient sur les réseaux. Certains commentaires m’ont beaucoup atteint, les gens sont vraiment durs alors qu’ils ont juste à passer leur chemin. Mais dans un sens, ça me pousse à en lire encore plus, histoire de ne pas me laisser abattre » .
“Du bad buzz reste du buzz”Malgré les critiques et la haine sur les réseaux, Colleen Hoover reste extrêmement populaire, au point d’avoir quatre films en cours de diffusion au cinéma entre 2024 et 2026. Comme le mentionne la libraire de Sweets and Books, même le bad buzz entretient la visibilité de l’autrice et alimente l’algorithme. Et plus on en parle, plus ses livres se vendent, et de nombreux studios l’ont bien compris. Comme en témoignent les films « Jamais Plus « (Sony Pictures, 2024), « Regretting You » (Constantin Film / Heartbones Entertainment / Paramount, 2025), « Reminders of Him » (Universal Pictures, prévu pour mars 2026) et « Verity » (Amazon MGM Studios, prévu pour octobre 2026).
Hoover a elle-même tenté de s’impliquer dans cinq adaptations de ses livres, mais elle a finalement vendu leurs droits dont ceux de « Regretting You » et « Verity » à d’autres studios, sans comprendre que ces livres ne lui reviendraient jamais, un choix qu’elle qualifie de « 100 % sa faute » et qui l’a poussée à ne plus vendre de droits à l’avenir. Aujourd’hui, chaque adaptation est gérée par un studio différent, même si Hoover possède sa propre société Heartbones Entertainment. L’industrie mise donc sur une fanbase internationale solide, des adaptations rentables, une image de romance dramatique facile à marketer et le succès viral (bon et mauvais) sur TikTok, garantissant un public jeune et actif.
Faustine, ancienne fan de CoHo, commente : « Certains de ses films présentent des sujets lourds comme des rom-coms. C’est problématique, mais d’un point de vue business, c’est logique » .
Mais Célia, lectrice sur BookTok et CoHort, contre-attaque : « Les adaptations au cinéma permettent d’élargir la sensibilisation à des sujets sensibles à un autre public. Tout le monde ne lit pas. Cela permet de montrer l’histoire du roman sous un autre angle, chose positive à mon avis » .
Entre soutien de l’industrie et fidélité des fansSi les critiques sont nombreuses, Hoover bénéficie aussi d’un soutien important, tant du côté des professionnels que de certains lecteurs. Dans l’industrie du livre, plusieurs autrices de romance à succès, comme Anna Todd (After) et E. L. James (Cinquante nuances de Grey), ont exprimé publiquement leur soutien à Hoover. Anna Todd est même allée plus loin en participant à la production de l’adaptation de « Regretting You » via son studio Frayed Pages, signe d’une réelle complicité professionnelle et artistique.
À l’inverse, certains auteurs et créateurs de contenus littéraires se montrent ouvertement critiques. L’auteur et influenceur français Polat Gokay a notamment publié une vidéo TikTok virale dans laquelle il hésite à toucher « À tout jamais », la suite de « Jamais Plus », accompagnée de la légende : « Je n’ose même pas toucher le livre« , suivi d’un cri sonore dès que sa main s’en approche. Une mise en scène qui illustre le rejet assumé d’une partie du milieu littéraire.
Malgré ces tensions, une communauté de lectrices et lecteurs reste profondément fidèle à Colleen Hoover : les CoHorts. Rym, fan depuis dix ans, explique qu’elle apprécie le style narratif unique, les intrigues surprenantes et la force émotionnelle de ces histoires, et qu’elle sépare l’autrice de sa personne : « J’ai remarqué des discours haineux après le scandale autour du film Jamais Plus, mais ce qui s’est passé entre les acteurs n’est pas sa faute. Elle est seulement responsable de l’histoire, pas du drame autour du film » . Elle continue de lire ses romans pour les émotions qu’ils transmettent, illustrant ainsi l’existence d’une communauté de fans réfléchie et loyale, capable de soutenir l’œuvre malgré les polémiques.
Mais au-delà du soutien des fans et des professionnels, il est utile de rappeler que les plus récents romans de Colleen Hoover relèvent plutôt du New Adult, un genre destiné aux jeunes adultes de 18 à 30 ans et abordant des thèmes plus matures comme la violence, le deuil ou la sexualité graphique. Comme le souligne Imane, libraire chez Sweets and Books : « Ses premiers livres pouvaient être considérés Young Adult, mais les récents relèvent plutôt du New Adult. Certains sujets ne sont pas adaptés aux jeunes adolescents et certains clients peuvent être réticents à acheter un livre d’une autrice perçue comme problématique, même si ses romans sont très populaires sur les réseaux » .
Controversée mais incontournableColleen Hoover illustre un paradoxe : haine virale et succès commercial vont de pair. Les bad buzz alimentent sa notoriété, mais ne freinent ni ses publications ni ses adaptations cinématographiques.
L’autrice tente de reprendre la main sur le narratif qui l’entoure sur les réseaux grâce à sa plume. Son prochain roman, « Woman Down » (prévu pour janvier 2026), s’inspire de sa propre expérience : après le scandale autour d’une adaptation cinématographique, son personnage Petra Rose est attaquée sur Internet, ruinée et accusée de chercher seulement la gloire. Son roman reste bloqué, ses économies fondent… Mais le récit promet une réponse créative aux controverses passées.
Hoover reste lucide sur sa propre popularité dans la dernière interview qu’elle a donnée pour le magazine Elle (novembre 2025) : « Je suis complètement d’accord », explique-t-elle à propos de ceux qui la trouvent surestimée. « Je me suis lancée dans cette carrière un peu par accident. Et aussi grand que ça soit devenu, je n’ai jamais vraiment fait d’effort pour y arriver. Je ne comprends pas, j’ai lu mes livres. Je ne suis pas une écrivaine littéraire sophistiquée. J’écris juste des livres amusants, faciles à lire » .
Elle se montre également philosophe face aux critiques : « Ils n’aiment pas mon travail ? Beaucoup de gens ne l’aiment pas. Je n’ai jamais cherché à impressionner qui que ce soit avec mon écriture. Et les personnes qui critiquent ce type d’écriture, pourraient-elles écrire un meilleur livre ? Probablement. L’ont-elles fait ? Probablement pas » .
Pourtant, la célébrité a ses inconvénients : l’intrusion dans sa vie privée, les rumeurs absurdes, et la pression sur ses enfants. « Les gens peuvent gagner leur vie avec des vidéos négatives qui obtiennent beaucoup de vues » , confie Hoover, qui reste toutefois reconnaissante envers BookTok pour sa carrière.
Qu’on l’adore ou qu’on la déteste, Colleen Hoover reste une autrice dont l’influence culturelle et médiatique est impossible à ignorer. Entre fans loyaux, voix nuancées de lecteurs et critiques virales, elle continue de marquer le monde de la romance New Adult et du 7ème art romantique, pour le meilleur et pour le pire.
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Ukraine : Quels sont les territoires sacrifiés par le plan de partage américain ?
CC : Mykhailo Palinchak
Le plan de partage américain sur l’Ukraine, qui fait actuellement l’objet d’intense tractations diplomatiques, pourrait faire perdre au pays de larges pans de son territoire. Les régions stratégiques de Kherson, Zaporijia et le Donbass sont au coeur de ces négociations. Explications.
Depuis l’invasion russe en février 2022, l’Ukraine est engagée dans un conflit prolongé avec la Russie, qui se traduit par des combats à grande échelle le long d’une ligne de front étendue et mouvante. À l’hiver 2025, la guerre se poursuit sur plusieurs axes, avec des affrontements intenses dans l’est et le sud du pays. Des régions comme Kherson, Zaporijia et le Donbass continuent de concentrer l’attention des forces ukrainiennes et russes. Ces régions restent des zones stratégiques majeures, et leur contrôle a des répercussions directes sur les capacités militaires, logistiques et politiques des deux camps.
Le front est marqué par des affrontements fréquents et de haute intensité, notamment autour de zones urbaines et de nœuds logistiques essentiels, où les deux armées cherchent à consolider leurs positions. Les attaques, notamment par missiles et drones, touchent non seulement les lignes de combat, mais aussi des infrastructures civiles, entraînant de vastes coupures d’électricité, des dommages aux réseaux énergétiques et des difficultés accrues pour la population en plein hiver. Les forces ukrainiennes tentent de tenir des lignes clés, malgré des pertes humaines et matérielles importantes.
C’est dans ce contexte que surviennent les négociations en vue d’un cessez-le-feu et le plan de partage américain. Kiev a récemment présenté une version actualisée de son plan à Washington, soulignant sa volonté d’équilibrer la fin des combats avec ses intérêts souverains.
Alors que les discussions se déroulent sur plusieurs fronts diplomatiques, la réalité sur le terrain reste celle d’un conflit actif. Les combats se poursuivent, les lignes de front évoluent lentement, mais restent le théâtre d’affrontements quotidien. Enfin, les conséquences humanitaires pour la population ukrainienne sont lourdes.
Les régions stratégiques de Kherson, Zaporijia et le Donbass demeurent au centre de ces dynamiques, leur statut futur étant l’un des enjeux cruciaux des négociations en cours.
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Friteries belges : la TVA augmente, la frite trinque
Fin novembre, le gouvernement fédéral a bouclé un accord budgétaire qui va changer la donne pour l’horeca. La TVA sur les plats à emporter et la livraison passera en effet de 6% à 12% dès 2026. Pour les friteries, sandwicheries et restos combinant salle et take-away, cela se risque de se ressentir dans l’addition…
Leila Ajina Djemili et Camille Kalut sont allées à la rencontre d’une friturière de Louvain-la-Neuve et de ses clients : entre inquiétude et résignation, la frite belge pourrait bientôt coûter un peu plus cher.
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6 heures de smartphone par jour
6 heures. C’est le temps moyen que les jeunes de 15-25 ans passeraient chaque jour sur leurs écrans, selon une étude de Sciensano. Sur un an, ça fait presque 100 jours complets, le regard collé à un écran, que ce soit l’écran du smartphone, d’un ordinateur ou d’une tablette. Des chiffres inquiétants, et souvent sous-estimés par les usagers.
Quand on demande aux jeunes combien de temps ils passent sur l’écran de leur smartphone (et uniquement sur cet écran-là), ils répondent généralement 2 à 3 heures par jour. Pourtant, les données enregistrées sur leurs appareils racontent une tout autre histoire : 7, 8, parfois même 10 heures quotidiennes. Le décalage entre le temps perçu et le temps réel passé sur les écrans est donc considérable. Comme on peut le voir dans le reportage.
Des impacts bien réels sur la vie de tous les joursLes études montrent que cet usage massif a des effets sur la concentration, le sommeil ou encore le stress. Elise Braekman, autrice de l’enquête intitulée « Utilisation de l’écran » de Sciensano, explique que les jeunes Belges sont particulièrement accros aux écrans, plus encore que dans les pays voisins. Et la tendance ne fait qu’augmenter.
Elise Braekman estime que le problème n’est pas seulement lié à la quantité de temps passée sur les écrans, mais aussi au rapport entretenu aux écrans. Pour elle, de nombreux jeunes glissent vers un usage problématique : ne pas savoir décrocher, devenir irritable, manquer des sorties juste pour rester sur les écrans… Quand ces comportements se manifestent, le smartphone n’est plus un outil, il devient une addiction.
Smartphone à l’école : un outil et une distractionQu’en est-il de l’usage des écrans à l’école ? Dans l’enseignement secondaire, c’est le flou artistique : certains profs confisquent, d’autres tolèrent, les règles fluctuent.
Dans le supérieur, par contre, impossible d’interdire : le smartphone est devenu un véritable outil de travail. Notes, agenda, plateformes de cours, recherches rapides… tout passe par là. Sauf que ces usages vont de pair avec la tentation constante de scroller sur Instagram, TikTok ou d’autres réseaux.
Quand on demande aux étudiants ce qu’ils pensent de leur smartphone, la réponse est quasi toujours la même : indispensable, mais il sabote la concentration. « Ça m’aide à bosser, mais je finis toujours par scroller », confirme Antoine, étudiant de 23 ans.
Reprendre le contrôleAu fond, reprendre le contrôle de notre temps d’écran ne passe pas par une révolution, mais par quelques gestes simples que chacun peut adapter à son rythme. Réduire les interruptions en coupant une partie des notifications, par exemple, permet déjà de retrouver de vraies plages de concentration. Fixer des limites d’usage aide aussi à prendre conscience du temps qui file. Et même transformer son téléphone en noir et blanc peut suffire à casser le réflexe du scroll automatique. Trois pistes parmi d’autres, qui rappellent surtout une chose : nos smartphones ne sont pas condamnés à gouverner nos journées. C’est à nous de redessiner la place que nous voulons leur laisser.
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Le premier pas vers l’asile
Crédits photos : Maëlenn Nédélec
Fondée en 2015 à la suite de la crise syrienne, Law Students With Refugees (LSWR) est une association étudiante qui offre un soutien juridique, administratif et humain aux demandeurs d’asile. Deux fois par semaine, ces bénévoles assurent une permanence juridique de première ligne devant les portes de l’Office des étrangers, pour informer les demandeurs sur leurs droits et leurs démarches.
6h19Une trentaine de personnes patientent déjà devant l’Office des étrangers. Certains dorment, recroquevillés dans des plaids ; d’autres fixent le vide. Une femme, avec deux enfants en bas âge, rejoint une adolescente endormie sur le trottoir. Ils sont quatre pourune valise. Elle détourne le regard quand j’approche, refusant poliment de parler de sa situation.
6h24Devant l’Office, les files révèlent des frontières invisibles : une affiche aux couleurs du drapeau de l’Ukraine indique clairement aux personnes concernées de se placer à gauche. À droite, sans explication claire, s’entassent les »autres » demandeurs d’asile. Leur file est elle-même scindée : hommes seuls d’un côté ; familles, femmes, personnes handicapées et MENA (Mineurs Étrangers Non Accompagnés), de l’autre. Des agents veillent au maintien strict de cette organisation.
Pourquoi cette distinction entre les Ukrainiens et les « autres » ? Les Ukrainiens bénéficient de la protection temporaire activée par le Conseil de l’Union européenne en raison du conflit armé dans leur pays, qui leur donne accès après leur enregistrement à des droits : titre de séjour, accès au marché du travail, aux soins de santé, aux allocations familiales et à des revenus.
À ce sujet, Célina, étudiante en Master 2 de droit et co-responsable de la permanence depuis un an, raconte: “Lors de la dernière permanence, j’ai dû négocier avec les vigiles pour faire passer une famille palestinienne en priorité. Leur enfant, en chaise roulante, après avoir survécu à des bombardements, pleurait de douleur dans la file ».
6h35Les portes n’ouvrent qu’à 7h15. C’est alors qu’arrivent les étudiants, vêtus de leurs K-ways orange distinctifs. Leur travail commence immédiatement : ils se répartissent en binômes linguistiques. Chaque duo explique, fiche à l’appui, les étapes de la procédure d’asile (enregistrement, entretien, recours) et oriente vers les services essentiels : douche, soins médicaux, hubs humanitaires. Leur fiche, traduite en plusieurs langues, vise à rendre l’administration moins obscure.
Pourtant, expliquer ne s’improvise pas. « Le droit des étrangers est une simple option à l’université, alors LSWR comble ce vide » , explique Célina. C’est pourquoi l’association organise des formations, parfois avec des avocats, pour préparer ses membres.
6h45Une jeune femme, seule, semble perdue. Impossible d’imaginer ce que cela fait d’être dans un pays inconnu, sans maîtrise de la langue , face à une administration opaque.
Célina s’approche d’elle et lui explique, avec une douceur ferme : « Lors de votre enregistrement, ils vont devoir faire une radiographie pulmonaire ici, à l’Office. Il vous faudra lever votre tee-shirt pour qu’ils puissent vous examiner. C’est une procédure officielle, donc vous ne devez pas vous en méfier. Je vous avertis aussi de ne surtout pas signer de documents que vous ne comprenez pas. Si un mot ou une phrase vous échappe, ne signez pas ». C’est là que le rôle des étudiants prend ici tout son sens : expliquer, rassurer et traduire, même dans l’inconfort.
Célina précise que la radiographie sert à établir l’état de santé, mais la présence d’un médecin n’est pas confirmée par l’Office. Seul un document de l’Ordre des médecins (2008) évoque des techniciens ou infirmiers. Mais, face aux portes closes du bâtiment, la pratique reste floue.
Par ailleurs, certains étudiants avouent leur frustration face à la fragilité du système : « On se sent impuissants quand on doit leur dire qu’ils n’ont accès aux toilettes qu’une fois qu’ils sont dans l’Office ». Cette réalité brutale, au cœur de la capitale européenne, les révolte autant qu’elle renforce leur engagement.
7h06Trois vigiles ordonnent aux personnes qui débordent de la file de reculer, rappelant avec virulence la proximité de la piste cyclable. Comment respecter les limites spatiales quand le trottoir est saturé par une centaine de personnes en attente depuis plusieurs heures ?
7h15Les portes s’ouvrent. Les hommes entrent d’abord, puis les familles. Les vigiles régulent le flux avec une précision militaire.
7h20Malgré la diversité linguistique des étudiants, Google Traduction devient nécessaire. Une scène révélatrice de la complexité des échanges et de l’importance de la technologie, devenue un pont fragile entre des mondes qui, sans elle, ne se comprendraient pas.
7h25Abdellatif, étudiant en Master 2 de droit et co-responsable de la permanence depuis 1 an, confie sa frustration quant au temps imparti pour chaque entretien. « Avec seulement une heure, nous n’avons pas le luxe de questionner ou d’approfondir nos explications. C’est une vraie frustration, surtout pour un bavard comme moi » , avoue-t-il avec un sourire.
Malgré tout, certains demandeurs évoquent d’eux-mêmes leur situation, comme cette dame consciente d’être en « situation Dublin » , risquant un renvoi vers le pays européen responsable de son dossier selon des critères hiérarchisés (première demande, visa, empreintes, famille…).
7h36Un étudiant m’interpelle : la permanence est terminée. Déjà.
Les K-ways disparaissent. Le débriefing a lieu sur le trottoir d’en face, au lever du soleil.
Un constat émerge : certains demandeurs sont illettrés et n’ont pas pu comprendre les documents. Il faut créer de nouvelles fiches, avec des pictogrammes et des explications simplifiées. L’accès à l’information est un droit fondamental, même pour ceux qui ne savent pas lire.
Après l’enregistrement à l’Office, le pôle « récit de vie » prend le relais. Il aide les demandeurs à structurer leur histoire pour l’entretien au CGRA (Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides), un soutien crucial aussi pour les avocats.
Ainsi, des trottoirs de l’Office aux salles d’entretien, les étudiants accompagnent, pas à pas, ceux qui doivent affronter seuls un parcours semé d’embûches.
8h22Je quitte les lieux. Des traces de l’attente subsistent : gobelets, emballages, papiers. Comme si une journée entière s’était écoulée, alors qu’il n’est que 8h30. Mais peut-être que, pour certains, la journée a effectivement commencé depuis plus longtemps.
Fin. Pour eux, pas pour moiLes héros ne portent pas de cape, mais des K-ways orange. Dans le froid de Bruxelles, ils incarnent une justice qui commence simplement par une présence humaine.
L’engagement de LSWR continue aussi en ligne. Sur Instagram, Facebook ou TikTok, l’association partage ses actions : collectes, événements solidaires, ou l’Action d’hiver, lancée en novembre pour distribuer des kits d’hygiène et de la nourriture.
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Puéricultrice : le couteau suisse de l’enseignement
Crédits photos : Julien Gillet
Une part d’enseignante mixée avec une part d’éducatrice et un soupçon d’infirmière, c’est la description parfaite du métier de puéricultrice. Depuis 28 ans, Madame Anne accompagne les plus petits dans une école du quartier des Vennes à Liège. Mais quels sont les bénéfices d’avoir ce corps de métier présent dans les écoles ?
Comme chaque jour, la puéricultrice de 60 ans, énergique et au regard doux, armée de son sweat gris, arrive à 7 heures 30 pile dans son école du quartier des Vennes à Liège. Derrière les briques rouges et la porte bleu ciel, sa classe l’attend : petites tables rectangulaires, chaises colorées et coin tapis avec des bancs pour chaque enfant. Avant l’arrivée des petits, elle prépare la salle, installe les jouets, dispose les chaises, tout a son importance pour une journée enrichissante.
Madame Anne profite du silence en sirotant son premier café de la journée. Dans une demi-heure, la quiétude sera remplacée par les cris, les rires ou les pleurs de ses élèves. « Il faut profiter du calme avant la tempête », plaisante-t-elle.
À 8 heures 30, les premières têtes apparaissent, manteaux colorés et cartables avec des dinosaures ou des princesses. Certains se précipitent vers les jeux disposés sur les tables. Pour l’un d’entre eux, la séparation avec son papa était plus difficile. « Il a commencé lundi, c’est tout à fait normal ». La puéricultrice se dirige naturellement vers lui pour le réconforter. Un petit câlin, une chanson, un moment seul à l’écart du groupe qui permet à l’enfant de s’apaiser pour ensuite commencer sa journée avec ses copains.
Les élèves quittent leurs parents apaisé et en pleine confiance.Une fois la classe réunie, l’heure est venue d’apprendre en jouant : de la psychomotricité fine, des puzzles, des jeux de construction, de la lecture et des activités de développement. Madame Anne et sa collègue institutrice, Marie-Ange, se complètent. L’institutrice fait un atelier basé sur les chiffres et Madame Anne sur le langage où elle fait répéter le nom de fruits à ses petits élèves. « On essaye de faire des liens avec ce qu’ils vivent au quotidien ».
Après son atelier, la puéricultrice voyage de table en table, elle corrige, réexplique les jeux, encourage les timides pour qu’ils soient à l’aise et confiants, félicite à coup de bravo ceux qui réussissent et n’hésite pas à réprimander les turbulents.
Les enfants se familiarisent avec la lecture dès le plus jeune âge.À la suite d’une heure quart d’amusement et d’apprentissage, les petits mettent la main à la pâte. Tout le monde doit participer à la mise en ordre de la classe avec sous l’encadrement des adultes. Sur chaque boîte, une photo des jeux est là pour faciliter l’organisation. « Le rangement est aussi un apprentissage en soi », rappelle-t-elle.
Après ce petit effort, direction le coin tapis. Les enfants s’apprêtent à chanter « bonjour tout va bien », à faire le journalier et le semainier. Une activité dirigée par l’institutrice, mais pas question de se tourner les pouces. Madame Anne est toujours aux aguets en cas de problème et est toujours prête à seconder sa collègue en cas de besoins. Justement, un des enfants a des besoins spécifiques. Comme il a du mal à rester assis, la puéricultrice le prend dans ses bras, lui caresse les cheveux pour que le moment lui soit quand même bénéfique.
Un peu de tendresse dans ce moment d’angoisse.
Passé le coin tapis, les enfants se dirigent dans le couloir pour aller chercher leur mallette pour laisser place à la collation. Les enfants épluchent leurs fruits ou déballent les emballages pour développer leur autonomie. Pendant que certains terminent leur collation, d’autres passent aux toilettes, certains doivent changer de langes, souvent deux par deux. L’eau du robinet coule, l’odeur du désinfectant envahit la pièce, deux trois rires fusent et grâce à des encouragements, elle les initie à l’hygiène et aux bons gestes à faire. Une fois les mains lavées, la puéricultrice accompagne les enfants qui ont déjà remis leur mallette pour l’enfilage du manteau avec plus ou moins de réussite pour certains, ils peuvent partir en récréation. « L’aide que l’on apporte aux enfants n’est pas pour faire à leur place mais favoriser l’apprentissage à l’autonomie», dit Madame Anne. C’est à ce moment qu’elle peut souffler un peu, le temps d’un café sucré.
Chaque étape est une victoire en soi.Après la pause au grand air, la journée peut reprendre. Les autres jours, ce sont des ateliers ou des jeux libres. Mais le vendredi, direction la salle de gym pour une séance de psychomotricité avec Madame Marie-Lorraine. Sous le thème d’Halloween, la psychomotricienne a préparé un petit parcours d’obstacles, certains enfants hésitent à monter les espaliers ou à sauter depuis un petit bloc. La puéricultrice accourt donc auprès d’eux pour les guider, les encourager et les féliciter. Elle assiste aussi ceux qui doivent se moucher, partir aux toilettes ou être consolé d’une chute. À la fin de leur séance, elle reprend la routine du changement de langes avant le dîner.
Lors du repas de midi, la classe se transforme en réfectoire pour les enfants. Les tables sont couvertes d’assiettes pour les uns et de boîtes à tartines pour les autres. Madame Anne passe de table en table pour amener les assiettes de pâtes chaudes. Certains peinent encore à manger seuls, elle donne donc la cuillère à ceux qui en ont besoin ou guide leurs gestes. « On apprend aussi en mangeant », dit-elle avec un sourire. Quand les assiettes sont vides, les ventres remplis et les mains lavées, la classe retrouve son calme.
Vient le moment de la sieste. Chaque enfant retrouve son lit, son coussin et son doudou, à son nom. La puéricultrice borde chacun, allume une guirlande pour avoir une lumière tamisée et met une musique douce pour calmer les esprits. Elle passe entre les lits, s’assied près d’un enfant qui peine à dormir mais n’hésite pas à recadrer ceux qui empêchent les autres de se reposer. Une fois le calme revenu, elle peut enfin prendre sa pause de midi et préparer des activités pendant cette période.
Après la sieste, elle réveille les enfants progressivement, les change si besoin et les emmène en classe pour les dernières activités. Avant de retourner à la maison, on chante une chanson d’au revoir et on lit l’histoire de la grenouille à grande bouche. Les enfants enfilent leur manteau et attendent patiemment dans le couloir. Vers 15 heures 15, les parents arrivent, c’est là que la puéricultrice accompagne chaque enfant à la porte. Un regard complice, un câlin, un signe de la main. Toutes ces petites choses qui rappellent à Madame Anne pourquoi elle continue de faire ce métier. Une journée banale pour celle qui considère son travail comme « une fontaine de jouvence ».
Le moment des au revoir est l’occasion de finir la journée sur un câlin et une note positive.The post Puéricultrice : le couteau suisse de l’enseignement appeared first on Mammouth Média.
Panorama du Congo : ce que l’image ne montre pas
Photo : Shurouq Mussran
Le Panorama du Congo — immense fresque créée en 1913 pour magnifier la colonisation belge — est aujourd’hui réexposé pour en révéler les angles morts. Derrière l’image spectaculaire, l’exposition met à nu les mécanismes de la propagande : ce qui est montré, ce qui est déplacé… et surtout ce qui est effacé.
Charlotte Simon et Maxime Copienne ont interviewé Julien Truddaïu, membre de Bruxelles Laïque. Il a notamment travaillé sur une exposition autour de la propagande coloniale. Au travers de ce podcast, ils retracent comment cette œuvre a construit une vision falsifiée du Congo belge et pourquoi il est essentiel de la déconstruire aujourd’hui.
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Derrière les champs : la montagne de paperasse qui pèse sur les agriculteurs wallons
Florent Cerise
Entre les nouvelles normes climatiques, transition vers le bio et paperasse toujours plus lourde, beaucoup peinent à garder la tête hors de l’eau.La région parle de soutenir la durabilité du modèle agricole, mais sur le terrain, la réalité est tout autre.
À Vedrin, en périphérie namuroise, c’est en troquant ses bottes et son tracteur pour ses chaussons et sa chaise de bureau que Christian Lavoix incarne cette réalité. Je l’ai suivi deux jours, au rythme de ses bêtes, de ses cultures et de sa paperasse.
En début d’après-midi, je rejoins Christian. Il m’accueille à son domicile, tout ce qu’on peut imaginer lorsque l’on pense à une maison de fermier. Une bâtisse en face de la ferme cernée par les prairies. Christian, est âgé d’une quarantaine d’années, il a le dos courbé vers l’avant et se déplace lentement dégageant une bienveillance et une lassitude forgée à travers ses défis du quotidien. Il me fait patienter dans le hall durant une dizaine de minutes, il est au téléphone avec son vétérinaire au sujet des vaccins. « Ceux-là il faut encore les faire ?! ». Dit-il en fronçant les sourcils. Une fois l’appel terminé, il met son téléphone dans la poche de sa chemise à carreaux et me salue.
La ferme Lavoix, dont Christian représente la troisième génération.Christian m’explique fièrement s’occuper de 140 Blancs Bleus Belges, un troupeau réparti dans ses 27 ha de prairies et une centaine de poules pondeuses bio qui profitent de 1,5ha pour gambader. Sa principale activité est la culture : 12 ha en bio, 87,5 en conventionnel. Ses yeux se ternissent quand il me parle de paperasse. « Les papiers, il y en a trop et il y en aura toujours plus », dit-il sur un ton mi-amusé, mi-lassé. Une lassitude quotidienne subie par une majorité d’agriculteurs.
Nous arrivons à l’étable après trois minutes de voiture. Le livreur de mazout est déjà sur place. Il remplit la cuve de Christian avec laquelle il approvisionne ses tracteurs. Son chien, Zoé, est à l’affût de ce visiteur étranger. « Elle n’est pas méchante ! », me rassure son maître. Une fois le plein terminé, Christian me montre un piège à rats. « Des papiers en plus, je dois indiquer quand je remets du poison », m’indique-t-il pour illustrer son propos de tout à l’heure.
Christian, fier de produire des œufs bios.C’est la fin de journée, nous remplissons un m³ d’eau pour abreuver les poules. L’eau claque, le moteur du bull vrombit, les poules caquettent, curieuses et impatientes. Le plein d’eau doit se faire une fois par semaine. En attendant de remplir le réservoir, on ramasse les œufs dans les pondoirs. La collecte des œufs se fait une fois par jour.
Une fois cette tâche terminée, on rentre au domicile de Christian pour mettre les œufs dans un local dédié. Il me montre tous les produits d’entretien et m’explique la procédure qu’il doit suivre pour être en règle et éviter les sanctions en cas de contrôle. « Avant ça allait, un Bic suffisait, maintenant il faut remplir des registres et acheter un logiciel. C’est juste une façon de nous contrôler plus facilement et de nous enlever plus facilement nos aides. Or, sans celles-ci on s’éteint ! », me lance Christian plein de désillusion face à cette situation qu’il juge cynique.
La campagne change mais le travail reste le même.Le lendemain vers 06h50, le village sommeille encore, blotti dans un silence humide. Au bout de la rue, une lumière tremble derrière une fenêtre : celle de la maison de Christian Lavoix. Il m’ouvre la porte et me salue d’un geste bref, le visage encore engourdi. Zoé, le petit chien, bondit dehors dès qu’elle m’aperçoit. La journée peut commencer. C’est l’heure du déjeuner pour les bovins.
Le moteur ronfle, la paille crisse sous les bottes. Dans un ballet parfaitement rodé, Christian distribue le déjeuner à ses 140 Blancs Bleus Belges. Les jeunes reçoivent un mélange de céréales et de betteraves, enrichi en minéraux. « Doucement !», ordonne-t-il à une génisse trop pressée. Certains ont droit à des granulés plus gras. Chaque geste est précis, répété mille fois, mais jamais machinal.
Zoé, la petite Jack Russel âgée d’un an, toujours à l’affut du moindre mouvement de son maître.À huit heures, nous passons dans le local de soins. Les étagères ploient sous le poids des flacons. Il prépare la tondeuse électrique. Aujourd’hui, il faut tondre les jeunes génisses, pour éviter les poux et la gale.
Dehors, la lumière s’étire sur les prés. Le bruit de la tondeuse se mêle au grondement lointain des voitures : la campagne s’éveille.
Changement de rythme.À neuf heures, Christian soigne une génisse infestée d’acariens. « Elle n’aime pas la tondeuse mais elle sera bien plus soulagée une fois le traitement fini. », annonce-t-il plein de compassion.
En Wallonie, les règles d’hygiène et de traçabilité se sont durcies au fil des décennies, notamment avec la Politique Agricole Commune et les plans climats régionaux. Les éleveurs doivent prouver qu’ils respectent les normes, au risque de perdre leurs aides financières. « Tu peux être un bon fermier, mais si t’es mauvais en paperasse, t’es foutu », résume Christian.
Vers dix heures, il troque la blouse contre les gants de mécano. Sous le hangar, il démonte l’attache-remorque de la moissonneuse, couverte de graisse séchée. Il est à genou, le dos courbé, il soupire l’usure de celui-ci.
À onze heures, un camion recule lentement dans la cour. Un nouveau taureau descend, massif, nerveux, destiné à assurer la reproduction du troupeau. L’arrivée d’un animal, ici, reste un petit événement — un pari sur l’avenir.
Sa silhouette imposante se découpe dans le paysage, symbole de renouveau pour le troupeau.Midi approche.
De retour à la maison, Béatrice, son épouse, appose des cachets sur les œufs de la veille. Chacun doit porter le bon code et la bonne date, prouvant la conformité du lot. « La date de péremption c’est facile, c’est 28jours après la ponte », explique-t-elle. Nous sommes dans un local spécialement aménagé pour le stockage des œufs bios. Christian, lui, est déjà reparti dans ses papiers.
Plus tard, nous prenons la route à bord de son utilitaire pour livrer les œufs. Sur le chemin, il me montre un champ de petits pois bio, qui n’a pas pu être récolté. « Le bio, c’est risqué. Si le climat ne suit pas, tu perds tout. Pas d’assurance, ni de compensation. »
Sous la chaleur du soleil, l’étable s’anime au fil des routines quotidiennes.En 2024, la Wallonie a pourtant lancé de nouveaux programmes de transition agroécologique, censés encourager le bio et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais sur le terrain, ces ambitions se heurtent à la réalité des saisons.
L’après-midi se termine dans une prairie isolée, à soigner quelques bêtes. Il est temps pour moi de laisser Christian, un homme passionné par le métier, épuisé par la paperasse.
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Une course pas rentable
Crédit photo : Thibault Herpoel
Chaque jour, armés d’un vélo ou d’un scooter, des livreurs parcourent les rues de Bruxelles pour apporter aux clients de plateforme leur repas en temps et en heure. Ces travailleurs tentent de gagner leur pain par tous les temps, au péril parfois de leur santé. La Maison des Livreurs essaie de délivrer un peu de soutien à une profession en mal de reconnaissance.
Une tente verte est en train d’être installée sur une place de parking de la Chaussée de Boondael. L’installation dénote dans cette rue du Cimetière d’Ixelles, quartier très apprécié des étudiants et fêtards bruxellois. Camille et Martin s’affairent à monter une petite table, et quelques petites chaises de camping bon marché à l’abri de la tente.
Les installations sont rudimentaires, avec une tente ouverte et un coffre de voiture pour s’abriter.Ensuite, ils y disposent quelques biscuits et de grandes carafes de café sous le regard amusé de deux jeunes livreurs, Chadi et Abder. Ce petit remue-ménage ne semble pas affecter les nombreux passants, visiblement pressés de s’attabler en terrasse en cette fin de jeudi après-midi.
Camille et Martin sont membres de la Maison des Livreurs. L’association, créée en octobre 2022, vient en aide aux livreurs pour pouvoir leur offrir une oreille attentive. Tous les jeudis soir, ils posent leur tente à un endroit de Bruxelles prisé des coursiers. « L’équipe intervient pour soutenir les livreurs lorsqu’ils rencontrent des difficultés individuelles, qu’elles soient ou non liées à la plateforme de livraison. Il peut s’agir de factures impayées, de l’enregistrement d’un nouveau moyen de locomotion ou encore de l’accompagnement de ceux qui ont été déconnectés de leur application sans motif valable », relate Martin.
Martin et Camille essaient de régler le problème de connexion des deux livreurs à côté d’euxAbder, adossé contre un poteau de la tente, profite d’un petit instant de pause entre deux livraisons pour se pencher un peu plus sur ses conditions de travail. « Je travaille comme livreur depuis 4 ans pour Uber Eats et Deliveroo. Comme je suis sans-papier, j’ai un ami qui m’a prêté son compte. Il est gentil, je le paye un peu en retour ». Au fil de la discussion, le livreur évoque la naissance de son enfant né cette année. Un large sourire apparaît alors sur son visage comme une promesse pour l’avenir. « J’espère pouvoir recevoir mes papiers d’ici quelques mois et être régularisé ».
Car sa situation n’est pas évidente. En plus des conditions de travail éprouvantes, il est sans cesse contrôlé par les plateformes. « Je dois alors me dépêcher de retrouver mon ami sans quoi mon compte est bloqué et je ne touche plus d’argent du tout ». Puis, il jette un coup d’œil à son téléphone et s’excuse : « je dois aller visiter un nouvel appartement, je m’en vais ». Il s’éclipse. Et lance un dernier au revoir, masqué par les klaxons de chauffeurs exaspérés par les bouchons.
« Les travailleurs sont atomisés »
Son cas n’est pas isolé. Tout au long de la permanence, des livreurs se succèdent sans cesse sous cette tente. Catherine, syndicaliste des jeunes FGTB, est également venue prêter main forte ce soir aux côtés de Martin et Camille. « Il y a un réel besoin », lance ce dernier, le nez devant son ordinateur. « Les travailleurs sont atomisés. Ils n’ont pas de lieu de socialisation où ils peuvent boire un café, faire du lien, s’organiser collectivement pour améliorer leurs conditions de travail. C’est ce qu’on essaye de leur offrir ».
Camille et Catherine offrent une aide bienveillante à ces deux livreurs Quelques biscuits et du café sont offertsL’ancien coursier sait à quel point le métier est difficile. Il aide un ‘collègue’ qui ne parle pas français et qui a vu son compte être bloqué par Uber Eats il y a un mois. La communication est fastidieuse, mais ils parviennent à se comprendre. « On vit tous un peu dans Black Mirror, mais les livreurs y vivent vraiment. Il faut se dire que leur travail est géré par une intelligence artificielle, et par des algorithmes qui décident qui travaille ou qui est licencié. »
Un modèle économique défaillant
Les plateformes comme Uber Eats et Deliveroo payent à la livraison. Ce qui met Martin en colère car c’est « un modèle qui en l’occurrence est illégal. Et si pour une raison ou une autre, il n’y a pas assez de commandes ou trop de livreurs, certains gars peuvent rester à attendre 10 heures pour toucher 30,40 euros la journée ». Une misère.
Martin traduit leur conversation sur une application pour communiquerDès lors, les travailleurs gardent leurs yeux scotchés à leur téléphone, dans l’attente d’une hypothétique commande. Pour l’écrasante majorité d’entre eux, ce sont de jeunes hommes racisés. Ils passent en vitesse pour se reposer à l’abri. Parfois, ceux-ci n’ont même pas le temps de finir le café offert par l’association qu’ils reprennent déjà leur scooter pour délivrer une nouvelle course.
Aux alentours de 20h, Abdelhak parque sa moto à proximité de la tente. Il dit dans un anglais approximatif « venir pour un ami qui a un souci, et qui va bientôt arriver ». Tout sourire, l’homme d’une quarantaine d’années se réchauffe avec un café et un biscuit. Pourtant, il a dû fuir il y a 10 ans les Talibans en Afghanistan pour se réfugier en Belgique. « Ils m’attendaient chez moi. Je n’ai plus vu ma famille depuis. » Il se plait ici, et son travail aussi même si « c’est fatiguant et assez dangereux ».Puis, il scrute son smartphone et accepte aussitôt une commande. Il encode l’adresse de son prochain client et saute sur sa bécane pour sillonner une nouvelle fois les rues de Bruxelles.
Abdelhak se repose quelques instants sur sa moto, café à la mainDes discours comme celui d’Abdelhak sont légion ce soir. Des livreurs racontent des histoires arrivées à leurs collègues. Jambes cassées, impossibilité de gagner de l’argent pendant des mois… et ils n’ont souvent pas droit à une assurance santé pour les protéger. « Les conditions de travail les poussent à prendre de plus en plus de danger », fulmine Camille.
La soirée se termine aux alentours de 21h30 pour les membres de l’association. Enfin presque. Alors que la tente se replie, un habitué arrive. Max – nom d’emprunt – réajuste ses lunettes et essuie une goutte de sueur. Il vient souvent donner un coup de main pour offrir des conseils à ses compères. Mais ce soir, il est contrarié. « Je n’ai fait que 50 euros ce soir et je n’ai même pas encore mangé. Je vais devoir continuer jusqu’à 22h au moins ». Camille tente de le rassurer un peu, lui propose un biscuit et lui tend une clope. Max la grille et s’empresse de récupérer la commande que le Quick d’en face vient de préparer.
Son sac carré floqué Uber Eats sur le dos, il se remet en selle pour offrir un repas à un client impatient. Lui, qui comme bien d’autres ce soir, accepte une énième course pas rentable pour espérer manger à sa faim.
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Dark Romance : Le genre qui fascine et dérange
Entre désirs interdits, violences fictionnelles et héroïnes sous emprise, la dark romance explose dans les librairies et sur TikTok. Pourquoi ce genre attire-t-il autant ? Quelles limites soulève-t-il ? On plonge dans son univers… sans tabou.
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Les Crevits, la ferme au rythme du lait
Crédits photos : Solenn Becquevort
À Boninne, dans le Namurois, la famille Crevits fait tourner son exploitation laitière depuis des années. Bien connus dans le coin, ces éleveurs ont dû se réinventer, s’organiser autrement et, surtout, travailler dur pour continuer à vivre de leurs bêtes. Un portrait de famille qui raconte bien plus qu’une histoire de vaches : celui d’un couple namurois passionné par son métier.
Le message est tombé à 16h30 : « Bonjour, ce soir pour la traite, c’est mieux que tu ne viennes pas. Les génisses ont eu peur de la chasse dans le bois à côté et tout est mélangé… Ce ne sera pas une traite normale. »
C’est signé Marie-Cécile. Même à distance, on sent l’urgence et la vie d’une ferme, rythmée par l’imprévu, les bêtes, la météo, les saisons. Les Crevits sont producteurs laitiers. À Boninne, en région namuroise, tout le monde les connaît, et Marie-Cécile connaît tout le monde.
« Depuis que je suis haut comme ça »Le lendemain, le stress de la chasse est passé, et la traite peut donc se dérouler avec une invitée journaliste. Le soleil tombe sur les prairies, il est déjà 18h. Pour la famille, la journée n’est pas encore finie. Les vaches meuglent dans l’étable.
La ferme Crevits se trouve à quelques kilomètres de Namur, coincée entre les bois de Marchovelette et le village de Boninne. Une ferme familiale, gérée par Marie-Cécile et Marc, accompagnés de leur fils Julien. Tous deux sont nés dans une famille d’agriculteurs ; acheter cette ferme, en 1987, était pour eux une évidence.
Deux étables, divers outils agricoles, de vastes prairies et une petite bâtisse en pierre typiquement mosane à laquelle est accroché un minuscule magasin, signalé sobrement par une banderole verticale : produits laitiers.
Il fait déjà trop froid pour certaines laitières qui préfèrent l’étable, à l’abri du ventÀ l’étable, l’odeur est astringente, la boue omniprésente et les vaches respirent à grand bruit. Au milieu de ses bêtes se trouve Marc, le père : grand, massif, accent namurois à couper au couteau, bonnet et tablier bleus. Il fait penser à un pêcheur breton égaré dans le Namurois.
Tous les jours, à 6h30 et à 18h, Marc s’active. La première étape de la conception de produits laitiers, c’est de récupérer le lait. « C’est pas quelque chose qu’on apprend à l’école, ça », sourit-il. « Je trais les vaches depuis que je suis haut comme ça. »
Marc attache ses vaches aux pompes automatiques. Certaines me regardent, méfiantes. « C’est normal, c’est la race », dit-il « Les laitières, elles sont nerveuses. » Pourtant, autour de lui, elles s’apaisent. Il parle peu, mais son calme se transmet à ses bêtes. Elles sont de dos, et connaissent bien les machines.
Marc protège les pis de possibles infections après la traiteLe lait est pompé des pis, préalablement assainis, et directement envoyé via un système de tuyaux vers une pièce adjacente, où se trouve une grande citerne de collecte. Dans cette pièce, Marie-Cécile, la mère, en détourne une partie pour sa production fromagère, et l’autre pour les veaux. Cheveux courts coiffés en brosse, droite dans ses bottes, le regard vif, une femme qui ne s’arrête jamais. « Les vaches, elles ne sont pas très à l’aise avec moi, mais les veaux, eux, ils me connaissent bien. »
En effet, quelques minutes plus tard, c’est un concert de meuglements quand Marie-Cécile et Julien, son fils, viennent leur apporter leur repas. La nuit tombe vite, et bientôt l’étable n’est éclairée que par les phares du tracteur que conduit Julien. Marie-Cécile plaisante : « J’t’aurais bien invitée à souper, mais on n’a pas fini avant 20 h 30 ! ».
Louka, le chien de ferme, profite des quelques gouttes tombées au sol « Il faut que je retourne mes fleuris »Une fois le lait récolté, écrémé et refroidi, Marie-Cécile doit le mettre en forme. Les Crevits ne sont pas juste passionnés, ce sont aussi des éleveurs qui se sont réinventés. Avant 2009, la ferme ne produisait que du lait. Puis la crise du lait a frappé : 90 000 éleveurs ont été concernés par une baisse de revenus d’au moins 40 %. « On est allés manifester avec Marc », raconte-t-elle. « Une cousine agricultrice m’a alors dit : “Pourquoi tu ferais pas du fromage ?” »
Il est temps pour la fromagère de sortir les fromages pressésPour revaloriser son lait, Marie-Cécile se forme alors au métier de fromagère, elle expérimente, échoue, recommence. Quatorze ans plus tard, elle a un carnet de clients bien rempli et un atelier de produits laitiers « Je fabrique du yaourt, de la maquée, des fleuris, des pâtes pressées… ».
Ici, dans l’atelier, l’ambiance est plus sérieuse : on y retrouve plusieurs outils, machines ou étalages en métal. Marie-Cécile retourne rapidement une trentaine de petits ballotins pour que l’humidité reste parfaite, étape essentielle à leur affinage. Emballées dans leurs étamines, les pressés attendent que la fromagère leur donne leur bain de saumure, une eau saturée en sel qui prévient l’apparition de moisissures néfastes.
Ici tout est fait main, chaque étape prendra le temps qu’il faudra « Nous, on n’a pas l’impression qu’on est connus… »L’endroit est éclairé par de gros néons bleus. Dans le fond de la pièce, une imposante barrique en chêne sépare le petit-lait, à côté de la presse en bois, patinée par le temps. Rien n’est automatisé. « Ça fonctionne encore, pas besoin de changer ! »
Certains produits, eux, ont besoin de plus de soin et de temps. C’est le cas des fromages à raclette que Marie-Cécile affine depuis déjà un mois. « Tu veux venir voir la cave ? »
Marie-Cécile insiste pour utiliser cette cave, si elle change elle a peur d’altérer le goût de ses fromagesElle me guide derrière le magasin, zigzaguant entre les caisses de lait et les outils, jusqu’à l’entrée d’une vieille cave voûtée en pierre, à l’air humide et tiède. « Attention à la marche ! »
On descend un escalier de pierres bleues vers une petite pièce où, sur des planches posées sur des tréteaux, reposent près de 160 meules de fromage. Ortie, nature, provençal… Marie-Cécile trempe un chiffon dans la saumure et les lave, une par une, avec un soin méticuleux. « On commence toujours par les plus vieux », explique-t-elle. « Comme ça, les jeunes profitent des bonnes bactéries. »
L’affinage prend du temps, ce fromage a seulement quelques semainesOn entend un tic régulier venant des tuyaux de la chaudière, on courbe le dos pour ne pas se taper la tête contre les murs. Pas très efficace comme lieu, alors je lui demande si elle n’a jamais songé à s’agrandir. Elle marque une pause, une meule de provençal à la main. Puis elle me dit : « S’agrandir, ça veut dire produire plus, vendre plus. Et c’est là que commencent les emmerdes. Et puis, les clients aiment le fromage que je vends, si je change de cave, j’en change le goût. Peut-être qu’ils ne viendront plus. »
Elle regarde l’horloge. Treize heures déjà. « Mon Dieu, je commence à avoir faim ! » La famille n’a pas encore déjeuné. Au loin, Julien conduit le tracteur pour aller nourrir les animaux. La fromagère plaisante : « Chez nous, on mange que quand tout le monde a mangé ! »
« Je te sers quoi ? »La dernière étape dans leur production à petite échelle, c’est la revente des produits. Une partie du lait est envoyée brute aux laiteries, notamment pour en faire de la poudre, une autre revendue transformée à des restaurants, des marchés, ou même des golfs…
Marie-Cécile a un carnet de commande chargé qu’elle supervise grâce à son téléphoneLes Crevits gardent néanmoins leur petit magasin, où une partie des produits de Marie-Cécile sont vendus directement aux consommateurs. À l’entrée du point de vente, une grosse cloche en fer forgé, qui retentit toute la matinée pour indiquer qu’un client est arrivé. Dans la cour, une voiture se gare. Une cliente descend, six bouteilles de verre à la main. Elle sonne la cloche. Marie-Cécile lui emboîte le pas vers le magasin et lui tient la porte.
C’est une pièce assez exiguë, encombrée de produits variés. Derrière le comptoir, une simple table de bois, un vieux frigo ronronne rempli de yaourts aux mirabelles, raclette, fromage frais et pâtes pressées. Sur le mur du fond, des coupures de la presse locale retracent la vie du couple et les histoires agricoles de la région. L’ensemble peut paraître encombré, mais tout est en fait aménagé avec soin, des piles de lait d’Ardenneà la vieille balance en fer.
Marie-Cécile remplit les vidanges de sa cliente directement avec le lait du jour, tout en bavardant : des enfants, du voisinage, du temps. Une autre cliente repart avec du yaourt à la fraise en vrac. Dans le va-et-vient de la matinée, une chose ressort : ici, on revient, on papote, on prend des nouvelles. La convivialité est aussi locale que le lait.
Marie-Cécile est une femme très occupée, on la voit rarement faire une pauseEntre deux clients, elle essuie ses mains sur son tablier, enfile sa charlotte et repart à l’atelier. À les voir s’activer ainsi, j’en viens à me demander s’ils prennent des vacances. « On a pris un jour de congé avec Marc la semaine dernière, on était dans les bouchons vers la côte. J’aime pas les bouchons, dans ces moments-là, je me dis que je serais bien mieux chez moi. » Une famille à l’ancrage bien local, les Crevits.
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Luc Hennart: « Le pouvoir judiciaire est mort »
Dans les salles d’audience bruxelloises, les remises se multiplient et les dossiers s’empilent. Entre manque de moyens et audiences saturées, les retards s’enchaînent. Jusqu’où un système surchargé peut-il tenir sans s’effondrer ? L’ancien président du Tribunal de première instance, Luc Hennart, ne mâche pas ses mots.
Dans la salle 01.4 du Tribunal correctionnel de Bruxelles, l’audience de l’après-midi commence dans un léger flottement. Plusieurs dossiers sont inscrits au rôle, mais le premier est immédiatement reporté : le prévenu et ses parents sont absents, renvoi à mi-décembre. Le dossier suivant connaît le même sort ; il réapparaîtra fin décembre. Quelques minutes plus tard, le juge constate, presque résigné, qu’il devra justifier une « audience blanche ».
Enfin, un dossier peut être traité. À la barre, une affaire enregistrée en 2017 : celle d’un jeune garçon, mineur au moment des faits, impliqué dans une agression sexuelle reconnue comme accident de travail. La victime, indemnisée par sa compagnie d’assurance, a été écartée du monde professionnel pendant plus d’un an. L’assureur, désormais partie civile, tente de récupérer les 24.000 euros versés. « Ce n’est pas l’affaire la plus simple« , glisse l’avocate de la compagnie.
Selon elle, le passage obligatoire par le tribunal de la jeunesse a déjà rallongé les délais : « le tribunal de la jeunesse a renvoyé le dossier par jugement de juin 2019 ». Puis ont suivi les remises successives, pour une raison simple : « le tribunal a trop d’affaires à traiter et donc, il doit faire des choix« . Et ces choix se font souvent en défaveur des dossiers où le prévenu est en liberté. « Les personnes qui sont détenues ont toujours priorité pour passer en audience », explique-t-elle. Ce jour-là, la scène se répète : renvois, contraintes d’agenda, dossiers repoussés à une date ultérieure. Un fonctionnement devenu quotidien.
Une justice qui prend l’eauPour Me Thomas Puccini, avocat pénaliste, ces retards en cascade ne sont plus des anomalies: ils sont structurels. « Il y a de plus en plus de dossiers fixés devant les tribunaux et on ne donne pas les moyens aux juges« , déplore-t-il. Dans une audience de trois heures et demie, les magistrats doivent traiter les introductions, les dossiers fixés et les prononcés, une équation qu’il juge « ingérable ».
« Si on ne donne pas les moyens, on bricole« , poursuit-il. Alors, les dossiers pénaux s’étirent ; deux, trois, dix ans parfois. Les victimes s’épuisent. Les parties civiles renoncent.
Dans les couloirs du tribunal, les avocats partagent le même constat : une justice ralentie, saturée, qui accumule les retards à chaque imprévu. Une avocate malade, un prévenu absent, un autre détenu qui passe en priorité… et c’est toute l’audience qui se déséquilibre. « C’est 3 heures qui doivent être remises à une autre audience. Donc ça veut dire que d’autres dossiers ne pourront pas être pris« , résume l’avocate de la compagnie d’assurance.
La méthode HennartAu cœur de ce système à bout de souffle, un homme assure pourtant qu’une autre organisation est possible. Durant douze ans, Luc Hennart a dirigé le Tribunal de première instance de Bruxelles. Son mot d’ordre : éliminer les pertes de temps. « Plus vous donnez du temps pour faire les choses, plus les choses prennent du temps« , résume-t-il. À l’époque, tout ce qui pouvait être tranché dès l’introduction l’était, évitant des mois d’attente pour des litiges mineurs.
Au pénal, il défendait des procédures accélérées : une personne interpellée comparaissait 15 jours après et recevait un jugement quelques jours plus tard. « En un mois et demi, c’est fini », dit-il. Cette rapidité permettait de juger les faits alors qu’ils étaient encore frais. Le résultat ? Un taux de récidive de 2 à 3 %, contre 60 % dans les procédures traditionnelles. Et Luc Hennart revendique clairement cette efficacité : « Quand j’ai quitté le poste de président, il n’y avait plus d’arriéré judiciaire dans quelque domaine que ce soit au tribunal de première instance francophone.«
Pour absorber l’afflux de dossiers économiques et financiers – des affaires longues, volumineuses, souvent “mammouths”, dit-il – il avait décidé d’augmenter le nombre de chambres spécialisées. « Si j’avais deux chambres financières, je les ai, à un moment, portées à cinq« , résume-t-il. L’idée était simple : plus de juges affectés à ces matières, c’est une meilleure capacité d’absorption.
Mais il pointe un autre problème, plus structurel : la dérive des dossiers eux-mêmes. « Aujourd’hui, vous avez une forte tendance à en faire des dossiers colossaux, des milliers de pages, des dizaines de fardes… et les trois quarts sont totalement inutiles. » Selon lui, le système produit lui-même son propre engorgement en multipliant procès-verbaux et ramifications inutiles. « Les juges n’agissent jamais d’initiative. Ils ne font que traiter ce pour quoi ils sont saisis. Et quand on multiplie les PV, on multiplie mécaniquement les dossiers.«
Il faut arrêter de vouloir régler un phénomène de société
Luc HennartSon avis sur la situation actuelle est tranché : « Pour moi, le pouvoir judiciaire est mort aujourd’hui« . Lorsqu’on lui demande comment sortir de l’impasse actuelle, sa réponse est sans détour : « Il suffit de gérer ». Pour lui, la solution n’a jamais été hors de portée. Il défend une justice qui se concentre sur sa mission essentielle : juger. « Il faut arrêter de vouloir régler un phénomène de société. Le rôle du juge n’est pas de résoudre le trafic de stupéfiants dans son ensemble. Notre rôle, c’est de juger Luc Hennart qui a vendu des stupéfiants », plaisante-t-il. Une justice qui pourrait, selon lui, retrouver son efficacité si elle réadoptait une organisation « exigeante, structurée et assumée ».
Paul Dhaeyer nuanceL’actuel président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, Paul Dhaeyer, nuance le diagnostic de son prédécesseur. Selon lui, « l’allongement des délais judiciaires et l’arriéré judiciaire sont deux notions différentes ». Et l’essentiel du retard ne se situe pas dans le fonctionnement interne du tribunal. « Au tribunal, en tant que tel, il n’y a plus d’arriéré judiciaire (…) Moi, je n’ai pas de liste d’attente. » Pour lui, ce qui prend du temps, c’est avant tout la mise en état des dossiers par les parties, un mécanisme sur lequel les juges n’ont aucune prise : « Les parties (…) sont parfaitement libres d’échanger leurs conclusions pendant quatre ans. »
Il rejoint néanmoins l’analyse de Luc Hennart sur un point : les remises sont parfois trop faciles. Il dit avoir modifié les pratiques : « On accorde une remise que s’il y a vraiment besoin de faire un acte supplémentaire.(…) En principe, le juge doit refuser les remises.«
Quant à la formule choc de son prédécesseur — « le pouvoir judiciaire est mort » — Paul Dhaeyer la nuance, sans l’infirmer totalement : « Non. Mais par contre, il est moribond. » Pour lui, la fragilité du système découle d’un contexte plus large, celui d’un État et d’une démocratie en crise : « Le pouvoir politique ne sait pas où il va (…) Et en ça, effectivement, il y a un danger. » Il va jusqu’à estimer que si rien ne change, « la justice aura perdu 80% de sa substance » dans dix ans.
Retour au tribunal correctionnel. À la fin de l’audience, alors que chacun range ses dossiers, l’avocate de la compagnie d’assurance résume ce que tous semblent penser : « En fait, c’est un retard en cascade qui s’enchaîne » .
Les chiffres lui donnent raison : d’après le Barreau de Bruxelles, la cour d’appel a accumulé 15.000 dossiers non résolus. Certains justiciables attendent plus de sept ans pour une décision finale. Pendant ce temps, victimes, familles et prévenus attendent. Encore. Toujours.
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« No antibiotics »: l’étiquetage qui interpelle
© Emma Verralewyck
Avez-vous déjà acheté un produit étiqueté « no antibiotics »?
La mention “élevé sans traitement antibiotique” apparaît sur des produits boucherie en supermarché. Elle rassure, elle attire l’œil mais que signifie-t-elle réellement ? Derrière cette étiquette, il y a des pratiques d’élevage, une réglementation européenne stricte, un soupçon de marketing et surtout un enjeu majeur de santé publique : l’antibiorésistance.
Mammouth revient sur le rôle des antibiotiques en élevage et sur les risques liés à leur utilisation abusive. Une directive européenne datant de 2006 interdit l’ajout d’antibiotiques dans la nourriture comme promoteurs de croissance et réduit son utilisation à un usage thérapeutique. Ces mesures ont été mise en place pour éviter l’augmentation de l’antibiorésistance.
L’AMCRA (Centre de connaissances concernant l’utilisation des antibiotiques et l’antibiorésistance chez les animaux) indique observer une baisse de 60% de l’utilisation des antibiotiques chez les animaux depuis 2011 grâce à ces mesures et à la surveillance instaurée.
Mammouth questionne également pourquoi certains labels choisissent d’aller encore plus loin dans leurs démarches contre l’’utilisation d’antibiotiques puisqu’il n’est pas possible d’en retrouver des traces dans la viande commercialisée.
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IPM – Rossel : Comment garantir le pluralisme ?
Depuis l’annonce du rachat d’IPM par Rossel, les journalistes et experts du secteur mettent en garde sur l’atteinte au pluralisme et présentent des perspectives à envisager.
C’était un projet dans l’air depuis quelques mois déjà mais son annonce a eu l’effet d’une bombe dans le paysage médiatique francophone. Le 25 juin dernier, le groupe Rossel affirme sa volonté de détenir l’éditeur concurrent IPM. Concrètement, en échange de la cession de ses titres l’Avenir, La DH les sports + et La Libre, La famille Le Hodey, qui détient IPM, rentrera dans le capital de Rossel à hauteur de 10%. Si certains journalistes ont été surpris par le projet, d’autres s’y attendaient depuis quelques mois. « C’est un mariage de raison », avance Ricardo Gutiérrez, le secrétaire général de la Fédération Européenne des Journalistes (FEJ). « L’élément déclencheur, c’est la fin de l’aide à la distribution de la presse. Cette dernière décision prise sous le gouvernement De Croo a accéléré la crise financière qui était déjà présente. Alors entre un risque de faillite et un mariage sans amour, le choix est évident. Même si on ne s’aime pas, on se met ensemble pour notre survie », poursuit-il. « Il y a aussi la réduction de la visibilité des contenus journalistiques sur Meta (Facebook). Ça n’aide pas la presse écrite et on peut aussi citer la perte de confiance dans les médias », ajoute Martine Simonis, la secrétaire générale de l’AJP, l’Association des Journalistes Professionnels.
Je n’ai pas connaissance d’un autre exemple de monopole en Europe
Ricardo Gutiérrez – secrétaire général de la FEJDans l’histoire de la presse écrite belge francophone les titres de presse n’ont cessé de se regrouper. Alors qu’en 2004, les 7 titres de presse quotidienne francophone sont répartis en 4 groupes distincts (Rossel, IPM, Mediafin et Corélio), prochainement, ils seront réunis en un seul groupe. L’entreprise Rossel élargie avec les possessions d’IPM détiendra 94% du marché de la presse écrite francophone. Une situation inédite à l’échelle du vieux continent. « Je n’ai pas connaissance d’un autre exemple de monopole en Europe. C’est une situation très préoccupante pour le pluralisme. La Belgique n’est déjà pas une bonne élève puisqu’elle figure déjà parmi les 8 pays européens où la concentration des médias est la plus importante. Mais avec cette nouvelle annonce, cela va s’aggraver », complète Ricardo Gutiérrez. Pourtant, le pluralisme des médias est une obligation démocratique. Et depuis le 8 d’août 2025, une nouvelle règle européenne est venue renforcer l’importance de l’indépendance et du pluralisme dans les médias. « Il s’agit du European Media Freedom Act (EMFA). De nouvelles règles s’appliquent dans l’Union Européenne pour garantir cette indépendance des médias. Pourtant, on remarque une dichotomie quand on regarde les nouvelles lois des gouvernements envers les médias », développe Martine Simonis.
Nous voulons des garanties fortes sur le pluralisme de l’information, le maintien des titres, des lignes éditoriales, des équipes et des sociétés des journalistes
Martine Simonis- Secrétaire générale de l’AJPÀ l’aube de l’été, la fusion entre IPM et Rossel prévoyait dû être bouclée pour 2026, mais l’AJP affirme que l’Autorité Belge de la Concurrence n’a pas encore été officiellement saisie du dossier. « Non, pas Officiellement. Mais de nombreuses consultations ont déjà été entreprises. Nous avons été écoutés. Nous avons transmis nos inquiétudes sur le pluralisme et sur l’emploi », indique Martine Simonis. « Dès que nous avons appris l’annonce de cette fusion on s’est rassemblé avec les différentes SDR (la Société Des Rédacteurs, les représentants des journalistes) et les experts du secteur. Et nous avons préparé une position commune à tous les titres que nous avons défendue devant l’ABC. Nous n’allons pas nous opposer à cette fusion mais nous voulons des garanties fortes qui concernent les matières de pluralisme de l’information, le maintien des titres, des lignes éditoriales, des équipes et des sociétés des journalistes ».
Lors de leurs entrevues avec l’Autorité Belge de la Concurrence, l’AJP et la FEJ ont aussi partagé des solutions ou des gardes-fous à mettre en place. Entre garanties et exemples tirés d’autres pays, deux mécanismes ont été évoqués. De son côté Ricardo Gutiérrez attire l’attention sur le système des fondations créées aux Pays-Bas après le rachat de RTL Pays-Bas par DPG. « Ces fondations seraient indépendantes et propres à chaque titre du grand groupe. Grâce à ces fondations, les titres auraient une autonomie par rapport au conseil d’administration du groupe ». De son côté, l’Association des Journalistes Professionnels avance une autre piste, plus théorique, dénommée « Golden Chair ». « Cela demanderait de créer une structure commune aux différentes sociétés des journalistes. Par le biais de ce qu’on appelle un golden chair, la structure aurait un droit de véto. Elle pourrait par exemple l’utiliser pour s’opposer à une prochaine décision de fusion du groupe avec un autre ». Des solutions sont donc sur la table mais il reste à voir si ces pistes seront suivies par le rapport de l’ABC.
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Les secrets du Palais de Justice de Bruxelles
Le Palais de Justice de Bruxelles regorge d’éléments invisibles au premier regard, ainsi que de détails que l’on croit connaître, mais dont l’histoire s’avère bien plus profonde. Peu de personnes en maîtrisent les secrets aussi bien que Stéphane Van Reeth, gardien du vestiaire des avocats et véritable mémoire vivante des lieux. Fin connaisseur des secrets du Palais, il est l’auteur d’un livre à paraître à ce sujet(*). Il nous emmène à la rencontre de quelques-unes de ses trouvailles.
La fresque qui dérangeAprès les incendies de 1944, l’arrière du Palais de Justice a dû être reconstruit. Lors de ces travaux, le conservateur, un architecte chargé de la restauration du bâtiment, a demandé à trois artistes, Louis Deltour, Edmond Dubrunfaut et Roger Somville, de réaliser une fresque dans le couloir du tribunal du commerce. L’œuvre volontairement non signée est aujourd’hui appelé « Le Port », mais son titre original était « Prolétaire de tous les pays, unissez-vous ». Elle représente une prostituée qui récupère le poisson auprès des femmes, tandis que les trois pêcheurs figurés, qui sont en réalité les trois peintres eux-mêmes, apportent leur pêche.
Dans les années 50, la fresque a provoqué un véritable scandale. Le président du tribunal du commerce la détestait et, chaque fois qu’il traversait le couloir, il donnait des coups de canne, et même de couteau dans la peinture, traces que l’on peut encore voir aujourd’hui.
La Régie des Bâtiments a reproché aux trois peintres de ne pas avoir obtenu d’autorisation pour réaliser l’œuvre. Mais une fresque, intégrée au mur, n’était pas interdite par le règlement. Des analyses ont donc été menées pour prouver qu’il s’agissait bien d’une fresque au sens technique du terme.
Ironie du sort : dans les années 1970-1980, faute de place pour aménager des salles d’audience, ce couloir a été transformé en salle… où l’on jugeait les affaires commerciales. « Cette fresque, qui dénonçait le capitalisme et les dérives du commerce, s’est donc retrouvée à orner une salle du tribunal du commerce lui-même », sourit Stéphane Van Reeth.
la peinture Coups de canne dans
la peinture Quand une statue obligea le Palais à tirer le rideau
Après les peintures qui font débat, ce sont aussi les statues qui ont suscité des remous à l’époque. La statue de la Charmeuse de serpent, qui se trouvait initialement à côté de la fresque, a été déplacée vers le grand couloir qui était l’entrée principale du Palais. En entrant, les magistrats se retrouvaient face au grand escalier, et apercevaient la statue… de dos. La vue donnait directement sur les fesses de la Charmeuse, ce qui a rapidement été jugée inacceptable. Pour éviter cela, une barre a été installée au-dessus de l’œuvre afin d’y suspendre un rideau. Stéphane Van Reeth explique : « Un petit jeu s’est alors instauré : certains s’amusaient à ouvrir le rideau, et quelques heures après quelqu’un le refermait déjà ». Le rideau était encore présent en 2015. On disait souvent à l’époque que le Palais récupérait tous les « brouillons » du musée des Beaux-Arts. En effet, le bâtiment abrite de nombreux brouillons des sculptures. La Charmeuse de serpent en fait partie : c’est un modèle qui n’a jamais été réalisé en marbres au final, ce qui en fait une pièce unique, conservée uniquement dans sa version d’étude.
L’avant de la statuela Charmeuse de
Serpent L’arrière de la statue
avec la barre du rideau
encore présente Des ombres chinoises sauvées in extremis
Dans le vestiaire des avocats, le principal lieu de travail de Stéphane, on trouve plusieurs silhouettes en fer. Il y a quelques années, des responsables du Palais de Justice ont voulu s’en débarrasser estimant qu’il s’agissait des vieilleries et souhaitant libérer les murs. Stéphane est immédiatement intervenu : lui savait ce que ces silhouettes représentaient.
Ces silhouettes avaient été utilisées lors d’un spectacle réalisé par des avocats, qui y avaient créé des ombres chinoises, à la manière du cabaret du Chat Noir à Paris. On y reconnaît des ministres, des avocats, ainsi que le gardien du vestiaire, identifiable à sa casquette. Stéphane, qui avait retrouvé le texte d’origine du spectacle, a pu authentifier ces silhouettes conservées dans le vestiaire des avocats.
Heureusement, Stéphane avait demandé leur préservation, car quelques années plus tard, un conservateur du Musée des Beaux-Arts lui a déclaré : « Vous possédez dans cette pièce, la plus grande collection intacte de silhouettes en zinc ». Car ces œuvres étaient fragiles et destinées à être temporaires, il n’en reste que très peu de traces : quelques photos et quelques pièces conservées. Le Musée des Beaux-Arts eux n’en conserve peut-être que trois ou quatre, tandis qu’une dizaine sont encore présentes dans le vestiaire des avocats au Palais de justice.
(*) « Joseph Poelaert et les aventures très-illustrées du Palais de Justice de Bruxelles » de Stéphane Van Reeth paraîtra en 2026
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Libye : le prix de la politique migratoire de l’UE
©Pixabay
En 2024, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), 21 700 migrants ont été interceptés en mer Méditerranée et renvoyés en Libye. Dans ce pays, nombre d’entre eux ont été victimes d’enlèvements, de torture, d’esclavage ou encore de violences sexuelles, selon Amnesty International. Ces violations se produisent-elles avec le consentement de l’UE ?
Depuis la chute du chef d’état libyen Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye traverse une période d’instabilité politique. Deux autorités principales s’y opposent :
• À l’ouest, le Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par l’ONU.
• À l’est, l’Armée nationale libyenne (LNA).
Autour de ces deux autorités gravitent une multitude de milices et de groupes armés, dont l’influence dépasse souvent celle des institutions officielles. Cette fragmentation du pouvoir empêche l’État d’exercer un contrôle réel sur le territoire et ouvre la voie à de nombreuses violations des droits humains. Cette instabilité libyenne sert de cadre à la politique européenne d’externalisation des frontières.
Le principe est simple : l’Europe ne protège plus seulement ses frontières… elle les déplace. Elle délègue le contrôle migratoire à des pays tiers comme la Turquie, le Maroc et la Libye qui deviennent en quelque sorte les nouveaux garde-frontières de l’UE. Or, La Libye est un pays central sur la route migratoire de la Méditerranée
Depuis 2016, l’Union européenne a versé une aide de 465 millions d’euros pour la gestion des migrations et des frontières à la Libye. La Commission refuse de divulguer l’utilisation exacte de ces fonds et a même été reconnue coupable, par le médiateur de l’UE, de mauvaise administration pour ce manque de transparence.
Mais pourquoi cette coopération avec la Libye pose-t-elle problème ?
L’ONG Sea-Watch a recensé au moins 54 incidents violents commis par la « garde côtière libyenne » : tirs, poursuites de bateaux en détresse, entrave aux sauvetages, menaces, violences physiques, abandons de corps en mer, détournements de navires humanitaires. Des enquêteurs mandatés par l’ONU estiment que la coopération de l’UE avec la Libye a aidé et encouragé des violations du droit international – jusqu’à des crimes contre l’humanité. Amnesty International parle d’une coopération « dépourvue de moralité », et dénonce la complicité de l’UE dans les violences infligées aux personnes.
Cette politique d’externalisation maintient donc des dizaines de milliers de personnes dans un pays qui n’est pas sûr pour eux.
« La coopération migratoire de l’UE avec les autorités libyennes revient à se rendre complice d’horribles violations des droits humains. »
Eve Geddie, directrice du Bureau européen d’Amnesty International
En octobre 2025, 38 députés européens ont appelé la Commission à mettre fin à tout soutien aux forces de sécurité libyennes. Ils dénoncent les violences et abus perpétrés contre les migrants par la Garde-côtière et la Direction de lutte contre la migration illégale, l’autorité responsable des centres de détention. Ils demandent que l’Union européenne cesse immédiatement de financer ces pratiques.
Peter Stano, porte-parole du SEAE (Service européen pour l’action extérieure), affirme que l’UE ne finance aucune entité libyenne.
L’Union explique que tout l’argent passe par des organisations internationales comme l’OIM (l’Organisation internationale pour les migrations) ou le HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), et non par les autorités libyennes accusées d’abus. Elle rejette les accusations selon lesquelles son argent contribuerait aux abus en Libye, et affirme au contraire que les fonds servent à protéger les migrants.
Face à ces critiques, l’Europe pourrait-elle changer son approche ? Elle dit prendre « au sérieux » les critiques de l’ONU et considère “ces alertes comme un stimulant pour travailler davantage avec ses partenaires afin d’améliorer la situation”, selon Peter Stano.
Mais dans les faits, aucune mesure n’est annoncée. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a ainsi réaffirmé dans une lettre adressée aux 27 États membres de l’UE la volonté de l’Union de collaborer avec la Libye afin de limiter les départs depuis les côtes sud de la Méditerranée. L’UE prévoit un budget de référence de 52 millions pour cette coopération, couvrant la période du 1er juillet 2025 au 30 juin 2027.
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«C’est pas la note qui va définir qui tu es »
Cette scène que beaucoup d’élèves connaissent par cœur : la veille de recevoir un bulletin, les mains tremblent un peu, le cœur s’emballe, les parents attendent. Et ce chiffre qui prétend résumer des mois d’efforts, d’erreurs, et d’apprentissage. Mais aujourd’hui, un vent de changement souffle sur des écoles. En Belgique, plusieurs établissements expérimentent un monde… sans bulletin. Un monde où la progression compte plus que le classement. Une révolution pédagogique fragile, ambitieuse et profondément humaine.
Ce n’est pas la note qui va définir qui tu es
Tristan Nottet (enseignant à l’Athénée Léonie de Waha de Liège)Le bulletin : rassurant pour certains, stressant pour d’autres
À l’origine simple outil de suivi, le bulletin scolaire est une sorte de boussole pédagogique : notes, compétences, appréciations. Pour certains élèves et parents, il reste rassurant voir même un repère clair. Mais pour d’autres, il est synonyme d’angoisse, de comparaison et de sentiment d’échec. Il illustre ce que Thomas Michiels, professeur à l’UCL et Chargé d’études à Changement pour l’égalité, décrit comme les effets destructeurs du classement et de l’humiliation liés aux notes. L’enseignant évoque « des classifications humiliantes » et « le stress des épreuves » imposés par la logique de compétition scolaire. « Si l’évaluation stimule certains élèves, elle en démotive beaucoup d’autres et cause de l’anxiété ». Thomas Michiels (UCL, CGé)
Facile à dire, pas facile à faireEn Belgique, certaines écoles ont sauté le pas : Saint-Dominique (Schaerbeek), Frangelico (Evere) ou encore l’athénée Léonie de Waha et la Cité École Vivante (Liège).
Certaines de ces institutions n’ont pas encore assez de recul pour porter un regard critique sur cette nouvelle approche mais une idée commune les relie : arrêter de réduire les élèves à des points.
Sur le terrain, la mise en place n’est pas si simple. Pour les enseignants, cela implique une autre manière d’évaluer. Et pour certaines familles, la suppression de notes n’est pas compréhensible. Habitués au modèle traditionnel, beaucoup de parents sont encore attachés aux moyennes et aux pourcentages.
Les écoles repensent entièrement leurs approches afin de les accompagner dans cette nouvelle dynamique, moins centrée sur la « mise en case » et davantage sur les progrès individuels. La communication école-famille doit donc être repensée : expliquer, rassurer, accompagner.
Les parents sont habitués à se raccrocher à une note, ça peut donc être frustrant pour eux
Tristan NottetComment les professeurs présentent ce système aux élèves? Le passage d’une notation traditionnelle vers une pédagogie active est plus facilement compréhensible pour certains élèves.
C’est ce que nous dit Tristan Nottet : « Les points n’existent plus, mais à la place on met un commentaire écrit pour chaque exercice qu’il a fait »
Enseignant, Alain, s’intéresse à cette nouvelle approche. Il est membre du CEMÉA (Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active) qui promeut une pédagogie misant sur la participation active et l’autonomie des élèves. Il nous confie qu’aujourd’hui, les bilans ne servent presque plus aux élèves ou aux parents. Ils sont principalement un outil permettant aux enseignants de situer le niveau et vérifier les apprentissages. » Ces bilans servaient à 70% pour moi, 20% pour l’élève et à 10% pour les parents. » Alain
Qu’est-ce que ça veut dire avoir 51 % ? Le CEMÉA le rappelle, le système éducatif traditionnel a formaté les élèves à se demander : « Est-ce que ça compte ? », « Ça vaut combien ?». Supprimer les notes sans repenser l’approche pédagogique comporte plusieurs risques. Parmi eux, le manque de motivation, la comparaison et la triche.
En effet, les attributions de couleurs sont des chiffres déguisés, si on supprime les notes mais qu’on garde la même manière d’enseigner, l’élève est en perpétuelle comparaison avec ses camarades. « La preuve c’est qu’on a des élèves qui veulent tricher. » Tristan Nottet
Humaniser l’enseignementSupprimer les bulletins fait partie d’un mouvement international appelé l’ungrading. L’idée est de remettre l’apprentissage au centre. L’élève progresse sans objectif chiffré, ce qui renforce la motivation intrinsèque. Ainsi, le feedback individualisé est pensé pour cela : commenter, expliquer, guider l’élève.
Tanguy Wéra enseignant à l’Athénée Léonie de Waha de Liège est conscient que l’auto évaluation est un bon moyen car elle permet à l’élève d’apprendre à s’évaluer lui-même. «Pour certains c’est un bon outil et on voit que ça les fait progresser. Pour d’autres c’est naturel mais c’est même une charge. »
Si les notes disparaissent, comment les enseignants valident-ils alors les acquis des élèves ?
Tristan Nottet est co-auteur d’un projet de décret sur l’évaluation pendant ces études de sciences de l’éducation. La transition vers un système sans notes n’est pas évidente, le problème n’est pas le bulletin mais la manière dont on évalue.
L’objectif ? L’abandon des notes chiffrées au profit d’un feedback informatif, rédigé de manière constructive et individualisée. « Á la place d’un 8/10, les élèves doivent ramener un acquis : ce n’est pas une solution»
Le bulletin ne devrait être qu’une feuille de route pour guider l’élève vers un apprentissage plus long
Tanguy Wéra Japon : le prix de l’excellenceAu Japon, la course aux notes est telle qu’elle alimente des phénomènes dramatiques : ijime (harcèlement), hikikomori (isolement), anxiété chronique…
En 2023, plus de 513 collégiens et lycéens se sont suicidés, d’après l’étude de Nippon. Même là où des bulletins ont été supprimés, la pression sociale, omniprésente, continue d’écraser les élèves. Un miroir extrême, mais révélateur puisque même sans bulletin il y a toujours une pression sociale culturelle.
D’après l’Unicef, le taux de suicide des jeunes japonais figure comme la quatrième plus élevé du monde étant classé 32ᵉ sur 43 pays par rapport au bien-être.
« Ça ne changera pas grand-chose»La transition vers un système sans bulletin est prometteuse, mais elle reste complexe : enseignants, élèves et parents doivent désapprendre des réflexes profondément installés. Le bien-être scolaire dépend de l’accompagnement, pas de l’absence de notes. Les bulletins peuvent évoluer : notes, couleurs, feedback, auto-évaluation… La question centrale n’est pas de supprimer ou de garder, mais de donner du sens à l’apprentissage.
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Avocats en devenir : la charge émotionnelle d’un métier exigeant
Crédit photo : libre de droit – Pexels
Derrière la toge et l’image d’un métier prestigieux, les futurs avocats affrontent une réalité moins visible : dossiers lourds, pression constante et charge émotionnelle. Une avocate-stagiaire, un étudiant en droit et une avocate expérimentée, dessinent un fil rouge révélateur : la formation prépare au droit, mais peu à l’humain. Malgré l’existence de dispositifs d’aide, le malaise reste souvent silencieux.
Pour Léa*, avocate-stagiaire au Barreau de Bruxelles, la première immersion dans le métier remonte à la rhéto, lors de trois jours d’observation chez un juge d’instruction. Chez Noé Henryon, étudiant en bac 2 à l’UCLouvain, la passion pour le droit vient de sa famille. Quant à Maître Catherine Marreau*, avocate en droit immobilier, droit civil et droit d’entreprise forte de 36 années de pratique, elle a grandi dans un environnement où le droit était omniprésent.
Trois générations, trois époques, mais un constat commun : l’entrée dans le métier est un choc. Léa découvre l’intensité du quotidien et la responsabilité directe sur chaque dossier. Noé anticipe déjà la pression qui accompagne la moindre décision. Maître Marreau se rappelle lors de ses débuts de son sentiment d’impréparation après ses études. Un rythme qui peut rapidement les submerger. Comme résume Léa : « On fait du 50 heures semaine, c’est un rythme soutenu. On a de vraies responsabilités, de vrais clients, de vraies vies entre les mains. »
Quand la théorie rencontre la réalitéPour Léa, le choc est immédiat : les dossiers sont concrets, les responsabilités directes, et chaque décision a un impact réel. Il faut apprendre à gérer le stress, à prendre du recul face à la gravité des affaires et à dissocier l’humain de l’acte. Noé, encore étudiant, constate que le droit universitaire reste très théorique et loin de la dimension humaine. Il se prépare à intégrer cette dimension émotionnelle en étudiant l’être humain autant que le droit.
Pour Maître Marreau, le constat est identique, mais avec le recul de l’expérience. Après ses études à l’ULB, elle se sentait « nulle part », incapable de maîtriser tous les aspects du métier d’avocat. Il lui a fallu du temps pour trouver sa zone de confort et gérer fatigue, syndrome de l’imposteur et pression constante. « Comme un médecin doit s’habituer à la vue d’un cadavre, l’avocat doit apprivoiser la charge émotionnelle. La toge, on l’enfile vite. L’équilibre, c’est plus long. »
Elle apporte également un éclairage sur la « violence » des dossiers : « La violence, il y en a partout dans les affaires, pas seulement dans le pénal, où il y a plus de “violence de sang”. Il n’y a pas vraiment de distinction. Par exemple, lors d’une faillite d’entreprise, il y a des retombées et des conséquences qui dépassent le simple cadre financier. La distinction se fait plutôt dans la complexité de certains dossiers, que ce soit au niveau des faits, du juridique, de l’émotion ou autre. »
Le fossé entre théorie et pratique impose un apprentissage intense : maîtriser les textes n’est qu’une partie de l’équation ; la gestion de l’humain et du stress s’acquiert avec l’expérience.
Des dispositifs d’aide limitésLe Barreau a mis en place des dispositifs pour soutenir ses membres : cellule d’écoute, commissions et services d’aide psychosociale, boîtes à outils anti-stress, et cellules spécialisées contre le harcèlement. Mais ces initiatives restent souvent limitées dans le temps et perçues comme ciblant seulement les situations extrêmes. La cellule d’écoute d’Avocats.be, l’ordre des barreaux francophone et germanophone, le rappelle elle-même dans une tribune : « Il ne s’agit pas d’une prise en charge thérapeutique de long terme. »
Mais Maître Marreau nuance : « Les jeunes ne sont pas livrés à eux-mêmes. Un maître de stage les encadre, et les chefs de colonne les assistent : une structure existe.» Pour autant, beaucoup restent incertains sur la manière de gérer leur santé mentale. Léa avoue ne pas avoir fait appel à ces aides et prend sur elle.
Noé ajoute : « On nous parle beaucoup du fait qu’il faut savoir encaisser la pression, qu’il faut savoir avancer sans reculer et ne pas laisser tomber, mais je trouve que la santé mentale et le fait qu’on reste avant tout des êtres humains, dotés d’émotions, ayant nos propres failles et nos propres difficultés, c’est quelque chose qui n’est pas assez mis en avant, et j’aimerais que cette sensibilité soit plus mise en avant dans la fac de droit. »
Trouver sa distance, un apprentissage longTous s’accordent sur un point : apprendre à gérer la dimension émotionnelle prend des années. Maître Marreau compare : « La toge s’enfile rapidement, mais trouver un équilibre face à la charge émotionnelle demande du temps. »
Même après 36 ans, certaines injustices la touchent encore, mais elle a appris à gérer ses émotions en se concentrant sur l’action : répondre, réparer, avancer. Pour Léa, ce travail avait commencé dès les premières visites en prison pour son stage. Du côté de Noé, l’expérience reste encore théorique, mais la conscience de la pression est déjà présente.
Devenir avocat ne se limite pas à maîtriser le droit : c’est un apprentissage de l’humain, qui se construit avec le recul, l’entourage, la pratique quotidienne et une capacité à se protéger émotionnellement.
Comme le résume Maître Marreau : « Je conseille surtout aux jeunes avocats de bien s’entourer et, s’ils ont la chance de tomber dans un bon cabinet, d’y trouver soutien et accompagnement. »
Le droit s’apprend dans les livres, mais devenir avocat s’apprend dans la vie, et jamais seul.
*Le nom a été modifié pour protéger la confidentialité de la personne.
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