Carte blanche à Roger Job

20.12.2011
Pourquoi Elio Di Rupo a-t-il choisi ce photographe belge, diplômé de l'IHECS en 1987, pour couvrir l'actualité de sa première semaine en tant que Premier Ministre? Question à Roger Job.

Suite au reportage 'Dans le premiers pas d'Elio Ier', publié dans l'édition de cette semaine (17 au 23/12/12) de l'hebdo belge Moustique, nous avons contacté Roger Job, un de nos ancien étudiant en journalisme (Presse-Information).

Sa réaction, dans son intégralité

'Je suis assez surpris par le ramdam fait autour de ce reportage ('La Première' est venue m’interviewer à ce sujet, RTL m'a fait une demande et même Olivier Monssens d''On n'est pas rentrés' !) Est-ce la presse belge qui n'a pas l'habitude de ce traitement pourtant journalistique ?

De mon côté, je ne suis pas dans la fascination ni dans l’idolâtrie du pouvoir. Comme pour tous les autres sujets dans lesquels je m'implique, je jouis simplement de la transformation de l'univers inconnu en connu. Ci-joint, mon dernier travail, avec Frédéric Loore, sur la traite des êtres humains dans le monde du foot.

Depuis sept ans, je suis le seul photojournaliste qu'Elio Di Rupo accepte dans son univers.

A certains moments clés de sa carrière et à chaque demande de média voulant placer un photographe, il accepte quand c'est moi. Et pourtant, je ne suis pas son photographe. Je ne travaille pas pour le PS mais pour des médias, ma carte n'est pas celle du parti mais celle délivrée par AJP.

Pourquoi suis-je le photographe autorisé?

Je n'en sais rien. Peut-être parce qu'il sait que mes règles déontologiques sont avant tout humaines. Il sait que je ne cherche pas l'image du spaghetti qui sort de sa bouche lorsqu'il mange des pâtes... par exemple.

Alors, oui, j'ai une liberté totale. Je photographie ce que je vois et comme je le veux. Jamais on ne m'a dit 'pas ci, pas çà'.

C'est assez marrant, car j'ai déjà entendu des journalistes dire de Elio Di Rupo qu'il faisait hyper attention à son image. Alors, grâce à l'expérience, comme un anthropologue, je gère ma distance. Et humaine, et photographique. Je sais quand je peux être très proche, au grand angle, et quand je dois reculer et prendre un petit téléobjectif. Je sais quand je peux mitrailler et quand, à cause du bruit de l'obturateur, je n'ai droit qu'à un ou deux déclenchements. Je profite aussi de la neutralité plus grande et imagée de l'appareil photo. Il est plus facile de faire mon travail en photo qu'en vidéo car comme moi, mon Nikon n'a pas d'oreilles!

Ma liberté? Je la revendique, même si, avec le temps, une certaine complicité s'est installée. Quand je suis avec Elio Di Rupo, je suis en relation avec mon sujet et ça, je le gère; et çan'a rien à voir avec de l'éblouissement.

Empathie n'est pas une forme de soumission ou de sublimation du sujet. J'ai eu le même fonctionnement, deux années durant, avec mes pasteurs nomades du Turkana. C'est un bénéfice de l'expérience acquise avec le temps. Je sais souvent comment Elio Di Rupo va bouger et je sais qu'il sait où je suis, mais je sais aussi qu'il ne construit pas son image avec moi car il n'a jamais mis sa vie en scène avec moi. (D'autres s'en sont chargés bien avant moi).

Je ne saisis que des tranches de vérité, dans des situations réelles et jamais montées, que j'essaye de rendre en images fortes en saisissant l'émotion qui en découle et l'esthétique qui anoblit le cadre.

Tout en faisant le contraire des gens de la Com et du marketing, ces ennemis des journalistes, attachés au primat des apparences, qui voudraient faire croire aux enfants que les poissons ne sont que des fishsticks sous cellophane; je pense avec ces photos là, avoir toujours été plus proche de la vérité que bien des discours.

Comme cette image de Elio Di Rupo en train de dormir dans sa voiture entre deux rdv. Des conseillers voyaient cette prise d'un mauvais œil. Elle a fait une double page dans Paris Match et elle raconte que dans des journées aussi longues, en sillonnant la Wallonie, Elio Di Rupo s'accorde des micro siestes. Cette photo ne dit pas qu'il est un fainéant, elle donne à voir de l'humain.

J'ai aussi l'avantage de photographier un homme qui a beaucoup de charisme, ce mélange de forte personnalité et de style.

Pour le visuel, Elio Di Rupo s'offre pleinement à la photo car sa silhouette longiligne correspond tout à fait aux canons de la mode actuelle. Je pense sincèrement que Pete Souza, qui photographie Obama depuis des années, profite de la même 'règle d'or'. Je m'inscris dans cette démarche.

On a oublié que les 100 premiers jours de Reagan Président ont été photographiés par Salgado.

C'est de cela qu'il faut parler avec vos étudiants.'

Roger Job

Quelques mots sur l'auteur

Roger Job est rédacteur et photographe. Il a obtenu un diplôme en journalisme à l’Institut des Hautes Etudes en Communications Sociales de Bruxelles.

Ses reportages sont publiés en Belgique et à l’étranger : Paris-Match, Elle, Newsweek, The Independant on Sunday, Geo, Le Monde 2, La Repubblica, National Geographic… Ses photographies ont été diffusées par l’agence Gamma jusqu’en 2004 et aujourd’hui par l’agence Reporters.

Son itinéraire photographique l’a mené aux côtés des victimes de catastrophes et de guerres. Prix Reporters sans frontières Belgique en 1992 pour un reportage sur l’exode des réfugiés mozambicains en Afrique du Sud, il a obtenu en 1999 le prix de la Fondation SPES pour son travail sur 'Les derniers Peuples pasteurs de l’humanité'. Il a publié Lettres sans frontières (Complexe, 1994), Congo 2000 (Luc Pire, 2000) et Des Hommes et des Chevaux (Luc Pire, 2004). Ses images ont été montrées à Bruxelles, Paris, Hong-Kong, Amsterdam (Expo Populations en Danger 1998), à New York (Expo Congo 2000 au Conseil de Sécurité des Nations Unies), à Perpignan (sélection à Visa pour l’Image 2004), et à Stavelot (Expo Des Hommes et des Chevaux (2006), 16.732 visiteurs). En 2007, il réalise une commande : « portrait de l’homme et sa voiture » pour l’Association Européenne de Constructeurs Automobiles (ACEA).

Son dernier reportage 'Les premiers derniers hommes', sur les nomades Turkana, nous plonge dans le quotidien de ce peuple de pasteurs, au Kenya. Des images d'une rare beauté qui traitent de la réalité de ces hommes et des difficultés qu'ils rencontrent suite aux conséquences concrètes du réchauffement climatique.